je 17.04.14

Paris.

fini le récit de la Russie…
la redescente est finie elle aussi, elle a été délicate… en proportion de l’ascension.

j’ai 44 ans demain.

très petit moral.

Le contenu de ces images, qui se dégageait, de façon tout involontaire de la contemplation et du travail, nous enseigne qu’un avenir a commencé au cœur de notre temps ; que l’homme n’est plus l’être sociable qui se meut en équilibre parmi ses semblables, ni celui autour duquel gravitent le soir et le matin, le proche et le lointain. Qu’il est posé parmi les choses comme une chose, infiniment seul et que toute communauté s’est retirée des choses et des hommes, dans la profondeur commune où puisent les racines de tout ce qui croît.

Rilke, cité par Jérémy Liron
in La mer en contrebas tape contre la digue (p.47)

 

sa 19.04.14
Paris.
ciel clair, beau, température relativement fraîche.
revenir à ces fondamentaux.

c'est là que se joue, ces jours-ci, une bascule financio-professionnelle d'importance… avec boîte escalade, si elle va marcher ou pas cette année, et avec résidence et financement projets artistiques… sinon il me faudra tout simplement envisager un autre boulot, un autre métier, un autre fonctionnement. c'est possible, mais pas ce que je souhaite pour l'instant.
et peut-être est-ce aussi l’une des raisons de l’angoisse de ces derniers jours ?
cette souffrance j’ai appris à agir dessus par la méditation, mon comportement, mais au-delà, à certains moments, sans cause extérieure, je me heurte à un mur, comme chimique, sur lequel je ne peux plus agir, et sur lequel il n’y a que les médicaments qui opèrent.
et alors, si je sais ce qui se passe (de façon maintenant réellement très précise) quant au terrain qui favorise et amène ça, et quant aux conséquences, si j’ai une bien meilleure connaissance de moi-même, parfois je ne sais pas pourquoi ça se passe. je ne comprend pas les causes en amont : en bref je connais le terrain favorable à la pousse de cette graine noire, mais pas la graine.
et j’en ai marre, profondément, je veux comprendre maintenant.

je suis la pensée, la créativité comme paralysées ces quelques jours…. là il me semble que progressivement, lentement cela s’ouvre à nouveau, un peu… peut-être, pas encore sûr.

L'humanité n'est pas encore assez éduquée pour qu'un homme puisse livrer toute sa pensée.
Tout la pensée, dans sa profondeur et dans sa légèreté. Les deux choquent.
Peu d'hommes, même, consentent à leur pensée réelle. Ils la subissent, font semblant de ne pas en voir la crudité, la vanité, l'irrégularité.
On ne retient que ce qui sert, ou qui excite.

Paul Valéry, Cahier 96 « S »
(BNF - Cahiers originaux. CCLXXXIV-CCCVIII
Série siglée de « A » à « Z ». CCCII)

 

di 20.04.14
Paris.
les tulipes sont passées. le jardin est vert. toutes les plantes rejettent.

reprendre peu à peu, pas à pas.

l'anxiété est un voile qui paralyse toutes choses, les englue dans une mélasse : pensées, actions, élans, et affections dans leur légèreté...
l'anxiété est une glace qui prend tout.
et je ne puis rien faire d’un tant soit peu valable… je ne peux même pas parvenir à exprimer cette angoisse dans une perspective plus générale et de saisie et de compréhension de ce qu’elle signifie pour tout homme, comme exemple de certaines heures de sa condition. bref, pourquoi insister ?

je suis comme un chat qui a mal, je me planque.

je me réfugie dans la lecture : Leroi-Gourhan, Valéry, Juarroz, Woolf un peu…
et je suis obligé de me médicamenter… au moins y a-t-il cela car pendant des années je n’ai pas eu ce recours, et cela m’aide grandement lorsque j’arrive au point de ne plus pouvoir faire face seul.

 

lu 22.04.14
Paris.
ciel blanc. il pleuvine très légèrement.

comme à chaque fois : l’année de crise puis, l’année suivante, encore fragile, de reconstruction.

balade aux puces de St-Ouen, le dédale, immense cabinet de curiosités, endroit que j’aime…

 

ma 22.04.14
Paris.
ciel blanc. giboulées.

reprendre peu à peu le rythme de calme.

je me fourvoie en voulant ainsi continuer à n'avoir qu'écrire à faire. il ne s'agit pas d'augmenter, densifier le volume (de travail, de recherche, de creusement) mais de (se) libérer.

et puis quelques heures après, la nouvelle tombe, tranchante :
projet résidence et financement (8 mois de préparation, 4 d'attente) : réponse négative.
voilà depuis bientôt 2 ans donc que je suis sans financement artistique conséquent, de plus la boîte d’escalade marche mal… et la solution pour les mois à venir n’est donc pas venue.
il faut donc prendre des décisions, mais dans le calme, posément.

curieux comme alors, rétrospectivement l’on relit les signes avant-coureurs, qui ne pouvaient avoir de lisibilité avant : par exemple ce besoin, tout juste quelques heures avant, même s’il était déjà ancré bien plus en amont, non pas de creuser mais de se libérer… il était donc bien le signe, criant peut-être, mais criant une fois seulement que des événements sont alors survenus pour le faire crier, d’un besoin ressenti et nécessaire de passer à un nouveau mode tant du point de vue de l’activité que du financier…
tous ces signes que l’on accumule, particulièrement en écrivant, consciemment mais en partie seulement et qui n’ont, ne peuvent avoir de compréhensibilité, d’intelligibilité, de clarté qu’une fois qu’une situation s’est pleinement développée, a pleinement éclos. c’est tout à fait comme si l’on avait l’alphabet, les mots, les signifiants, qu’on les avait couchés, mais qu’alors la syntaxe, ou plus précisément le signifié n’avaient pu alors surgir, se dégager.

je sors d’une petit enfer de quelques semaines.

là soit je m’enfonce dans une période de merde, soit lentement, posément je construis autre chose. je sais faire. mais dans le calme ce coup-ci.

faire le disque quand même.

repartir à nu, je connais déjà ça… mais ça n’est ni un drame ni un échec… juste une évolution.
et puis j’ai une base solide : S, mes filles… et les savoir-faire que j’ai en main.

ce matin travailler quand même, se forcer à… continuer… cela est étrange.

construire pour aller vers du mieux, lorsque quelque chose est épuisé… c’est presque une chance en définitive.

en fait je suis comme soulagé, libre. trop longtemps que je tenais à bout de bras des trucs usés (…) le prix de la liberté est parfois cher.

tout ce qui se joue dans les premiers instants est important : comment l’on aborde l’événement, dès son immédiate survenue, est l’ébauche de la façon dont on abordera la chose ensuite…
je ne sur-réagis pas, et c’est bon signe.

quelque chose était épuisé, que je n’ai pas réussi à revivifier, mais ce n’est pas un échec, c’est normal, ce sont les grands cycles de vie. maintenant cela va remonter.

je suis presque comme soulagé d’un poids énorme. je ne sais pas comment vont se passer, comment je vais vivre les semaines à venir, mais je vais vers du nouveau…
je tenais quelque chose qui n’était plus tenable.
c’est comme un silence de fond soudain… et j’espère que ce sera celui d’un calme, d’une création nouvelle, d’une libération.

et c'est alors que l'on comprend véritablement tout le poids que l'on portait…

je peux me libérer aussi du système contraignant, quasi aliénant parfois, si aléatoire du système résidentielle et de financement qui est celui de ces artistes particuliers, sans statut, que sont les écrivains.

je suis libre.
en définitive, j’ai ce grand champ devant moi, à moi d’en faire quelque chose d’intelligent, pertinent, percutant, tout en me donnant le rythme qui me convienne.

et je retrouve ces notes du je 12.12.13 :
désormais l'avancée profonde ne se fera plus par l'avidité, l'accumulation, la faim, la quête sans cesse. mais bien plus dans le désamorçage progressif de ce speed, dans l'abandon de la frénésie, dans la réduction.
le bagage est déjà plein de savoirs, d’expériences par accumulation, il s’agit de connaître ceux par dépouillement.
cela va ouvrir toute grande une place énorme... dégager un espace, une respiration à ce qui était lieu engoncé.
il ne s’agit pas de lutter contre soi (vain), mais de comprendre, de voir, et depuis là de ne pas alimenter la souffrance (elle n’est pas énorme, elle est là, au minimum comme chez tout un chacun, ontologique, constitutive du vivant ), et d’apaiser.

in Refonder - grand temps

ce changement n'est pas seulement un changement professionnel, en faire aussi l'occasion d'un changement de fonctionnement intime, plus calme, plus posé, sans enfermement par soi-même...

construire autre chose, cela peut-être captivant, renouvelant…

et il n’est probablement pas sans hasard que ce soit aujourd’hui, en ce jour d’effondrement d’un fonctionnement, celui où j’avais cru pouvoir vivre encore quelques temps de mon écriture, de ma poésie, de ma prose, que je me prenne à nouveau comme sujet après mes doutes profonds quant à ce journal en fin du mois précédent. car si « c'est moy que je peins (…) que je suis moy−mesme la matière de mon livre » comme disait l’autre, c’est d’abord l’homme que je tente de dépeindre. et pour cela il faut se croire, se voir non comme un exemple mais comme un exemplaire, simple, commun, faillible, de notre humanité sapiens, celle d’aujourd’hui mais peut-être aussi plus largement celle de toute époque de cet animal particulier, debout, aux mains et à la bouches prééminentes, au cerveau enflé, que nous nous sommes.

et alors, et donc je me dépouille encore plus aujourd’hui, ici, de toute prétention… s’il n’est pas prétentieux de dire cela.
et j’ai la prétention là pour le coup de croire que cela ne sera pas néfaste pour ce que je tente de faire, de dire, de laisser, de tracer…

et il n’est aussi sans doute pas sans hasard alors non plus que j’ouvre ces jours-ci un nouveau chapitre à ce journal, que j’en ressente le besoin, besoin qui était tout d’abord latent depuis quelques semaines, à peine conscient de sa signification, de celle qu’il allait prendre sous l’éclairage des faits à venir…

et quant à continuer, la question ne se pose même pas.
écrire n'est pas quelque chose que l'on fait mais quelque chose que l'on est.

 

me 23.04.14
Paris.

et voilà maintenant que j’apprends une autre nouvelle, d’importance, intime…
quelle est cette statistique qui préside, et veut que les grands événements arrivent rarement seuls ?

quand en moins de 48 h une très grande partie de votre vie professionnelle et familiale change…
ces cycles (bas-crise-usure puis renouveau-remontée) ne sont-ce que des cycles personnels, intimes, ou bien généraux, communs… voire universels ? cycles du vivant ?

l’occasion aussi de commencer à fonctionner autrement, mieux, plus posément.
et comprendre pourquoi ça bouchait avant.

trouver nouvelle articulation : famille – boulot - écriture.

en l’espace de deux matinées j'aurais donc appris le meilleur et le pire, quoique il y ait évidemment pire.

en fin de journée, atterrir peu à peu, les pieds reviennent un peu sur terre…

soirée café chez Karol… revoir les potes du quartier… discuter, boire, rigoler, dire quelques conneries, dehors…

« today is the first day of the rest of my life. »

 

je 24.04.14
Paris.
ciel blanc lumière.

les changements sont d’importances, profonds, mais je peux enfin à nouveau construire…
et cela je le mènerai de façon à la fois beaucoup plus posée et beaucoup plus puissante que lorsque j’étais plus jeune. c’est-à-dire qu’il y a un certain calme, une certaine assise que je peux encore apprendre à vivre qui sera une force supplémentaire.

éditeurs
disque
world poetry tour

seul donc pour 2 semaines à la maison.

 

ve 25.04.14
Paris. Rambouillet.
pluie très soutenue.

on part en grimpe d’arbres. on tente le coup quand même, espérant une amélioration en journée.
on passe finalement, en partie, à travers la pluie…

les réussites ou les échecs de la recherche, de l’aspiration profonde, du rêve que l’on se sent de mener sont pour moi pleinement séparés des réussites ou des échecs des financements accordés pour cela.
et il est heureux que cela soir clair en soi.