lu 09.03.15

Île-de-France. Vaucluse. sud.
Paris. Caromb.

départ en résidence pour une semaine.
venir. là : la descente vers le sud, les terres calcaires, la lumière, les garrigues, le Ventoux dominant, sans cesser.

journal de la construction… ne pas savoir ce que je vais faire, construire là.
journal : l'œil reculé… ce qui passe, ce qui se passe… porter témoignage…

venir ici, ailleurs, pour travailler, construire, aux côtés d’autres, ça signifie quoi ?

en « descendant », glissant le long de l'axe nord-sud traversant selon une ligne quasi verticale l'hexagone, de la capitale parisienne vers le sud, la gradation des climats, des terres, des roches mères, donc des couleurs, des couvertures végétales, des cultures… le temps change, les nuages, les lumières, les accents même, les hommes pétris à l'image de leurs terres… dans un sens « descendant », vers le sud, la porte très marquée, majeure, de Valence et son entrée dans les calcaires, la lumière, les garrigues, les chaleurs… et, inversement, dans le sens « montant » la porte de la Bourgogne, vers Chalon déjà, et l'entrée le plus souvent sous les nuages, le plafond bas, épais, sombre, le moins de lumière, les zones régulièrement saupoudrées de neige, l'hiver, lorsque les autres régions sur ce parcours sont demeurées plus chaudes, les sols encore verts, vierges de gel, de givre…
c'est un vaste dégradé de près de 800 km du gris de la lumière diffusée, filtrée, urbaine, nordiste, des meulières, des grès, des terres plates, peu acides, vers le vert des prés gras, des forêts froides, puis le jaune, le blanc enfin éclatants, brûlants des calcaires éblouissants, des roches, falaises et lits de torrents souvent secs, des lumières méridionales sans obstacle du ciel…
et sur la gauche les Alpes blanches, blanches, blanches (me tenaillent alors toujours leur désir relié aux ascendances profondes).

dans le train, la différence visuelle, cinétique, de référentiel, donc de réalité en définitive entre l'intérieur du wagon, oscillant légèrement, à peine mobile, les gens à places fixes les uns par rapport aux autres et par rapport à l'espace intérieur du véhicule voyageant ; et le mouvement plus large du train, rayant l'ensemble d'un pays, avalant les kilomètres à haute vitesse (300 km/h nous annonce-t-on à l'instant), et donc cet autre réalité référentielle du paysage défilant, défilant, défilant, dans un mouvement de vitesse, mais illusoire : ces champs, ces forêts ne bougent que parce que nous bougeons, les traversons, et ne se meuvent en réalité (mais qu'est la réalité en pareille matière ?) que d’un seul mouvement, de leur propre mouvement de pousse, de croissance, d'abrasion des éléments entre eux et d'érosion du temps…
ce paysage ne défile pas (ou alors dans un référentiel plus vaste, cosmologique), contrairement à l'apparence : c'est l'œil qui le regarde qui lui défile, passe, long travelling relatif, relatif.

au devant, dans la brume de beau temps, la forme volcanoïde, fuji-yamesque du Ventoux, sommet blanc de neige, tout juste un peu plus blanc que la pierre d’été des pierriers sommitaux, calcaire urgonien fracturé (claps), dominant la vallée du Toulourenc au nord.

Caromb, Caroun (carreau de pierre).

la lumière, d'abord la lumière !
et puis la pierre jaune pâle, claire.

repas avec les premiers artistes arrivés… chacun, peu à peu se raconte, se rencontre…
puis une petite sieste, tout d'abord et comme très souvent en arrivant de voyage, cette manière de prendre le palier de décompression, de prendre contact avec le lieu, en se posant, dans ma chambre blanche, perchée au sommet du village, face au Ventoux au nord-est (au creux de son arc), et à la plaine à l’est et au sud-est (les Dentelles derrière au nord-ouest).

depuis quelques jours déjà dans le travail, et là, dans ma chambre, sans avoir encore à peine entrevu le village, échafauder des constructions possibles, en écho avec les lieux : très hautes terrasses, toits, souterrains, caves, la maison avec piscine vide, dans les arbres, déambulation…

tee-shirt, pieds nus, la douceur du sud.

les pentes.
les drailles et chemins.

terrasse, le bar, soleil couchant. le vieux qui observe ses plantes en pots. l'odeur du feu de broussaille inonde le haut village. l'allée de grands pins. le portail du cimetière qui grince. les oliviers. au retour l'odeur puissante à nouveau du feu. l'oiseau mort. les arbres taillés en parasols, la nécessité de l'ombre. bar, chiottes à la turc, carreaux de trente ans. café (la Mirande), salle intérieure, avant-terrasse, terrasse couverte, pour toutes les déclinaisons de la cagne. et puis les gars… les accents, les mots, les élans de mots.
l’apéro, les galéjades, on charrie les copains, et puis commentaires de chasse, discussions agricoles autour des verres d’alcool.

après la sieste, la balade et le café maintenant… ce sont les trois points d'assise de la prise de contact…

puis B. le luthier, discuter un peu avec lui…
puis bosser de nuit dehors sur la terrasse.

cyprès parfaits, pins immenses, élancés.

noms de lieux - lieux : les Estourdoules

vue de là-haut 

au soir, bosser dans la chambre blanche, surplombante.
monter par l’escalier de pierre nue, fraîche au sol, sous le pied.

gamberger un peu sur l’utilisation verticale, lumineuse, scénographique des façades.

une lune rousse, énorme, suspendue, flotte dans le ciel, peu haute sur l’horizon…

j'atrouve… ce mot me sort ainsi, comme ça…

 

ma 10.03.15
Vaucluse. Caromb.

dés le réveil, la lumière… la lumière diffusée par la brume comme par un vaste papier calque sur la plaine, une large baveuse. le mélange subtile de la fraîcheur du matin et de la tiédeur qui va gagner avec les heures.
travailler, écrire sur la terrasse.
vers 11 h 30, le Ventoux, toujours le Ventoux, blanc, bien enneigé, émerge lentement des bancs de brumesmatinales, pentes blanches et noires naissant de l’air blanc puis bleu, de la lumière fraîche, puissante.
puis installer une descente et remontée de corde pour une probable lecture sur façade et lumières…
enfin, visiter l’étonnant lieu du vieil hôpital, et sa petite grotte de sable, tout au fond, recélée, comme un ventre…

 

me 11.03.15
Vaucluse. Caromb.

sur la terrasse bosser à la table, dessiner les plans des installations de cordes, imaginer les lumières, les cheminements du public.
et la lumière du sud toujours…

après les repérages globaux, repérer plus précisément, inventer une scénographie avec les lieux, jouer avec eux, une dramaturgie de l’interférence entre cette poésie et les lieux.

les abeilles se gorgeant déjà de la sève des fruits du cyprès.

la place des rdv secrets… de 13 à 50 ans...

le mistral se lève.

le bleu de la nuit arrive sur la plaine, sous la terrasse, sous nous.

 

je 12.03.15
Vaucluse. Caromb.

boulot matin sur la terrasse face au Ventoux toujours blanc. le cagnard, encore timide, monte pourtant progressivement.

rencontrer peu à peu les gens du lieu…

dire comment ça se construit :
je crée des cheminements, pense aux jeux avec le terrain, in situ, à de petites scéno, à la lumière, aux sonorités propres aux lieux, aux durées, aux cheminements et accueil du public, au choix des textes judicieux à dire là… je prends de très nombreuses notes, fais des essais concrets, en situation.

noms de lieux – les lieux
noms de lieux - les cartes
noms de lieux - les gens
noms de lieux - les maisons

NOMS DE LIEUX – LES LIEUX
noms sur les pentes sud du Ventoux, au-dessus de Caromb

forêt de Malaucène
le grand Barbeirol
Tête du gros Charme
rocher du Gros Pata
rocher des Rams
montagne de Piaud
les clops / les clapes
combe de Mars
combe d'Ansis
combe Soume
combe de la Grave
vallon de Coste d'Antoni
vallon des Vabres
Vallon de Counillon….
nichés au creux de l'arc de cercle du Ventoux

arbre : micocoulier

* lieux où il fait vent
* lieux où il fait sud
* lieux où il fait cagnard
* lieux où il fait ombre fraîche
* lieux où il fait pied nu sur la pierre fraîche
* lieux où il fait fond de cave résonnante
* lieux où il fait soif
* lieux où il fait eau pour la soif des bêtes
* lieux où il fait neige

 

NOMS DE LIEUX – LES GENS
le ferronnier et son atelier au grand puits de lumière, sa forge au charbon, ses deux enclumes massives posées chacune sur une section de tronc cerclé de fer, avec anneaux d’accroche pour le différents marteaux.
la dame malade qui nous reçoit dans son lit, princière, et sa vitalité tout à la fois vivace, affirmée et flageolante.
le gars qui fait du bois le matin puis nous fait visiter des maisons inhabitées.
celui qui et fait danser les courbes de l’épicéa et de l’érable pour en faire des violons…
ceux qui ont rebâti un ancien hôpital abritant une petite grotte de sable, tout au fond, et un solarium royal, tout en haut.

 

sa 14.03.15
Vaucluse. Caromb.

il pleut. la percussion de la flotte sur la toile de la tonnelle.

nous sommes maintenant près d’une trentaine dans ces maisons du village, toutes disciplines confondues (danseurs, peintres, graphistes, designers, architectes, écrivains et poètes, musiciens et compositeurs…).
on picole, fume pas mal depuis le début de la semaine… alors je lève un peu le pied, là.
mais ça s’amuse, danse et picole encore. à quel point avons-nous conscience de cette position que nous avons de temps, de dégagement des nécessités alimentaires, de possibilité de recul des contingences triviales, et comment s’empare-t-on de cet espace et de ce temps pour tenter de construire quelque chose d’un tant soit peu viable ?

 

di 15.03.15
Vaucluse. Caromb.

je quitte les lieux ayant essayé de créer quelques petites formes, en tout cas jeté les bases textuelles et dramaturgiques, scénographiques, techniques de ces formes possibles. je reviendrai, pour répéter et jouer ça en juillet pendant le festival.

quant à la forme que je vais créer là-bas, construire une petite chose dont je sois à peu près fier, donc la travailler. j’ai pour l’instant surtout repéré, inventorié les possibles et des conduites éventuelles. restera à répéter, non pas à fixer mais à explorer pleinement le champ des possibles, avant de tenter de les jouer « dans le jet ».