me 02.07.14

Paris.

écriture sur le disque aux aurores.
puis grimpe d’arbres : journée de 13 h.

 

je 03.07.14
Paris.
belle journée.

le repos peut s’amorcer, le travail au calme.

ça sent l’été.
la chaleur grosse.

écriture du disque.

maintenant, pendant quelques temps, vivre jour après jour.
ai suffisamment vécu dans l’anticipation ces derniers mois.

 

ve 04.07.14
Paris.
le temps tourne. le ciel couvert, la fraîcheur, des ondées tièdes.
le temps lent, tant désiré…
la lune comme un ongle orange brûlé derrière une dentelle de nuages noirs.

L’on ne compte plus les livres perdus avant que de naître pour avoir oublié que la littérature n’a quelque chance de devenir mémorable que par l’oubli conscient et constant d’elle-même.

Pierre Bergounioux, La cécité d’Homère
conférences à la Villa Gillet, Lyon.

 

sa 05.07.14
Paris. Fontainebleau.
ondées… un temps très flottant.

c’est le calme, le grand calme maintenant. le silence. le silence profond qui remplit tout l’espace de la boîte crânienne.
dans ce silence, tenter de puiser la paix après laquelle, comme tout être humain sans doute, nous courons… mais peut-être tout d’abord commencer par arrêter ce « courir » et juste laisser venir, accueillir…

bosser sur l’écriture du disque une bonne partie de la journée. je peine, je peine mais ça avance… à l’arrachée.
courses.
puis, à nouveau, écriture du disque. en fin d’après-midi : neuf textes écrits sur une conduite de dix prévus.
set :


d’abord
on trace
les choses vont avec les choses viennent
time rhythms
nous ne nous tairons pas
tempo temps
sais pas. pas finir arrêter. rien.
voilà c’est fait. j’ai dit.
pas de titre rien

enfin, grimpe nocturne pour des clients dans les sables de Fontainebleau.

qu’est-ce, véritablement, lucidement, sans indulgence, que cette entreprise, cette ambition, peut-être naïve, de faire littérature ?
tentative de comprendre ? de saisir un petit peu, un tout petit peu, l’être et le monde, l’objectif et le subjectif, tentative tout à la fois de lucidité et de sensation ? tentative de voir ? tentative de tracer, laisser trace, pour transmettre ? est-ce autre chose que de vivre, si ce n’est que l’on dit que l’on vit, et que cela encore, dire, fait partie de vivre ? en quoi, pourquoi avons-nous, humains, cette étrange pulsion ? en quoi, pourquoi cela constitue-t-elle probablement l’une de nos grande particularité ? en quoi rejoint-elle alors, donc, notre mystère ?

et, comme sans hasard, tomber là-dessus :

Et ce qu’il prouve, du même geste, c’est que la littérature, contrairement à ce qu’on entend dire ces temps-ci, n’est pas quelque production momentanée de l’activité humaine qui aurait eu son heure au cadran de l’histoire, comme la pierre polie, le bronze, la traction animale, la quenouille, les mots, même, qui servent et puis dépérissent et meurent. La littérature n’est pas affaire de mots. Les mots n’ont aucune importance. La littérature est, serait l’effort toujours nécessaire, toujours recommencé par lequel nous nous emparons de la signification de notre histoire. Nous sommes engagés, pris dans les choses, en proie au temps, dominés par le passé, bousculés par le présent. Notre vie peut se passer sans que nous l’envisagions pour ce qu’elle est, la situation empêcher que nous nous la représentions faute du loisir, du recul, des clartés qui nous livrent, seuls, le tout de notre condition.

Pierre Bergounioux, La cécité d’Homère
conférences à la Villa Gillet, Lyon.

 

di 06.07.14
Paris.
pluie. la lumière sombre.
retour de forêt par les longs trains de banlieue.

du temps, du calme, du silence, du seul, la pluie devant la fenêtre ouverte…

peut-être devrais-je écrire, me faudra-t-il un jour écrire sur ce lien à la terre, aux hommes de la terre, à une partie de mon ascendance, qui alors même qu'il subsiste dans un goût, des gestes, une affection prégnantes, se dissout inexorablement, et aura totalement fini de disparaître lorsque les deux générations actuelles se seront effacées.

L’apparition d’Eula Varner : marchant, s’avançant dans cette aura de décence, de modestie et de solitude dix fois plus impudique et cent fois plus troublante qu’un de ces costumes de bain que les jeunes femmes se mirent à porter vers 1920, comme si, juste avant qu’on la regardât, ses vêtements étaient parvenus dans un dernier tourbillon éperdu à s’envoler au-devant d’elle et à la recouvrir. Pour un bref instant, toutefois, car en la suivant assez longtemps, on les voyait, l’instant d’après, retomber comme alanguis en une roue vaporeuse semblable à une constellation entrevue au travers d’un banal petit nuage.

Faulkner, le Hameau (traduction de ?)

 

fatigue, restes de maladie, sensation de se traîner, d'être lourd… peut-être mon premier coup de vieux, puisqu'on ne vieillit manifestement pas de façon régulière, linéaire, mais bien plutôt par paliers, par « à-coups » justement... et c'est cela qui fait aussi que certaines personnes paraissent parfois plus jeunes, avoir retrouvé une énergie, après un « coup de vieux », un palier passager, alors qu'elles sont, selon le temps, plus vieilles.

Il fallait bien s’accommoder, travaillant pour oublier l’écoulement du temps, puisque le travail même peut constituer la fuite immédiate de l’ennui… (…) Tout fait temps, aide à camoufler la durée, puisqu’elle déborde toujours, et d’autant plus lourde qu’elle revient se déverser depuis ce qu’on avait cru du temps passé, mais s’était accumulé dans l’attente à venir. Et c’est parfois le jour entier que s’impose ce désert du temps.

François Bon, Sortie d'usine

 

lu 07.07.14
Paris.
la pluie a cessé, le temps traîne des fraicheurs de la veille, le ciel reste sombre.

 

ma 08.07.14
Paris.
temps de lande du nord encore… passages de pluies fines, ciel gris aluminium.
toutes les deux, trois heures le ciel se fonce, la lumière s’obscurcit considérablement, un grain tombe et passe…

content de retourner dans quelques jours dans ces landes du Nord : l’Eire ce coup-ci… que je ne connais pas… à une période, j’allais au moins une fois par an dans ces terres de bruyère, de tourbe, ces steppes de bords de mer, ces toundras parfois : Ecosse, Norvège, Suède, Danemark, Islande…

reprendre ici :
être plus lucide, plus simple, plus clair.

 

me 09.07.14
Paris.
seul depuis 5, 6 jours.
la pluie.

reprendre le sport, bouger… sous la pluie.
pédaler, nager.
écrire, construire le disque, la journée entière.

 

je 10.07.14
Paris.
pluie. lumière sombre. humidité. froid.

12 h passées en forêt, qui dégouline et dégoutte, avec bonnet et gore-tex.

l’exercice d’une lucidité : être clair, voir clair, concevoir clair, donc parler clair. parvenir à écarter au maximum brouillards et illusions (mais ne vivons-nous pas essentiellement illusionnés, par la perception parcellaire de nos sens partiaux ?), voir plus juste, parvenir à garder le léger retrait qui, tout en participant, fait voir plus globalement…

Pourquoi tourmentes-tu de desseins éternels une âme trop petite ? Pourquoi ne pas aller ou sous ce haut platane ou sous ce pin s'étendre ?

Nietzsche - Humain, trop humain

 

ve 11.07.14
Paris.
pluie. toujours, encore.

gestion.
je ne travaille pas sur le disque. je fais relâche, laisse un peu reposer.

 

sa 12.07.14
Paris.
le ciel est enfin un peu plus clair aujourd’hui.

travail sur le disque, la composition du set, maintenant que j’ai toutes posées les paroles, les textes, ou tout du moins que j’ai rassemblé, puis expurgé, toute la matière, les éléments pour finaliser les textes, je procède au « nettoyage », au polissage.
je ne suis pas certain de réussir quelque chose avec l'écriture de ce disque, et c’est une situation identique que l’on rencontre pour tout travail en cours. il y a au moins encore 3 morceaux pour lesquels je ne suis pas sûrs, mais ce sont aussi les plus récents, ceux qui ont été les moins travaillés au corps, débrutis, dégauchis dans leur matière… ceci dit, pour être tout à fait lucide, ils ne sont peut-être pas si profonds, peut-être frisent-ils même le pathos par certaines petites touches. bref, il me faut les resserrer, les intensifier, les densifier.

 

di 13.07.14
Paris.
la pluie, la pluie, la pluie.
on besoin, dans certaines pièces, même au sud, d’allumer la lumière à midi… j’aime ça, cette ambiance de lumière, d’odeurs, de sons, mais cela dure…
voilà près de 3 semaines que le solstice est passé et nous n’avons pas encore véritablement eu de pleine lumière…

comme un whisky ou un goût délicat, dans lesquels par vagues successives l’on perçoit, montant les uns derrière les autres, les arrière-fonds de tourbe, d’iode, de pluie, mais aussi de souvenirs qui y sont attachés, j’aimerai dans le volume ici que l’on retrouve, par plans consécutifs, miroitements, éclats jaillis, réminiscences, toutes les nuances, les saveurs, les multitudes d’impressions, les traces que la vie nous laisse dans les strates de souvenance, conscientes ou non, que notre cerveau stocke, accumule et sait réactiver. toutes choses, sensations, qui constituent la vie d’un être humain et le font se sentir vivant. être vivant, se sentir l’être, serait-ce alors autre chose que cette accumulation de sensations ?
aussi cette entreprise est-elle celle de la conscience et de la connaissance individuelle.



lu 14.07.14
Paris.
retour, lent, du soleil. il lui faudra toute la matinée pour parvenir à percer.

disque : je n’y arrive plus, il me faut laisser reposer…
et je n’ai pas encore atteint le point de toucher, le point d’impact que je cherche, dans les derniers textes. dans les premiers, il est là par contre.

entendu une lecture poétique, comme la plupart du temps, d’un niveau de récitation d’école.
ce « milieu » de la p… est si petit. mais j’ai bien l’impression que pour la plupart cela ne les dérange pas, qu’ils ne recherchent pas, ne ressentent pas le besoin du plus large. sans doute est-ce dû au fait qu’une fois « intégrés » dans le milieu, cela leurs suffit, sont-ils rassasiés, ont-ils atteint leur but : la reconnaissance de statut par leurs confrères ? mais je reste étonné du fait que cette soif s’arrêtât là…
et le handicap constitué par le peu de diffusion de la poésie, même si l’on peut l’attribuer au peu de réception, d’accueil que lui fait les médias et les lecteurs (elle est pourtant présente dans bien des « lieux », la chanson pour premier exemple), se joue en fait là aussi, et sans doute déjà là, dans cette sorte de confinement, de promiscuité presque, de groupuscule agrégé autour de lui-même par des phénomènes restreints, socio-esthétiques, de reconnaissance, et qui passent bien souvent par un code, une illisibilité déchiffrée par eux seuls, et qui les rassemble.
prendre bien garde alors aussi d’écouter ceux qui sont en dehors.

l’inconvénient avec les a priori, les préjugés c’est que la plupart de ceux qui en ont souhaitent les garder.

 

ma 15.07.14
Paris.

Lorsque l’on dit que « le temps passe », l’on confond le temps avec ce qu’il véhicule. Si quelque chose passe dans le temps, alors le temps ne devrait pas passer (comme le fleuve passe dans un espace de berges qui elles ne passent pas). Et l’on attribue alors toujours au temps les attributs de ce qu’il véhicule.

d’après Étienne Klein

encore un très bon livre de Bergounioux, La mort de brune, fini aujourd’hui… la fin, très forte, magistrale.
et tiens, un titre de lui que je découvre : D’abord, nous sommes au monde… alors que le disque que j’écris en ce moment commence par « d’abord, on vit »…

tout en venant de là, étant fait de ça, s'être, adolescent, extirpé des deux mondes, des deux milieux, très dissemblables voire dépareillés, celui maternel (bourgeois, protestant), celui paternel (ouvrier, paysan, athée et rouge), qui s'offraient à moi, pour en choisir un troisième, extérieur quoique composé des deux premiers, qui tout en constituant une synthèse me permettait aussi de me construire sur un autre plan, plan qui me convenait mieux, celui d'un monde, d'un milieu où la création et la réflexion étaient moteur et combustible, et donc générateur d'un mode de vie et de relations sociales en fonction, autre, différent de celui de mes deux parents, à la fois.
et ce fut alors, à cet âge, un grand non… avant le oui qui domine, et depuis pas mal d'années, aujourd'hui.

fini, avec l'ordi, les temps considérables perdus à se perdre... ne plus s'en servir que pour avancer.

La mémoire, dit Pierre Janet, ajoute la reconnaissance à la persistance. Elle passe par cet acte social qu’est le récit. C’est l’intervention de la conscience qui crée le passé.

cité par  Bergounioux
dans La puissance du souvenir dans l'écriture.

 

me 16.07.14
Paris.

je suis content : pour les derniers morceaux du disque j’ai enfin réussi, ce matin, à atteindre le point que je cherchais, ce point particulier de « toucher », de sensation. j’en ressors crevé, lessivé.

 

je 17.07.14
Paris.
chaleur.

pour ce qui est de la pérennité de notre existence et de notre présence sur terre je ne sais pas si nous y arriverons par le « respect » de la nature, je n’en suis pas sûr… je crains que nous ayons trop « décroché » déjà dans notre rapport à la nature, et puis que nous soyons trop nombreux… que nous resterait-il alors ? la science (génétique, biologique, atomique, numérique) pour trouver ou améliorer des êtres ou des bactéries pour nous transformer, nous alimenter, nous fournir l’énergie nécessaire quand elle viendra à manquer ; ou alors la colonisation spatiale… ces deux directions semblent beaucoup plus être dans l’axe, dans la continuité, dans la cohérence de ce que nous avons déjà fait, de la façon dont nous avons fonctionné dans les siècles passé (sens de l’humain depuis bien longtemps maintenant : l’avancée technologique plutôt qu’un rapprochement du naturel)… et je ne dis par là que ce sont les meilleures directions à prendre, j’en préférerai d’autres, mais elles me semblent, en définitive, après pas mal d’espoir ailleurs, plus probables.
et même si l’on en appelle et que l’on réussit une décroissance, une consommation moindre, notre démographie est si galopante, nous sommes si dominants et invasifs, que la décroissance me semble être un levier certes nécessaire, impérieux, qu’il faut tout de même activer, mais peu sûr d’être suffisant.

Dès que l'on parle, on dit ce que l'on dit. Mais on dit aussi, par la manière de dire, la valeur de ce que l'on dit. (…) Dès qu’on choisit un mode d’expression on se classe.

Bourdieu - Ce que parler veut dire

 

ve 18.07.14
Paris.
grosse chaleur.

mille petites choses à faire faites avant le départ en Irlande.
j’ai envoyé aux copains qui vont construire le disque avec moi la conduite de texte avec les sources sonores… maintenant laissons reposer…



sa 19.07.14
Paris.

fin d'une séquence.
départ pour l’Irlande demain.