me 01.10.14

Paris.
levé tôt.
octobre déjà.

ne pas oublier cette position de recul, d’un certain détachement (comme j’ai su presque le faire ces deux derniers jours en partie), ou tout du moins d’un engrènement moindre, pour être plus posé, donc plus efficient.

ce seront donc peut-être cette semaine mes dernières prestations de grimpe, d’escalade, pour des clients… et je finis « en beauté » avec de grosses organisations, compliquées et qui auront été modifiées puis remodifiées qui plus est jusqu’au dernier moment : 60 personnes-6 guides jeudi, 320-13 guides vendredi…

 

je 02.10.14
Paris. Fontainebleau.

levé presque aux aurores pour ce qui sera donc, avec encore un peu plus de probabilité, mes dernières séances de grimpe en tant que moniteur et responsable de cette boîte… et, comme par hasard, cela finit de façon presque emblématique : un jour rocher à Bleau, deux jour arbres à Rambouillet et Orléans, un jour falaise aux Dentelles de Montmirail, et qui m’auront amené à utiliser, à « sortir » une bonne partie de mes capacités d’organisation.
après 26 ans d’encadrement, 15 ans à la tête de ma société qui a constitué un large réseau de moniteurs et guides, dans une belle entente dans presque tous les moments, c’est donc a priori bel et bien une nouvelle période qui s’ouvre, débute….

continuer à apprendre à prendre un peu de recul sur le flot des pensées incessantes. elles ne peuvent de toute façon toutes être retenues. il ne serait pas souhaitable qu’elles le fut.

raid Fontainebleau fait. demain réveil à 4h et 320 personnes à passer dans les arbres.

j’ai loupé la date de l’équinoxe, déjà passée… chose que j’aime pourtant saisir, et noter.

C’est une triste chose de savoir que la nature parle et que les hommes n’écoutent pas.

Hugo

 

ve 03.10.14
Paris. Rambouillet.
réveil dans la nuit, méditation, départ, route dans le brouillard… froidures aux aurores, en forêt, puis une belle journée s’ensuit.

peut-être l’une des toutes dernières prestations de terrain avec ma boîte Caps… content d’avoir pu bosser avec ces gars-là plusieurs années, d’avoir su créer ce réseau de professionnels dans une belle ambiance en intelligence.
suis resté 22 h debout.

 

sa 04.10.14
Paris.
une belle journée encore, douce, et même si le ciel peu à peu, en après-midi, s’assombrit, aucune précipitation.

c’est comme un immense rangement qui s’amorce, et dont les effets commencent à être visibles dans l’espace de vie, dans l’espace numérique de travail, dans les organisations matérielles…

 

di 05.10.14
Paris. Orléans.
fraîcheur d’automne au matin.

grimpe d’arbres dans le parc de l’université d’Orléans, dont un chêne énorme, vénérable.

 

lu 06.10.14
Paris.
la fraîcheur s’accentue encore un peu.

enfin pouvoir construire les changements en cours. lentement solder les dossiers de ma petite entreprise, et valoriser la fin.

période de peu d’écriture, de peu de lecture également. c’est ainsi.

me remettre à mes recherches, peut-être pour moi seul… je ne sais pas encore. en tout cas pour se connaître moins mal et non pas pour s'exposer plus.

 

ma 07.10.14
Paris.
fraîcheur, 12 en ville, vent d’ouest, et pluie fine hier soir.

j’ai bien failli ces temps-ci arrêter le journal, mais il est l’un des supports de mes petits bricolages continus, et le seul à témoigner continûment de cette recherche constante tout en en étant l’outil.
je vais donc poursuivre sa tenue. bien que rien ne soit forcé, ai-je le choix lorsque l’on est ainsi lentement travaillé depuis des années ? par contre je ne m’obligerai plus à une publication en ligne régulière. il croise trop souvent l’intime pour être ainsi publié en quasi temps réel, il fait part trop souvent d’avancées, de trouvailles de peu d’intérêt pour autrui ces derniers temps pour ne pas bénéficier du recul d’un temps plus long dans le choix de ce qui va être porté, conservé, montré.

recul, calme, lucidité…. toujours lentement tenter d’atteindre cela davantage, mieux.

lucidement : pas encore assez repris le jus, la dynamique pour pouvoir dès maintenant finaliser la conduite du disque on trace. il me faut laisser mûrir ça, laisser aller, venir les choses…
le temps.
on trace : c'est au fond de soi que ça se joue l'idée, l'histoire, et donc aussi la voix qui portera cela, dans l'assurance calme tout au fond.
sinon ça ne marchera pas, ce sera vain.
je veux aller trop vite, trop volontairement.
ce qui est dit est trop fondamental pour se précipiter.
c'est cela aussi être lucide, calme, reculé.

je suis sans voix, quand ça reviendra...

et puis en soirée j’apprends que le boulot au théâtre qui était confirmé, est ajourné sans encore de délai… sale série tout de même depuis 1 an et demi, mais vais encaisser. c’est l’un des seuls bénéfices de cette période-là : gérer mieux les obstacles, les déceptions provisoires mais accumulées, devenir plus costaud… moins d’affect, acquérir des capacités du recul. pas le choix.

 

me 08.10.14
Paris.
pluie fine continue toute la nuit et au matin.

nuit agitée de quelques cauchemars, ce qui m’arrive extrêmement rarement, mais, quoique courbatu, je me réveille bien décidé à profiter des moments présents comme l’on dit, de la famille, des amis. la pluie d’ailleurs est très belle ce matin, le jardin dégoutte, la lumière est très sombre, à peine plus blanche, plus translucide à l’endroit du soleil.
et puis décidé à continuer ma « construction », j’utilise ici volontairement ce terme plutôt que celui de « bagarre », et cela sans trop m’arc-bouter, car maintenant la meilleure stratégie pour l’espace créatif tout comme le bien-être psychique et l’efficacité n’est pas une résistance agitée, mais d’avancer et de réaliser calmement, patiemment.
je poursuis donc ce qui était prévu professionnellement, on verra bien.

De plus, S n’est pas certaine d’obtenir son congé maternité d’intermittente, et nous sommes de fait dans une position de fragilité… là où il y a encore quelques années nos milieux sociologiques n’étaient pas autant précaires, fragilisés, il me semble bien car pour ma part j’ai toujours été un peu dans des situations atypiques.

je dramatise tout de même souvent un peu (peut-être le travers de la tentation de faire récit de tout), alors que je pourrais être plus détaché.

job : pour moi ce qui est dur ce n’est pas tant les délais que l’incertitude.

voir clair.
maintenant.

et ne pas être en attente, profiter de vivre.

il ne se passe rien. pourtant ça coule, passe, s’écoule. rien à dire. laisser faire. tenter de ne rien dire. rien faire. juste écouter. encore.

cabane d’hiver

 

je 09.10.14
Paris.

témoigner d’être, ici.
peut-être s’épancher d’être aussi, par la même navrante occasion…

journal du soir : étonnement calme, clairvoyant. ces jours-ci pourtant ont apporté leur lot, suffisant, de turbulences et d’incertitude…
étonnement aussi ai pu avancer encore un petit peu, hier, aujourd’hui, le dernier texte du disque qui était bloqué…

 

ve 10.10.14
Paris.
méditation. tenter d’être en écoute.
écouter dehors fait du silence dedans.
fraîcheur.

avancer encore, un peu, un tout petit peu, sur le texte du disque. sans rien forcer, juste je laisse venir.

malgré les difficultés, je retrouve je crois lentement cette assise de fond qui était là mais avait vacillé. on ne peut encaisser autant d’obstacles sans être touché. on ne peut non plus, si on en a quelque peu les ressources, traverser de telles périodes sans apprendre, sans en tirer bénéfice, sans en sortir in fine non seulement un peu plus fort mais aussi un peu plus posé, ferme en assise… sans avoir également un peu mieux trouvé la distance pour être un peu moins arc-bouté, affecté, pour être un peu plus respirant, lâchant… pour être un peu plus clairvoyant, lucide…

mais si l’axe ou l’autorité naturelle, « la charrue vertébrale » est là comme dit mon ami Phil, elle est parfois trop cambrée, trop peu flexible, peut-être, peut-être…

l’on attend le plus souvent une respiration qui viendrait de l’extérieur, alors qu’elle est dedans nous.
on peut se détacher des planifications perpétuelles, et laisser respirer, laisser venir.

 

sa 11.10.14
Paris.
soleil, la fraîcheur bien moins marquée que ces jours derniers. toutefois de larges bancs de nuages sombres défilent, naviguent d’ouest en est.

soudain journée dure, journée trou, abîme psychique… puis au soir, le calme revient lentement.
et ma douce prend soin de moi et m’emmène au théâtre, au restau.

 

di 12.10.14
Paris.
fraîcheur d’automne, ciel couvert.

balade dans le vieux Paris, le Marais.

rythme, habitudes : méditation, puis écriture au matin avant toute chose, puis boulot en se débarrassant en premier lieu des tâches ingrates, enfin en fin d’après-midi retour à l’écriture ou lecture jusqu’au soir…

construire, construire, construire…

je prépare le retour, celui de la grande forme.
travaille, bien obligé, dans le long terme, le plus tard… tout en laissant venir, couler, bien obligé.

 

lu 13.10.14
Paris.
10 degrés à 10 h.

le silence souvent évoqué dans mes livres, dans les poèmes n'est pas tant celui de la parole (notion classique) que celui évidemment du dedans psychique. c'est cet espoir-là.

job : je veux être près du plateau…

agréable soirée à la Java. j‘y écoute les copains qui nous font un beau concert, je rencontre Pauvros avec qui nous discutons un peu.

 

ma 14.10.14
Paris.
soleil.

en projet donc : un enfant, un nouveau boulot, un disque, une édition assez monumentale… et savoir laisser venir tout ça tranquillement…

matin, écriture puis gestion
après-midi, m’isole, écriture
soir, lectures de l’Atelier de l’Agneau.

 

me 15.10.14
Paris.
temps frais.

disque : conduite de texte enfin véritablement et quasi complètement posée, pas forcée… avec cela on peut travailler je pense désormais. nous avons un truc, une base qui tient la route. une assise.

C’est en poussant le particulier jusqu’au bout qu’on obtient le général.

Michel Leiris

soirée avec T, nous réfléchissons entre autre aux vidéos du disque.

les photographes décrivent deux façons de travailler : aller à la chasse ou attendre à la pêche.

 

ve 17.10.14
Paris.

être bien modeste quant à ce que l’on peut projeter et espérer comme importance portée par nos petites réalisations.

quelle est la pulsion profonde qui nous fait construire, créer, laisser trace, donner de la voix ? évidemment « la pensée a son origine dans l'énergie des pulsions » (Annie Le Brun), mais de quelle sorte sont ces pulsions ? trace contre la peur de mort ; déficit d’amour ou d’écoute ; re-construction, tentative de solidification contre la peur de perte, de rupture, d’abandon ; libido (produire, reproduire) ; nécessité ressentie de comprendre moins mal ?

 

sa 18.10.14
Paris.
le soleil rentre à flot dans la maison.

petite tournée hier soir des bars du quartier, toujours bien agréable d’ainsi rencontrer les uns et les autres… mais c’est également un triste portrait d’époque. D, correcteur, a perdu un bonne partie de son volume de travail, il fait quelques foires et vide-greniers où il vend ses livres entre autres pour rentrer un peu de fraiche ; S est au RSA, il tente des projets qui n’aboutissent pas, il s’est mis lui aussi à faire des vide-greniers où il trouve à vendre ses surplus d’objets ; T, photographe, qui travaille pourtant pour l’industrie du grand luxe pour la partie alimentaire, a perdu 40% de son volume de travail, tout comme moi ; R, agronome, après deux ans de vide n’a trouvé qu’un petit CDD de quelques mois… d’autres copains encore se sont mis à vendre dans les vide-greniers (et l’on me rapporte que souvent ils se font dans les 400 € par jour), trait d’époque qui commence à avoir une signification caractéristique, et puis tout les éléments sont rassemblés pour que ce système soit, vive et se développe : ceux qui n’ont plus de fric se font vendeurs, nous avons chacun des stocks assez conséquents d’une multitude d’objets amassés durant cette culture de la consommation, d’autres qui n’ont pas plus de blé non plus achètent ainsi ici moins cher… c’est donc cette économie parallèle, au côté de celle du partage, qui s’étend.

disque : ai fait quelques essais d'enregistrement de plusieurs morceaux, à blanc, a cappella, juste en tapant le tempo du doigt sur le bureau, ça tient.
et, je m’en rends compte seulement maintenant, c’est de la parole claire, tout à fait compréhensible, et non plus cette langue torturée, malaxée, mâchée, difficilement audible pour la plupart, et se regardant être..
 
puis je marche sous le soleil, dans le profond calme du cimetière Montparnasse, je m’assieds longuement, à ne rien faire.
la vanité si fréquente dans nos actions…

la course narcissique à laquelle j'ai moi aussi sacrifiée n'est qu'une roue à hamster pour nos egos.

un livre calme, dégagé de toute prétention… et c'est en définitive ce que j'avais tenté, mais très volontairement, avec bref… le faire peut-être un jour lentement, en le laissant venir. pour dire quoi de plus ? pour dire seulement… simplement.

qu’ai-je appris de cette traversée aride pas encore finie ?
est-t-il temps d’en faire le bilan ? y’a-t-il un bilan à faire ? peu sûr… je crois pourtant avoir conscience d’une bonne partie de ce que je suis en train d’acquérir comme savoir sur soi. et ce qui est réellement appris ne sera ni effaçable ni réductible.

 

di 19.10.14
Paris.
boulot, et marche.

me suis posé la question à nouveau, mais oui mon projet est le bon : rassembler toute mon énergie, force de travail, créativité, investissement dans le secteur artistique, et ne plus disperser. simplement il faut le temps pour que cela se fasse… accepter ce temps, d’autant plus long que le contexte est bien difficile.
voilà un an et demi que la phase creuse personnelle s'est déclarée (côté pro elle a démarré il y a 2, 3 ans environ), 6 mois que j'ai décidé de la bascule (avril). mes cycles étant de 2 ans, faudra-t-il encore 6 mois, ce qui nous amènerait à mars/avril 2015 ?
j'ai vécu ma passion de la grimpe pleinement, en faisant les choses à fond… maintenant le reste. et l'énergie qui était mise là-dedans je tente donc actuellement de la transférer dans les domaines liés à l’artistique.

 

lu 20.10.14
Paris.

lettre du 4 juin 1952 : « C’est tout à fait étonnant ce qui se passe ici dans le style moche baigné d’éclat inoubliable, mais que veux-tu le soleil c’est toujours comme cela, il fera des dentelles rares avec n’importe quelle serpillière, il suffit d’un peu de bleu et de beaucoup de blanc. »
A propos des peintures de la grotte d’Altamira - juillet 1935 : « La pierre épouse parfois la forme du taureau. Et plus on regarde, plus on sent le mouvement de la bête. […] Il y a une vie intense là-dedans, un mouvement spontané. Si on se représente la vie de ces gens-là, toute la grotte prend un aspect étrangement puissant, réel. »

Nicolas de Staël
Lettres 1926-1955
éd. Le Bruit du temps

 

ma 21.10.14
Paris.
les nuages gris défilent comme une fumée de feu.

peut-être ai-je sous-estimé l'ampleur de la difficulté représentée par la crise car je voulais arriver et n’ai pas voulu voir, car je pensais que et la volonté et les compétences suffisaient.

pressé pourquoi ? pour réussir ? réussir mal ?

ce journal ne s’est pas arrêté : il n’est plus montré dans l’immédiat.

concert le soir.

 

me 22.10.14
Paris.

par cette période creuse, rude, je pense que je suis devenu plus fort, dans le sens où je m’affecte désormais moins, où j’ai ai acquis un plus grand savoir-être de recul, d’abandon, de détachement, de respiration… (tout cela est une même chose)… c’est l’histoire du bénéfice que l’on peut tirer d’une crise…

larges préparatifs pour l’arrivée de …, notre fiston. je mets un coup de collier et bricole, on fait des achats de « matériel ».

 

je 23.10.14
Paris.
les nuages passent en bancs, blanches diagonales sous le bleu.
10 degrés à 10 heures.

ce journal témoigne-t-il encore ? et de quoi ? n’a-t-il pas une utilité plus que pour soi, à ne parler que de soi ?

 

ve 24.10.14
Paris.

« Le courage, c'est savoir qui on est », dit Jaurès. cela me renvoie à la méditation, au cheminement de se connaître soi-même, dans nos fortes faiblesses et nos faibles forces, au mouvement pour accéder à la conscience et à l’acceptation que notre importance narcissique n’est que toute relative, temporaire et de passage, à la compréhension que notre entendement sera toujours incomplet, que nos actions sont soumises à des forces qui nous sont supérieures… là où tant se fuient ou se leurrent.
et l’important n’est pas là le chemin (méditation ou autre) mais le cheminement.

j’ai toujours eu le sentiment d’être fait pour écrire et porter cette parole-là. j’ai également toujours eu le pressentiment que je ne sortirai que plus fort et plus constant aussi de cette sorte de traversée aride.

je perds et de l’énergie et du temps à tout organiser, noter. aller beaucoup plus à l’instinct, à l’abandon.

pour 2016, édition donc a priori de ces 25 ans de journal, prévoir 1 500 à 1 600 pages.