ven 26.07.13
Paris. Marseille. Pertuis.
levé aux aurores.
méditer devant le jardin dans la nuit, la pluie applaudit très délicatement sur les feuilles du prunier, la pluie s'intensifie, la foudre, le tonnerre par intermittence, se rapprochent.
je pars pour Marseille dans l'aube falote qui pointe, empruntée, au travers de la nuit, je pars sous l'orage battant, trempé de pluie et de sueur, dans la ville éteinte, en panne d'électricité.

plus nous avançons vers le sud plus le jour se lève et le ciel noir, gris, suie, peu à peu s'éclaire.

midi - Malmousque : arrivée à la corniche, à la mer, verte, bleue sombre.
je me baigne, casse une graine. dans le déphasage, un peu. je retraverse la ville en passant au Mucem dans sa treille de résille de béton, ses bassins de mer, ses passerelles permettant de faire rentrer la ville en lui.

arrivée au Pertuis, retrouver T, le frérot.

 

sam 27.07.13
Pertuis. Versant sud du Lubéron.
la cagne, sauvage, dès la montée du soleil. la luminosité de glacier.
la sieste lourde, réparatrice, dans la mélasse de la chaleur.

 

dim 28.07.13
Pertuis.
cagnard, vent de sud.
promenade en bord de Durance, vaste fleuve puissant dégringolant des Ecrins. sieste lourde, baignade, puis départ à pieds en bivouac sur le sommet culminant du Lubéron.

 

lu 29.07.13
Pertuis. Lyon.
nous avons abandonné l’idée du bivouac sans frustration, une alerte orange d’orages étant lancée sur plusieurs départements.
nous sommes tout de même partis hier en fin d’après-midi faire notre boucle en face sud : pentes raides de forêt rase de pins, de genévriers et de chênes verts, combes et ravins de schistes et de sable gris-jaunes, piqués de pins d’Alep, qui constituent des fours à chaleur extrême, puis les crêtes nues sommitales à moutons que nous traversons, mais nous sommes redescendus au moment où la nuit tombait. de forts cumulus se formaient à l’ouest à partir de 20 h, zébrés par les éclats continus, stroboscopiques des éclairs.
à 3 h du matin les orages arrivent sur nous, mais nous sommes rentré à l’abri à la maison. ils surgissent violents, avec un régime de peut-être 20 à 30 coups de foudre par minutes jusqu’à l’aube, et des murs d’eau. la terrasse est une piscine de plusieurs centimètres d’eau, les objets laissés dehors se mettent à flotter, les arbres sont secoués, fouettés. des maisons ont été incendiées par la foudre dans les villages alentours.

au matin, le vent a inversé sa direction : du sud il est passé au nord et devient mistral. la température est bien plus fraîche et supportable, la chaleur atténuée par les pluies de la nuit. on n’est plus, au moment du zénith, exténué.

 

sentir sa tête, accéder à cette conscience de se voir pensant, avec ce siège haut, au-dessus du reste de notre corps qui paraît être son prolongement, son outil et son moyen.

retour le soir vers Lyon : remonter la vallée du Rhône, longer les Alpes, falaises du Vaucluse, de Montmirail, de la Drôme, du Vercors, constater, avec quelque mélancolie un peu tout de même, que ce n’est plus là que mes regards, mes désirs véritablement se dirigent, vers ce rocher calcaire clair, ces grands tombants, ces lignes immenses de falaises à grimper, que j’ai souvent arpentées, mais vers ce que je mène en écrivant, et que, désormais, depuis quelques années tout est centré là, sur ce que je souhaite dire…

 

ma 30.07.13
Lyon.
soleil, quelques petits nuages ronds ponctuent le ciel, et quelques cumulus à l’horizon.
l’année pourrie continue : j’apprends que, par un énième jeu de changement de dates, les vacances sont chamboulées, et que j’y serai seul en partie. cela me met dans une immense tristesse, et colère, aiguisées par le fond de fatigue nerveuse que je trimballe. c’est une dépense d’énergie au réveil, délétère, violente, que je n’arrive pas à apaiser lors de ma médiation dehors. il faudrait respirer, savoir vite « abandonner », passer à autre chose pour ne pas se faire plus de mal, mais cela outrepasse encore mes capacités de savoir trouver, même si je sais le chercher, le calme. ceci dit je sais tout de même beaucoup mieux qu’avant vivre les contrariétés, les agressions, je sais en particulier presque ne plus sur-alimenter, ne pas « en rajouter ».
voilà ce que sont nos vies d’hommes, ballottés si souvent, bousculés dans nos tentatives acharnées de se créer de petits mondes les moins corrosifs, les moins agressifs possibles.
mais mes filles arrivent par le train de Paris, joyeuses, heureuses d’être en vacances, de retrouver leur grand-mère, et cela chasse, un peu, ma tristesse, qui m’accompagne tout de même une grande partie de la journée.
un bref instant je m’endors au soleil, et sent sa douceur couler tiède, cela ma calme.

ensuite, repasser pour la dernière fois aujourd'hui et demain dans la maison d'enfance qui a brulé l'année dernière. la végétation commence a pousser dans ce qui fut des pièces à vivre : une graminée dans le couloir, le lierre a gagné les murs intérieurs, des champignons dans le salon. refaire quelques gestes que j'ai fait ici enfant : retourner dans ma chambre, descendre au ruisseau, éprouver le besoin de prendre en photo presque toutes les pièces dans leur décor sidérant de cendres et de ruines, de gris et de suie, d’objets tordus, fondus et de bois carbonisés...
ensuite, en rentrant le soir, c’est ma grand-mère qui fait une très mauvaise chute en sortant de la voiture et se retrouve presque sous les roues du véhicule. nous l’avons vu basculer en arrière, du haut du trottoir, dans un regard d’effroi. finalement les blessures sont bénignes mais nous sommes passés tout près de la catastrophe.
triste, sale journée.

 

me 31.07.13
Lyon.
je construis un autre programme de vacances.
joyeuse aprem avec les cousins de Nouvelle-Calédonie.

 

je 01.08.13
Lyon.
ce que je crains c’est la répétition actuelle de ces moment durs, qui ne sont pas en soi, isolément, de la gravité la plus grande, mais qui agglomérés, répétés, sont très abrasifs, et pourraient épuiser psychiquement. à moi de savoir prendre cela autrement, c’est une nécessité.
heureusement mes filles, la famille, ma douce sont en soutien discret, avec tact, derrière.

de cette grand difficulté, lorsque l’on est sur un terrain de grande fatigue, d’épuisement psychique, de savoir lâcher, passer à autre chose lorsque une idée vous travaille, et qu'alors elle se met à vous creuser l'os du crâne... c'est que cette difficulté est due au fait que c'est un héritage génétique, culturel, de fonctionnement qu'il faudrait alors dépasser, ou tout du moins aménager. c'est-à-dire dépasser en grande part une nature ? en quoi cela serait-il possible ? l'on peut sans doute y apporter quelques modifications, inflexions plutôt, d'importance peut-être, mais qui probablement nous laisse tout de même soumis à ce que l'on est.
accepter alors, l'inflexion ne pourrait venir que de cette acceptation, de cette reconnaissance préalable, de ce que l'on est, avant toute modification possible, envisageable.

mais les attentions des proches, muettes souvent, ou fermes, vives parfois, si touchantes, m’aident. et je sais la chance immense, sans prix, que c'est.

 

ve 02.08.13
Isère.
longue méditation d’une bonne heure, dehors, face aux champs…

au soir, de nuit, écrire dehors.
comment dans le journal dire ce que sont les choses, sans pour autant dévoiler la part d’intime que l’on ne souhaite pas exposer ?

 

sa 03.08.13
Isère.
chaleur mais sans excès.
méditation sous l’ombre du cerisier, dans l’herbe et les pissenlits, devant le tas de bois et les maïs.
je récupère lentement, très lentement, de la période précédente psychiquement épuisante.

nous repassons au palais idéal du facteur Cheval, pas visité depuis vingt ans peut-être. la vocation, la volonté d’une vie, qu’il inscrit d’ailleurs sur les murs parmi sa faune et son architecture exubérante, c’est cela qui me marque le plus.
cette  fermeté d’un axe je souhaite la retrouver mais elle a un peu faibli ses derniers temps à cause des épreuves. un peu de repos et elle reviendra sans faille.

 

di 04.08.13
Isère.
chaleur.
méditation sous l’ombre du cerisier, devant les champs.
je lis à peine, écris encore moins, dors à plus soif.
mes filles partent ce soir pour des pays lointains.

au soir, de nuit, tenter d’écrire un peu dehors, sous le ciel, les étoiles, mais rien ne vient, c’est que je me suis presque mis en « off », que je ne mouline rien. sans doute en avais-je besoin…

 

lu 05.08.13
Isère.
chaleur.
méditation sous le cerisier, devant les maïs dont les feuilles comme des bras élancés font de la danse thaï.
passage chez les cousins qui sont en pleines moissons. on boit un coup dans le bureau contigu aux anciennes stalles et aux remises à grains, discute… je traine dans leur atelier et leurs hangars remplis de ferrailles, outils lourds, postes de soudures, meuleuses, machines immenses : 4 tracteurs, une moissonneuse-batteuse avec deux barres de coupe pour le blé et le maïs, botteleuses, herses et collecteuses diverses, remorques, pelleteuses… la chaleur au bord des champs de maïs se fait lourde, tenace. elle assomme…

je commence enfin à rentrer dans la détente. le sas a été long.
et cela me permet presque paradoxalement de pouvoir à nouveau travailler, penser, avancer… ce sas trouble passé, je peux redémarrer calmement, lentement la machine fatiguée.

discussion avec mon père et M dehors à la nuit tombée. comme souvent nous parlons des grandes choses de la vie, et puis de l’histoire tumultueuse et complexe que l’on trouve dans presque toute famille, mais où il n’est par contre pas si courant d’ainsi savoir en causer, pouvoir en parler autant. cela a mis du temps, demandé des années, des révolutions intimes, des brisures terribles, mais désormais la parole, le dialogue, enfin, sont fluides.

ici l’on ne vit pas exactement comme je vis chez moi. beaucoup ici est d’un autre « milieu » (par exemple les enfants de V travaillent dans la vente d’électro-ménager et la confection d’andouillettes en usine) où je ne vis plus, si tant est que j’y ai vécu pleinement un jour, étant d’une famille séparée. il a fallu d’abord reconnaître que je venais aussi de là, de cette culture « séparée », sortir en quelques sorte, tardivement, de l’adolescence, pour l’accepter, et le vivre paisiblement.

bizarre toujours cette ambivalence entre grandes discussions de fond avec certains, et puis avec d’autres de ne savoir que s’entretenir sur des aspects factuels, de ne parvenir à discuter que de ce qui « se passe », jamais de comment « ça se passe ». cette grande difficulté pour certains à se sonder, cette quasi impossibilité à se retrouver avec soi, se supporter, et à oser descendre au-delà des faits de surface, à dire ce que l’on ressent, à se dire.

 

dans le journal, de la difficulté de parler au-delà de soi, pour dire ce qui se joue au-delà de soi, alors que nous ne pouvons que partir de soi, nous n’avons pas là d’autre choix, pour dire, en définitive, ce qui se joue du monde tout autour…

 

ma 06.08.13
Isère.
ciel assombri. ça tonne dans l’après-midi.

combattre l’inquiétude, bien difficile souvent, d’autant plus quand elle s’est installée sur un lit de fatigue.

peut-être n’est-ce que l’inquiétude, avec l’énergie, qui provoquent la pulsion de construction, et sont sublimées en elle.

apprendre, savoir à être au-delà de cette inquiétude... en allant chercher le calme en soi qui est toujours au fond, mais comme l'est aussi l'inquiétude...
je ne me fais pas d'illusion quant à combattre cela tout à fait, mais je sais que l'on peut augmenter la part de calme, lui faire place plus large, aménager un tout petit peu notre condition humaine...

 

je lis quelques heures dans l’après-midi.
et entre autre la prose de mon père, sa tentative de mémoires, d’un passé lourd, violent, douloureux, de guerre notamment. nous parlons « technique » pour mener à bien son récit. récit arraché aux tabous, aux refoulements, au silence contraint, verrouillé, torturant. une parole naît là, peu à peu, difficilement, urgente maintenant, tue depuis cinquante ans, en Algérie.

retour à Lyon en soirée chez les parents de S. installation d’un tout petit bureau en bois sur le balcon où je bosse dans le vent de nuit.

lorsque S me dit que l’écriture est exclusive ce n’est pas exact dans le sens où je fais et souhaite aussi mener d’autres choses, mais c’est une activité centrale, première, et je ne mettrai jamais moins d’énergie dedans que ce que je n’en mets déjà.
en fait il faut aller plus loin. encore.

 

me 07.08.13
Lyon.
levé tôt, j’ai très peu dormi. il a plu toute la nuit et ça continue au matin quasi uniformément. le ciel est gris, cendré, sombre.
méditation sur le balcon, puis nage sous la pluie. l’eau de la piscine est tiède, plus chaude que l’air. je n’avais pas nagé ainsi sous la pluie depuis des années. ça m’excite comme un gosse.
ensuite écrire, petit bureau de bois sur le balcon. il pleut tout autour de l’auvent qui protège mon abri de travail en plein air. une pluie modérée puis soutenue, qui devient continue, tenace, prévue pour plusieurs jours…
après quelques heures de travail le vent tourne et vient pousser la pluie sur mon petit bureau extérieur, je dois rentrer un peu plus dans le renfoncement de la porte-fenêtre, mais garde la pièce grande ouverte et la pluie tombe devant moi à moi de 50 centimètres. je l’écoute. ses différentes régimes, faible, forte, soufflée, légère, à tout rompre…

je prépare mes lectures de septembre, en particulier celle de cabane d’hiver prévue à la maison de la montagne de Pau, et cela m’oblige, pour choisir les extraits judicieux, à relire une fois encore le texte. puis à se mettre le texte en bouche, chronométrer, imaginer même peut-être de casser du bois sur scène…

il pleut toujours, des cordes maintenant, un rideau d’eau à quelques centimètres de l’ordinateur, de la petite table de bois.

tout juste au bord de l'ennui sans y être tout à fait, état que l’on peut nommer oisiveté, tout juste nécessaire à l'écriture et à la pensée, temps « libre », flottant, indispensable pour qu'émerge puis se développe sans hâte un regard et un début de compréhension de comment coulent et tournent toutes choses...

je relis Proust, et c’est le dernier volume, Le temps retrouvé, comme presque toujours...

 

revenir par la pensée à cette période où je faisais du solo en montagne, en escalade. où le geste devait être parfait, épuré, dans une économie achevée, car sans protection, sans sécu. chose que j’ai retrouvé très exactement sur scène.
revisualiser cela mentalement, où la peur était là, mais non paralysante. où j’allais chercher, avec faim, des zones plus larges, à ouvrir. c’était passer cette peur en se préparant minutieusement, et ensuite lâcher. c’était se sentir être homme libre. libre parce qu’allant chercher ce qui est nécessaire pour réaliser ce qu’il souhaite.