04.05.13

Paris.
beau temps tiède, le ciel voilé passe peu à peu du blanc au bleu.
fatigué profondément, mais pas de cette fatigue saine, délassée, que l’on peut avoir comme après une longue marche. plutôt une fatigue d’usure, de celle qui génère l’énervement vis à vis de toutes choses « à faire », de tout ce qui demande effort non consenti, de tout ce qui ne roule pas sans petits accrocs, même mineurs, fluidement, accompagnée d’une fébrilité sensible, légère mais toujours suffisamment lourde à porter… difficile alors de laisser couler, même en ayant conscience que ce serait l’attitude à adopter…
après m’être débarrassé des tâches triviales, récurrentes, nécessaires, domestiques, aller courir puis se poser dans l’herbe du parc, assouplissements, relaxation, rêvasser.
au soir, le calme arrive enfin, prendre une soirée pour soi, de confort, de soin de soi, se poser, se reposer, long bain, lecture, bon repas… sans se faire emmerder.

 

05.05.13
Paris.
le soleil perce au travers de gros cumulus sombres.
méditation torse nu pour la première fois de l’année.
c’est l’un des toutes premières fois également où j’arrive à me détacher, me décrocher d’une pensée fixe, par décision, et à passer à autre chose, à méditer, en laissant couler.
c’est sans doute important.

fatigue, et pourtant je n’arrête pas de la journée, alors que je voulais ne rien faire aujourd’hui, m’abandonner un peu, et c’est tout le contraire qui se passe. 3 h sur bref, puis l’entretien de la baraque, et du jardin…

la génétique et la personnalité dont on a héritées : si l’on en n’est pas satisfait, il faut alors s’adresser à ses ancêtres. et c’est peut-être par là, par la reconnaissance d’où l’on vient, préalablement, que l’on peut, ensuite seulement, agir dessus, en bonne partie, en moduler les traits, les effets.

au soir, fatigue puissante, mais j’ai dû en dépasser le seuil, puisque je n’arrive plus à me reposer, la cervelle étant dans une sorte d’usure énervée, une excitation abrasive. le sommeil ne vient pas, je me relève aux alentours d’une heure du mat, les yeux pochés, écris un peu, fait même quelques corrections encore dans bref… et je sais que je vais souffrir demain matin au réveil.

 

06.05.13
Paris.
matinée de repérage sur les toits : la ville autrement.

je ressens, de plus en plus, peu à peu, un très léger décalage, léger mais bien présent, ancré, pugnace même, avec la plupart de ce que je lis d’écrit aujourd’hui.

en fin d’aprem aller continuer à bosser au café, sur la dernière terrasse du quartier qui prend le soleil parce que, exposée à l’ouest et devant une large place, il a tout le temps de descendre longuement sans être trop tôt occulté par le bâti, les immeubles. à 19 h il « tape » encore, et éblouit largement, violemment (on garde les paupières plissées), il doit conserver ici pas loin de 10 degrés supplémentaires par rapport aux zones d’ombres, et l’on est amené à tomber la veste. écrire cela en même temps que je le vis… je ne suis pas venu me poser ici pour écrire, mais c’est comme si, dans vivre, écrire était une des « (pré)occupations » premières.
mais basta, laisser faire aussi, laisser tomber, laisser être, soi, les choses, sans noter, et fermer le texte un moment. juste regarder passer, soi, les choses, les gens, le temps… le soleil lentement…
— écrire serait-ce alors, a contrario, ne rien laisser passer ? —

 

07.05.13
Paris.

bref : l’énergie énorme, folle, que demande la construction d’un livre, d’un propos, d’un discours qui tourne rond, et clair.
ai fini la relecture, l’une des relectures seulement, de la partie 2 : 4 jours pour cette partie.

 

07.05.13
Paris.
longue méditation (pratique quotidienne,  sans exception aucune, depuis 6 ou 7 ans) dans la tiédeur après la pluie du matin. les oiseaux.
puis le ciel à nouveau s’obscurcit. la lumière s’estompe sur le bureau. les ombres disparaissent. il subsiste juste une lueur grise d’éclipse. la pluie arrive, une onde, une ondée, une nappe de froissements dans les feuillages, brève.

bref : j’avance à un rythme de croisière et puis parfois ma moyenne chute d’un coup, je me traîne alors soudain à 2 à l’heure, lorsque j’achoppe sur un mot, une phrase, un paragraphe, que je tombe sur un os, et le ronge alors désespérément.
après 5 h de travail continu, j’ai fini, enfin, de relire la partie 3 puis l’épilogue, et donc par conséquence l’ensemble du volume.
8 jours pour cette relecture-là. et 60 jours de travail sur l’ensemble quasi quotidiennement, après la phase de murissage et de nourrissage débutée en mai 2012 (les premiers mots posés, juste deux ou trois, sont du 13 mai), il y a donc quasiment 1 an jour pour jour.
lessivé, je me suis peut-être rarement autant cravaché, arraché, sauf peut-être pour la plui.
et comme souvent, je finis la séance de travail vers 16 ou 17h, sans avoir encore à peine mangé…
maintenant laisser reposer… le manuscrit, comme le bonhomme… quelques temps, pas mal de temps.
ensuite, plus tard, tenter de lire, relire cela, comme si c’était la toute première fois, que je découvrais alors le ce texte.


je continue à recevoir des retours, écrits, sur ce journal, comme sur d’autres volumes… des lecteurs qui prennent cette peine, touchante, de prendre la plume…

 

09.05.13
Paris.

presque comme un appel d’air, un vide étrange de ne pas écrire aujourd’hui, de ne pas travailler.

commencé à écrire, plus vieux textes retrouvés, j’avais huit ans.

départ demain pour Bruxelles, retrouver les copains, jouer avec eux.

 

J’ai abandonné la pauvre nécessité de vivre. Je vis sans elle.
(…)
Ta vie s'achèvera par ta mort, mais pour toi elle s'est achevée par ta vie.

Antonio Porchia - Voix

 

10.05.13
Bruxelles.

 

11.05.13
Bruxelles.
lever après nuit ivre. méditation devant la fenêtre ouverte au moment où la pluie s’en va et qu’un léger soleil s’en vient.

avec les copains, festival donc.
et puis les autres larges rencontres.

répète hier avec les amis (Eric Groleau, Laurence Vielle, Vincent Granger), pour tenter ce soir un petit moment ensemble sur scène avec ceux qui seront venus jusque là écouter.

plus tard
loges
les nuages passent
passent
assis en bord
de fenêtre
ouverte
fumer
musique
chauffer la voix
discuter
un peu
avant que de jouer avec Laulau Eric Vincent

 

12.05.13
Bruxelles. Paris.

chanter.

 

13.05.13
Paris.

 

14.05.13
Paris.
bosser. trop fumer.

imaginer les projets futurs : livres, disque, rencontres sur scène…

mon hyper-activité est centrée depuis quelques années, mais peut-être qu’enfin, au-delà de cette centration, je sais aussi désormais la doser, gérer une économie de la dépense et de l’énergie pour tenir des longueurs de fond, et que cela par conséquence sert l’axe, la cheville, le pivot, et les sert mieux.

 

je me refuse quelque part à agir en termes de stratégie. je pense à tout cela, essaie de ne pas agir trop bêtement, mais ma stratégie est plutôt celle d’une absence, si possible, de calcul froid.
pourtant
         - je sais avoir quelques possibilités énergétiques, verbales, conceptuelles, analytiques pour em-mener
parce que
         - j’aime mener, je sais le faire, mais je ne tiens pas au pouvoir. j’ai déjà trop de connaissance de la nature humaine pour être suffisamment optimiste sur ses capacités, saines, claires, à l’exercer assez souvent, avec d’autres, en intelligence, à égalité, collégialement, en respect. je ne connais que trop peu de personnes capables de cela.
         - je n’aime ni suivre ni fondamentalement être suivi. j’aime bien d’avantage être accompagné. je n’ai aucune velléité de papisme. je suis viscéralement indépendant.
         - je déteste intriguer. j’ai une incapacité fondamentale, involontaire, congénitale, culturelle, à la malhonnêteté et à la manipulation. je ne sais mentir, ou tout du moins « m’arranger ».

je préfère de loin, à l’action purement d’éclat, que la visibilité soit le fruit d’une travail de fond, sain, simple, acharné, exigeant, légèrement en retrait et qui ne se jetât pas dans l’agitation ; attitude qui, de plus, me semble bien plus garant d’une pérennité possible.

alors évidemment comme tout un chacun, et peut-être plus que chacun je fais ma « comm » et j’ai une politique éditoriale de ce que je balance en public. mais si l’on peut arguer qu’il y a là une stratégie elle est bien plus celle du retrait de tout calcul tendant au brillant, à l’éclat, pour rester, discret, dans le travail de fond.

 

je retrouve des notes dans le projet town town que j’avais mené en 2005 et 2006, lors de ma découverte ébouriffante du son et la poursuite de l’exploration des possibilités web. pas grand chose de nouveau peut-être, et ce n’est peut-être pas forcément mauvais signe d’ainsi poursuivre :

oui ce qu'il faut que je fasse c'est, depuis ce que je fais ces temps-ci, continuer aller plus loin descendre plus. c'est-à-dire de ce stade, déjà exploré, pousser la chose encore plus loin. une lang encore plus ramassée, synthétique, économique, basique. une langue, dans sa mélopée vertigineuse infinissable, encore plus proche du silence. tout contre le silence. toute prête de s'éteindre, toute prête de passer à travers sa voix, de crever.

tout comme le passage du mur du son, cette déchirure de la frontière, là où l'objet - l'avion - va plus vite que son son, progresse devant son son, la lang va plus vite que sa voix, la dépasse, passe au silence… en pointe, flèche tendue, déchirante
la lang ne peut plus être suivie par la parole, la lang est nue, avant sa parole, avant d'être dite, avant avant sa naissance dans la bouche, avant son cri, nue, dénuée…
fulgurante toute seule devant devant le bruit

cette chose-là je vais la creuser

il faut que quelque chose s'y déroule ou s'y enroule, même si c'est le rien, le silence qui s'y enroule… juste le son, la voix sortie du silence, du rien
eh bien même ce silence, ce rien, cette lang sortie du rien, doit s'enrouler, doit se dérouler, se faire… parce que réellement elle s'enroule se fait

 

15.05.13
Paris.

pas la tête au journal, et, pourtant, le dire ici.

journée dans les arbres.

 

16.05.13
Paris.
temps blanc. et pluie.

la crise que je ne sentais jusque là qu’en décalage par rapport à la majorité des domaines professionnels, étant soumis à des variables de demandes autres que l’économique stricto sensu (la météo par exemple, ou les projets artistiques perso) est bien crûment désormais là : demandes très faibles, nombres de confirmations et de projets fermes en conséquence. à bosser pour attraper des miettes là où c’était parfois de gros morceaux.
mais ne pas se laisser abattre, ce serait rajouter de la peine à l’ouvrage à tenir quand même. garder un léger recul de sauvegarde.
côté artistique je vois que l’on fait tous le queue devant les demandes de financements. le nombre de demandeurs s’accroît énormément. queue : signe bien réelle de temps de crise.
alors sale journée de relances tout azimut. je déteste.

plus tard, revenir à la ligne centrale, et à la lecture.
respirer, se reposer, reprendre de l’oxygène pour s’aérer l’esprit, voir clair. 

Plutôt la modestie. On ne peut tout saisir en quelques mots. Dire seulement: un instant, j’aurai vu cela – le monde pur, ouvert, léger; un autre, le monde empourpré; un autre encore, quand il pourrit et que l’horreur vous gagne. Rien de plus.
(…)
Je me retire devant l’ampleur de l’air qui occupe tout l’espace, du fond de la mer à la cime des montagnes sèches comme de la paille.

Philippe Jaccottet
Taches de soleil, ou d’ombre (éd. Le Bruit du temps)
note de 1964

 

balade la nuit. ces jours où je cherche les rues vides, comme un animal farouche.

 

17.05.13
Paris.
ciel bleu.

être, se savoir être, se sentir tout proche de :

Parvenir à une musique pauvre, presque plus une musique, presque seulement du son fermé – et tenir là, comme imprenable.

Antoine Emaz
Cambouis

 

je fume trop, de tout.
fatigue de fond.
dans l'évidement c’est là aussi que ça peut recharger.

de ces moments où tout foire… sauf l’écriture, au fond — mais elle travaille à sa foirade depuis si longtemps déjà —.
travailler quand (bien) même…
étrange année.
se bagarrer dans un en partie vide, et, à la fois, laisser couler…

après une courte sieste, le moral a changé. je reprends le journal, c’est-à-dire le continuum de pensée, intérieur, dans lequel j’étais quasi muet ces derniers jours. c’est un grand plaisir paisible de retrouver ce rythme de fond.