ve 31.01.14

Paris.
3 degrés au matin, ciel clair.

11 h d’une grosse journée de gestion.


quelques mots en vrac de Paul Valéry :

Être heureux, encore faut-il avoir conscience de l'être.

Qui veut faire de grandes choses doit penser profondément au détail.

Il n'est pas d'être capable d'aimer un autre être tel qu'il est.

Que de choses il faut ignorer pour agir.


en faut-il peu pour être heureux ? je dirais oui, mais ce sont là des mots...

parution de la revue Faire part, consacrée à la grotte Chauvet, avec une belle diversité des contributions et des contributeurs (peintres, écrivains, cinéastes, scientifiques). honoré d'avoir pu apporter une petite pierre à cela…

la distance entre les mots et ce que l'on fait après eux, entre ce qu'ils ont participé à découvrir et ce que nous savons faire de cette découverte.

Je suis seul ; il fait froid ; il pleut sur le jardin ; la lumière tombe ; profondément, je suis bien.

Pluie régulière et pas fine, claquettes légères sur le plastique du toit. Je viens de raturer "heureux" parce que ce n'est pas l'adjectif approprié. Je suis neutre, c'est-à-dire en paix avec ce monde (non pas le monde) et avec moi (non pas les autres).

Aucun stoïcisme ou quelconque dépassement par je ne sais quelle vertu, aucun principe suivi d'une quelconque spiritualité lointaine. C'est parfaitement immédiat : un accord profond avec la pluie, le bout de mur gris, les arbres quasi nus, cette lumière pauvre juste. Juste ce moment : accord. Je vis avec ; je me dissous dedans. Je ne parle pas de bonheur, je parle d'être Le neutre, c'est de l'être pur.

Aucune sagesse. Vivre en tension, contradiction présente ou alternance d'angoisse et de calme. Être sage revient à être mort avant de mourir. Aucune envie de cela : je préfère de loin affronter mes peurs, mes joies… mon lot de vivre, souffrir inclus, car tout cela ne va pas sans mal. Mais pouvoir au moins me dire que je n'ai pas évité ma vie.

Antoine Emaz, Flaques
éditions centrifuges, 2013, p. 51

 

sa 01.02.14
Paris.
sols, murs, végétaux trempés. il a plu toute la nuit.

un ami s'inquiète de l'intime exposé ici ; mais primo tout ne pas dit, ne pourrait pas de tout façon l'être (ni ne voudrait d’ailleurs l’être : exemple des larges parties non publiées, écrites en gris) ; deuzio ce qui est dit est choisi, et quelque soit le niveau de conscience de ce choix, c’est de la littérature ; tercio je me pose cette question à chaque mot posé, déposé ; quarto c'est un temps, une durée, un constat du temps qui se joue ici, et, en conséquence, un art du temps, donc, par la force de son accumulation et le travail sur celle-ci, un art du roman ; quinto, dans ce temps déroulé, et par lui, l'on suit ce qui est devenu peu à peu un « personnage » à qui il arrive le fait de vivre, et qui depuis longtemps est au-delà d’une identification exacte à l’auteur producteur (et cela sans compter les noms des personnes les plus proches qui ne sont nommées que par leurs initiales) ; enfin le jour où cette question sur le fil de crête, la ligne dangereuse, funambulesque, de l'intime exposé, tout comme de celle de l’ego, deviendra pour moi floue, trouble, peu claire, au bord de perdre l'équilibre, j'arrêterai de suite.
à savoir que le terme « exposé », en escalade, signifie « exposé au danger, au risque ». ambivalence toujours donc de l’exposition et ambivalence sue, assumée.
à savoir également que je ne vis pas les choses pour les raconter, ni, au moment de les vivre, ne pense à la façon dont je vais les raconter ici.
c'est juste la voix dedans d'un homme que l'on entend. un homme parmi d’autres, non pas un homme particulier.
pas inutile ici alors de rappeler ce qui fonde le projet présent, la tentative : « Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition. » (Montaigne - Essais, 3, II, Du repentir)…

 

di 02.02.14
Paris.
grand beau. le soleil inonde l’appart.

se dépouiller plus encore. c’est-à-dire être plus clair…
c’est-à-dire mieux comprendre soi-même, et les autres, mais aussi plus profondément, en amont, « s’éclaircir », comme dit Charles Juliet : dégager, dégrossir un peu ce que l’on est.
mais il y a, comme toujours, grande distance des pensées, des désirs, des mots, aux actes.

rien d’autre d’intéressant pour autrui, qui serait à raconter aujourd’hui.

 

lu 03.02.14
Paris. Londres.
lever aux aurores. nuit noire. départ pour Londres.

fin de matinée à Covent garden, flâner dans les brocantes et manger des jacket potatoes…
puis Westminster abbey :

  • comment ils ont construits leur légende, et la construisent encore, exemple : chapelle de la Royal Air Force, et celle du soldat inconnu, celui de boue, de terre… aux côtés des sépultures de roi et de reines (de Britanae, Franciscae et Hiberiae… prétendaient-ils)
  • dans la salle des Chevaliers du Bain (l’étrangeté du nom) les animaux sur les casques d’armures (ours, cerf, aigle, sanglier, porc-épic…) la force et la symbolique animale présente ici, celle-là même qui était déjà là à la préhistoire… alors même que nous sommes dans des schémas sociétaux a priori nettement plus complexes, nettement moins rustiques, le totem subsiste…
  • the poet’s corner… étonnant de retrouver là, enterrés là (ou tout du moins honorés là par une plaque), aux côtés des tout puissants et peu tendres souverains, les poètes, qui n’ont pourtant, dans la vie sociale, pas souvent leur place très nette, très dégagée… des poètes donc et des récents encore, et pas des plus « rangés », Dylan Thomas par exemple ! très très étonnant pour moi de le trouver ici, de le voir « pantheonisé » ainsi. Thomas je l’aurais plutôt vu au pub qu’à la Westminster abbey… s’y trouvent aussi TS Eliot, Lewis Caroll, DH Lawrence, Henry James, Byron, Haendel…

d’ailleurs :
« Tant que Butler, pauvre nécessiteux, vivait encore, Aucun patron généreux ne lui aurait donné de quoi dîner ;
Voyez-le maintenant quand, mort de faim, il est redevenu poussière,
On le présente avec un buste monumental.
C'est tout à fait le destin du poète qu'on voit ici, Il ne voulait que du pain et on lui a donné une pierre. »

Samuel Wesley

  • et puis dans un autre genre, Cromwell, le délogeur de rois, deux ans enterré ici avant que soit corps soit exhumé (profané pourrait-on dire) puis pendu et décapité…
  • nombreuses inscriptions en français : « Dieu etc… » au-dessus de l’autel, « chevaliers x, etc … » dans les stalles…
  • nombreuses autres inscriptions où l’on y meurt d’abord pour le roi, ensuite pour le pays… no comment. comment asseoir son autorité, amener insidieusement à accepter l’état.

au soir, la marche, le froid nous ont épuisés.

 

ma 04.02.14
Londres.
temps frais, à moitié gris.

longue matinée à Camden market (the Stables market), lieu qui me touche beaucoup, exubérant, diversifié, typique peut-être d’une britannitude.

soir au Globe theater : presque rond, en bois, galeries et balcons… affects lourds, meurtres et étranglements à la lumière des bougies et des ballets de lustres montants, descendants, et musique… la pièce : the Duchess of Malfi de Webster (jacobéen) sur laquelle S bosse depuis des années.
retour sous la pluie, les rues noires, les façades de briques rouge sombre, en bord de Tamise.

 

me 05.02.14
Paris.
retour de Londres, boulot.

 

je 06.02.14
Paris.
ciel blanc-gris, pluie, boulot. grand vent annoncé cette nuit.

au matin ai bossé sur bref.

 

ve 07.02.14
Paris.
les coups de vent sont passés tôt ce matin. vers 10 h cela se calme progressivement. le ciel alors est clair, de traîne, régulièrement moutonné de tout petits cumulus peu élevés qui défilent à grande vitesse d’ouest en est.

travailler un peu sur bref, dans bref, avant le reste. puis boulot.
18 h 30 : la semaine se finit, le boulot a bien avancé, ce we se consacrer plus à l’écriture, à l’approfondissement.
mais avant cela partir marcher un peu…

le lien pour moi au travail de Juliet, dont on parle beaucoup ces temps-ci, c’est évidemment la tentative de compréhension de soi, journalière, et apparue après un épisode cru, brutal, de grande souffrance qui s’est révélé finalement, contre toute attente tout d’abord, une chance : celle de devoir apprendre à se connaître, à être lucide, sur soi-même, à être plus calme, avec soi-même, pour s’épargner, ne pas renouveler les comportements internes toxiques, pour aller vers une clairvoyance, une conscience plus large, plus aiguë, plus juste, qui soit source et d’apaisement et d’ouverture… et cela qui a d’abord été, sans exagération je pense, une obligation vitale, devient désormais un savoir gagné, un peu, sur l’obscurité.
il s’agit d’être plus juste avec soi-même, c’est-à-dire de se connaître plus justement. et se connaître plus justement c’est être en premier lieu à l’écoute, sans jugement d’abord, sans conciliance, de ce qu’être veut dire, de quelle forme est la façon d’être personnelle, et s’offrir, en même temps, par conséquence, les capacités d’être plus, mieux à l’écoute des autres.

la pénible sensation depuis quelques jours, même si la matière est là, de parler bien mal ici, de façon affectée, pesante, « pâteuse », donc peu juste.
c’est qu’il faut tout à la fois descendre en soi et sortir de soi pour trouver le lieu, la zone où réside quelque chose d’un peu de valeur à exprimer clairement, sensément.

 

sa 08.02.14
Paris.
ciel gris-bleu, bise d’ouest, peu froid. puis pluie violente à 14 h.

thé, méditer, fenêtre ouverte. café, écrire.

j’aime souvent dans les œuvres artistiques, comme dans tout ouvrage, un souci de dépouillement, mais qui soit désaffecté.

– Pourriez-vous définir le processus même de votre écriture ?
– C’est un souffle, incorrigible, qui m’arrive plus ou moins une fois par semaine […]. Une injonction très ancienne, la nécessité de se mettre là à écrire sans encore savoir quoi : l’écriture même témoigne de cette ignorance, de cette recherche du lieu d’ombre où s’amasse toute l’intégrité de l’expérience. 
Pendant longtemps, j’ai cru qu’écrire était un travail. Maintenant je suis convaincue qu’il s’agit d’un événement intérieur, d’un "non-travail" que l’on atteint avant tout en faisant le vide en soi, et en laissant filtrer ce qui en nous est déjà évident. Je ne parlerais pas tant d’économie, de forme ou de composition de la prose que de rapports de forces opposées qui doivent être identifiées, classées, endiguées par le langage. Comme une partition musicale. Si l’on ne tient pas en compte cela, on fait des livres "libres" justement. Mais l’écriture n’a rien à voir avec cette liberté-là. 
– Ce serait donc là la raison définitive qui vous fait écrire ?
– Ce qu’il y a de douloureux tient justement à devoir trouer notre ombre intérieure jusqu’à ce que se répande sur la page entière sa puissance originelle, convertissant ce qui par nature est "intérieur" en "extérieur". C’est pour ça que je dis que seuls les fous écrivent complètement. Leur mémoire est une mémoire "trouée" et toute entièrement adressée à l’extérieur.
 
Marguerite Duras, La passion suspendue
entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre
traduit de l’italien et annoté par René de Ceccatty
Paris, Éditions du Seuil, 2013, p. 81-82.

au soir, marcher, et prendre le temps dans les librairies.
lumière crépusculaire sous le nuage d’averse violente, qui passe, et laisse le bleu du soir regagner, par l'ouest. moi je suis un peu speed, du mal à trouver le tempo lent, le vivre flâneur, alors que j'ai eu toute la journée pour moi, à travailler tranquillement… mais c’est que c'est la nature qui est là, et travaille souterrainement...

être soi, être en soi, qu'est-ce ?
qu'est-ce que se sentir être en soi, que s'éprouver être en soi ?
se sentir l’être, en soi, n’est pas une sensation permanente. ils sont même assez rares en définitive ces temps où l’on sent son corps autour de soi. hormis les moments de douleur, on n’a cette impression le plus souvent que de façon fugace : sentir son cerveau saisissant les faits, avec son corps au bout, en-dessous plutôt, autour.
(cf Refonder - l’inquiétude, lu 29.07.13 : « sentir sa tête, accéder à cette conscience de se voir pensant, avec ce siège haut, au-dessus du reste de notre corps qui paraît être son prolongement, son outil et son moyen. »)
on peut se voir, se sentir, tout entier, sauf ce petit point, qui est source de notre vue, la conscience.
nous pouvons avoir conscience de la conscience, mais il serait bien difficile d’en cerner toutes les limites, d’en saisir toute l’étendue exacte car nous sommes en elle, nous sommes elle.
qu’elle puisse dire : « c’est lui » en parlant de soi est entendu. mais nous ne pouvons avoir pleinement recul, et c’est sans doute heureux, car nous sommes et restons au-dedans. pour appréhender pleinement notre être, notre soi, notre conscience, pour en voir tous les contours, être capable d’en faire le tour, il faudrait sortir de soi.
(cf Sous la lampe : « Et par d'ssus ça l'intelligence, mais intelligence à notre mesure, qui ne peut nous dépasser, qui ne peut voir largement, globalement et clairement. Sa source est en nous et ne peut se jeter qu'en nous. »)

je bosse sur bref. encore. encore et encore.
des couches et des couches.