ve 21.02.14

Paris.
le soleil perce avec force au travers de très gros cumulus et cumulonimbus, blancs à leur sommets, noirs à leur bases, très basses, près du sol.

j’ai fait les toutes dernières modifs dans bref, et ai fini la dernière relecture, sur papier.
rentrer maintenant ces corrections dans l’ordi, maquetter un peu précisément, et c’en sera fini.
le laisser à l’ombre quelques mois avant envoi, que je ne peux faire de suite car il y a à peine quelques jours j’ai déjà envoyé les 1 300 pages du volumineux tapuscrit de Refonder à quelques éditeurs importants.

 

sa 22.02.14
Paris.
presque pas vu le jour, avant la nuit… humide semble-t-il.

recyclage formation secourisme : hémorragies, trauma, inconsciences, arrêts ventilatoires, cardiaques, obstructions voix aériennes, etc… l’occasion, un peu comme lors des trois jours militaires, de rencontrer nombres de « profils » que l’on ne croise que peu habituellement.
et cela aussi me rappelle, me fait remonter quelques uns des secours, des événements que j’ai pu vivre dans ce « domaine » : la personne, déjà décédée, froide, que nous avions découverte dans sa voiture, plantée contre un arbre, et les difficultés pour se faufiler et tenter un massage cardiaque avant l’arrivée des pompiers ; divers autres accidents de voitures graves où, seul ou accompagné, nous avons été les premiers arrivés sur les lieux ; le sauvetage d’un guide, avec hélico, dans une face rocheuse de 350 m de haut ; enfin ma propre chute en escalade, de 17 m de haut, le pansement de compression réalisé sur les plaies très larges avec les jambes de mon pantalon lacéré, et les trois-quarts d’heure à ramper dans la garrigue du Verdon, aidé par mon collègue, avant de trouver une voiture sur le bord de la route qui nous a permis d’arriver, de nous-mêmes, à la caserne des pompiers…

pas toujours de souffle, de magie, dans un journal comme celui-ci… c’est alors sans doute, même dans la trivialité des jours, du quotidien, savoir là aussi dire le commun. le commun qui justement possède deux sens : ce qui est banal, mais aussi qui est partagé.

recherche de soi, compréhension, auto-connaissance calme et lente.

construire, sans cesse. être constructeur. être né ainsi.

 

di 23.02.14
Paris.
15 degrés à midi.
je bosse fenêtre ouverte. un rayon de soleil traverse le bureau.

dernières corrections saisies. j’actualise les dates, en fin de texte. bref est fini ce jour.
débuté le 13.05.2012, cela s’est développé donc sur 1 an et 9 mois de travail.

aurais-je toujours à dire ? et si je n’ai rien à dire peut-être cela n’est-il pas vraiment grave ?… peut-être même que ça réduirait un peu le bruit, le dérangement… peut-être qu’après avoir déjà tant dit, ce serait le signe d’une plus grande sagesse, d’un peu de paix, de compréhension trouvées ? que l’on ne cherche à dire que ce que l’on ne comprend pas pleinement ? quoique il y ait aussi en plus de l’écrit comme recherche le fait de l’écrit comme constat, que l’on a également élan, velléité pour dire ce que l’on a compris, saisi, touché…

traversée d’une bonne partie de Paris, à pied, dans la douceur.

 

lu 24.02.14
Paris.
ciel bleu, seulement quelques rares voiles de cirrus. un temps de printemps, il fait extrêmement doux, et cela rend comme ivre.
les jacinthes ont fleuri.

Caravaca m'a appelé il y a quelques jours en pleine nuit, à 3h49 exactement, me disant que c'était bon de cheminer avec ce que je lui ai envoyé. il est en train de lire l’énorme tapuscrit de Refonder.
le lendemain c'est Yan Allegret qui m'écrit dans le même sens.
tout cela évidemment me touche.

 

ma 25.02.14
Paris.
plus frais et menaçant qu’hier.

boulot, gestion.
en soirée, je reprend le journal Virginia Woolf, lu il y a une quinzaine d’années.

j’en sais un peu plus de ma virée en Russie : Moscou donc, puis Samara, située au bord de la Volga, de sa grande boucle, à plus de 1 000 km au sud-est de Moscou, et Togliatti sur la rive gauche également de la Volga, à 95 km en amont de Samara, en face des monts Jigouli, ville nouvelle et lieu d’implantation de la plus grande usine automobile du monde…

 

me 26.02.14
Paris.
journée de boulot dans les arbres.

peut-être écris-je ici aussi pour relire cela dans 20 ou 30 ans ? je ne crois pas que ce soit le but premier (le but premier est l’exploration, du temps, du fait d’être), mais, de fait, cela constitue une archive de ce que l’on a été, de ce qu’ont été les choses, au filtre d’un œil. peut-être alors plus tard, à un certain âge plus avancé, y aura-t-il plaisir de relire ce qui est devenu passé.

 

je 27.02.14
Paris.
méditation fenêtre ouverte devant la pluie fine, continue, froide.

boulot, gestion. préparation des sacs de montagne. choisir consciencieusement le matériel le plus adéquat, le plus léger.

je me documente assidûment sur l’histoire russe, en particulier son histoire politique récente.
ce que je vais découvrir peut-être de différence entre la capitale et des villes plus excentrées, des « bénéfices » du régime.
j’ai toujours été attentif aux situations des libertés, mais là, avant mon départ, je me documente donc un peu plus précisément pour partir moins aveugle, pour peut-être voir mieux, sur place…
que dire, que pouvoir dire en public (sur le net par ex) avant d’aller là-bas, en Russie ? l’une des premières fois je crois que je pars dans un pays non démocratique.
il y a encore quelques jours, des opposants condamnés aux camps, les Pussy Riot tabassées, fouettées même, à Sotchi, la charnière ukrainienne, ligne de fracture entre deux blocs, oscillant au bord du déséquilibre…

 

ve 28.02.14
Paris. Val d’Arly

départ en montagne.
il pleut si fort durant le trajet en TGV qu'à un moment l'on s'entend à peine : la flotte claque et éclate contre les carreaux comme des fouets. passage de grêle à Lyon.

arrivée sous la neige, avec une route peu facile, allers retours et montées à pied au chalet, dans la fraîche, avec les sacs.
le chalet, d’un membre de la famille, a été construit autour d’un ancien mazot en très vieux mélèze brun.

Je ne prie pas pour que la parole m'apparaisse. Elle devient, et au comble de l'absence, le voyage vers elle est une très secrète appréhension du toucher par le regard. L'illumination ne vient que beaucoup plus tard quand j'ai aboli les privilèges de mes sens et qu'elle demeure seule à me rêver.

A.M.

 

sa 01.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
des brouillards montant du fond de vallée.
peu froid, quelques éclaircies. ski toute la journée. apprivoiser les nouvelles planches et chaussures de ski de rando.

au soir, au retour, passage de fatigue, puis boulot, gestion dans ma petite chambre de bois du mazot, dans l’ex petite pièce à foin.
sortir les peaux de phoques dans les jours à venir.

 

di 02.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
ciel voilé, des strates de nuages restent bloquées presque toute la journée entre deux altitudes nous cachant les sommets des Aravis et du Mont-Blanc.

ski. fatigue puissante, saine du soir.
peigne des falaises sommitales de la crête des Aravis, Mont Charvin et Mont-Blanc apparaissent au soir, avant le coucher de soleil.

rien n’avoir à dire. ne rien dire.

 

lu 03.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
il neige.
mais il y a tout de même pas mal de visibilité.

prendre le temps en matinée, peaux de phoque dans l’après-midi. éprouver à nouveau le corps montant. la trace.

 

ma 04.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.

peu froid, bancs de brouillard en fond de vallée, mais qui remontent en fin de journée et viennent doucement nous inonder.
ski alpin avec les petits neveux et nièces qui descendent comme des p’tits gars de montagne, puis montée en peaux après l’alpin… de petites dénivelées pour reprendre doucement… plusieurs années que je n’en avais fait… la grimace sous l’effort, et son plaisir… le luxe d’être le dernier à descendre en fin de journée. la pente, la montagne pour soi. faim de loup au retour, belle fatigue tranquille.

de la difficulté d’écrire ici, en montagne, d’être en travail de cela, alors que le corps est déjà tout requis par son action physique, et son rapport puissant à la présence prégnante, mobilisante de la montagne.

bref fini donc depuis une dizaine de jours. comment le verrai-je dans quelques mois quand je l’enverrai à des éditeurs ? je ne suis sûr de rien.

je continue à écrire, lentement, le disque. note surtout des envies musicales, vocales.

Le talent c’est l’envie.

Brel

cette citation du grand Jacques me cause particulièrement, car je n’ai jamais senti autre chose que de fonctionner ainsi, à l’envie, à la passion, de mobiliser toute énergie dans la direction d’un souhait que l’on ne veut pas seulement rêver mais « mener ». pour moi il n’y a quasiment pas d’autre talent que cette mobilisation pleine, voire totale, avec risque, voire imprudence, de tout le bonhomme vers son but … à espérer aussi que ce but ait un petit bénéfice pour autrui.

 

me 05.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
grand soleil sur les pentes, les forêts blanches, les rochers noirs.

(…) il existe un avilissement physique, et à la longue mental, de l’individu noyé dans la foule, forcé d’en subir les contacts, une pollution de la promiscuité.

Samivel

station, ski, etc… : la folle abondance de biens et de loisirs rend impatient, et insatisfait… au contraire de ce qui est en définitive recherché.

le journal, ou plutôt l’exposition en quasi direct du journal : la difficulté de tenir le crachoir toujours, de tenir la pensée à haute voix toujours.

 

je 06.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
soleil toute la journée. la neige fond et se transforme à grande vitesse.

la « caisse » revient, le plaisir du corps dans l’effort… la fatigue et l’appétit se réduisent, signe que le corps s’acclimate aussi.
la neige fondant le jour regèle la nuit et on la trouve dure au matin, puis elle se transforme à nouveau dans la journée, se ramollit, et devient dans la plupart des différentes expositions une « polenta » assez lourde mais suffisamment skiable pour pouvoir tracer de belles signatures dans quelques pentes, que je vais chercher en remontant en peaux.

écrire n’a jamais été un choix, cela s’est imposé, c’est en soi.

je veux pouvoir parler librement dans ce journal. or la publication quasiment en temps réel m’en empêche parfois : l’intime et les proches, certaines idées très personnelles, des opinions parfois ne peuvent pas être soumis à l’exposition, alors même que j’éprouve le besoin de les noter, de les fixer, de les clarifier. dans ce cas l’exposition n’est ni un bénéfice ni un but, et elle n’est plus souhaitable. la « scène » d’une écriture, d’une pensée en train de se faire, en train de se mener (car c’est tout de même aussi de cela qu’il s’agit, d’une scène, cela n’est pas pour moi péjoratif) est alors dépassée.

demain partir seul en peaux, monter au sommet, dépasser le monde, les pylônes, le bruit, aller sur la crête, regarder, écouter, se taire, devant le déroulé des massifs…

 

ve 07.03.14
Val d’Arly, Bellecombe.
grand beau, chaud même.
balade en ski de rando sur les crêtes sommitales.

À l’époque moderne, la poésie se trouvera confrontée à une telle masse prosaïque qu’elle n’arrivera pas à se frayer un chemin.

Hegel

 

sa 08.03.14
Savoie, Isère.
redescente des montagnes, chez le paternel. le grand beau continue, l’anticyclone puissant et généralisé sur l’Europe est là pour quelques jours.