je 20.03.14

Paris.
ciel parfaitement dégagé. équinoxe. c’est donc le printemps, mais il a déjà commencé il y a trois semaines, à moins que ne revienne un épisode de fraîcheur. mais quand bien même l’hiver a été ici si extraordinairement doux, il n’a presque jamais gelé, que je ne suis pas sûr d’avoir déjà vu cela sous cette latitude.

je reçois traduction de certaines de mes poèmes en cyrillique russe. ce sont des signes pour moi plus obscurs encore, moins évidents je crois que les signaux pariétaux…

se vouloir, toujours, être libre.
son insupportable contraire.

 

ve 21.03.14
Paris.
cumulus.

service des visas.

 

sa 22.03.14
Paris.
quelques averses brèves, subites, presque giboulées. il n’a pas plu depuis plusieurs semaines.

étapes :

  1. identifier
  2. accepter
  3. abandonner
  4. apaisement

dans le creux entre deux projets : je connais bien ces phases, qui se répètent, très ressemblantes… un projet est achevé, l’autre « charge » seulement et il ne requiert pas encore un travail intense, puisque ce n’est que dans le temps, la durée, l’attente parfois, qu’il émergera peu à peu. dans cet entre-deux des temps de latence donc, de léger flottement.

Dans le Drame de la vie, j’étais donc devenu une fontaine de noms, et je voyais vraiment le monde comme ça, des successions de générations…

Valère Novarina
entretien avec Nathalie Jungerman
fondation La Poste, mars 2014

 

di 23.03.14
Paris.
ciel de giboulées, quelques minutes de grêle, de ciel noir…

parole claire c'est percevoir clair, vivre clair.

conflit sans doute entre nécessité ressentie d'indépendance et désir de communauté, entre nécessité de liberté et désir d'autorité naturelle (pas imposée).

 

il me faut recentrer, me reconcentrer.
quelques temps, ne pas écouter les voix extérieures.
revenir à ma concentration intérieure
où il me semble voir mieux
percevoir plus clair
vivre plus net
où il me semble
gagner un peu d’acuité
de justesse
fragiles.

écouter de là.

 

plus tard : pas sûr que ce soit la solution d’ainsi s’isoler, signe même, symptôme du coup de mou. nous ne sommes toujours que des poupées de chiffon dans la main du destiiiin…

 

ma 25.03.14
Paris.
gris, pluie.

gestion triviale depuis deux jours, puis creux… en lisière de l’ennui, toxique.
le rythme de l’indépendant : toujours passer du trop plein au trop calme… des jours trop denses aux jours trop vides…

nœud résiduel d’anxiété - speed de fond – toxicité de l’enfermement : tout cela est lié, et tout cela peut encore plus être apaisé.
tout cela sans doute s’appelle « comportement maniaque ».
comment le dépasser et trouver calme de fond là-dedans, renouveler avant que l’eau de l’enfermement ne croupisse ? en sachant rouvrir régulièrement, périodiquement, ce que je sais et fais déjà en fait, mais cela n’empêche pas d’en sentir parfois tout de même l’acide corrosion.

je me traîne, psychiquement nauséeux.
l’occasion de s’interroger, de tenter de comprendre un peu mieux les ressorts psychiques-chimiques profonds, de savoir agir dessus, désamorcer…
réflexion que je garderai pour moi, ici.
sensibilité crue, production de pensée à un rythme vertigineux, trains d’idées jusqu’à l’embouteillage parfois, incapacité à repousser une idée, notation de tout, souci d’organisation, de rangement et de maîtrise permanente, sur-activité mentale, rythme d’activité obsessionnelle à haut débit, tâches réalisées concomitamment, toutes ensemble, sur-réactions, d’où baisse aussi de la lucidité… cycles d’ascensions et d’effondrements devenus avec le temps, la connaissance de soi, et quelques médocs heureusement rares, cycles moins cruels de hauts et de creux.

 

me 26.03.14
Paris.
ciel bleu-blanc, plus clair qu’hier quoique voilé. 7 degrés à 10 h, temps de saison en définitive…
la première tulipe, rouge sang, un point, un bourgeon luisant, ovoïde, éclatant au milieu du jardin vert.

poursuite de la réflexion d’hier.

je raconte un monde, par parcelles, depuis un seul œil, pris dans le flux ininterrompable de la durée. comment pourrait-il en être autrement ?

 

je 27.03.14
soleil.

parole claire oui mais parole libre aussi, sans ça rien n’est possible, rien n’est dicible peut-être même.
mais tenir une parole libre ce n’est pas seulement penser libre, et ensuite filtrer ce que l’on rend public comme propos. c’est tous les tenir, les soutenir. quoique faut-il rendre public tout propos ? n’est-ce pas là l’un des travers, manie, de celui qui écrit, du graphomane ?

 

ve 28.03.14
soleil.

la façon dont je ne pensais plus clairement ces derniers jours, une façon légèrement biaisée, difficile à cerner, comprendre, décrire tout à fait… une façon qui tourne sur elle-même, se noue en elle-même.

préparation des concerts et dictures à venir, et je répète assis au soleil, yeux fermés.

revenir dans ce journal à une portée plus universelle, mais sans doute que le trop personnel de ces derniers jours est dû au renfermement cérébral que je subis ces jours-ci.
se sentir tout le temps. damné merdier !
décentrer parfois. sortir de soi... quel bonheur parfois quand ça ouvre enfin, que l'eau fraîche, l'eau neuve des autres, du dehors, entre !
on n’est pas toujours fringant !
basta.
toute l'ambivalence, la difficulté (dans le travail de journal par exemple) de se prendre comme sujet, exemple d'une humanité plus large, sans pour autant trop se perdre en soi, se retrouver même peut-être comme quasi pris au piège...
cela recoupe aussi ces cycles psychiques, que je connais bien, et pour les connaître bien je sais aussi qu'ils sont moins profonds qu'avant et surtout qu'ils vont passer... pourtant, pourtant, on les éprouve tout de même cruellement encore…
mais basta, haut les cœurs. chaque journée a sa beauté !

bref. peu d’intérêt ces jours-ci, cette période-ci (hors pour soi-même, et encore), dans ce pauvre journal des jours qui dégoulinent, passent épais. fais ce que peux. s’en faire pardonner.

 

sa 29.03.14
grand soleil.

de l’apport concret de lire les autres lecteurs lisant, quelques citations… :

Chaque lecteur est quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans ce livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même. La reconnaissance en soi-même, par le lecteur, de ce que dit le livre, est la preuve de la vérité de celui-ci.

Proust, Le temps retrouvé

 

Rilke : « Non pas chercher les mots pour dire ce qu’on voit, mais trouver les mots pour que soit dit et inscrit que nous sommes regardés, ouverts, transformés par ce que nous voyons. » (…) et Rilke peut affirmer : « Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s’accomplit dans une région que jamais parole n’a foulée. »

in George Didi-Huberman, Phalènes (p 182)
à propos des « Cahiers de Malte Laurids Brigge » de Rilke

 

La poésie, celle que je lis et celle que parfois je m’essaie à écrire, m’aide à regarder les choses de manière plus attentive, me permet de mieux écouter les voix et les destins des personnes. Encore plus aujourd’hui, je crois que ce pouvoir particulier de la parole poétique dépend avant tout du fait qu’elle est aussi marginale, aussi exilée, aussi hors jeu, aussi inutile et aussi invisible. C’est précisément à cause de cela qu’elle sait voir et sait écouter ; et quand elle parle, elle le fait d’en bas, à partir d’une expérience quotidienne commune et partagée. 

Fabio Pusterla, Dortoir des ailes
Traduction : Claude Cazalé Bérard, Ed. Calligramme, p. 50 

 

cette extrême attention, sensibilité, permanente, au monde.
qui est source tout à la fois et de légèreté, de joies sereines, et de poids, de lourdeur poisseuse.
écœuré d’ordi et de ce journal et de soi dans ce journal, comme on l’est d’une addiction engluante ou d’un vieil alcoolisme.

témoigner de ça aussi. tristement ou pas, je ne sais pas.

témoigner. témoigner de. continuer de témoigner. témoigner de quoi ?

épuisé
changer de fichier de journal. break.

tout dire, s’épuiser à

trace
constance
constat des constances (dans ce que laisse un homme) malgré la déperdition, le fait de la perte.
le fait de la pérennité, vaine forcément, ici.

bon de discuter avec les autres
sa névrose propre s’ouvre alors, se confronte alors à celle des autres, on n’est pas seul.

 

écrire sans nom
comme ceux des grottes ? l’attachement à l’auteur n’a pas toujours été…

tenter de dire, malgré tout, tant bien que mal. plutôt mal le plus souvent, forcément.

s’imposer une cure de non-écriture pendant plusieurs jours, cela finit par me ravager le cerveau…

du silence.