di 19.01.14
Paris. Lyon.
lever avant le jour.
au petit matin, la ville bleue, dans l’échancrure de la Seine.
Lyon : passage à notre ancienne maison, brûlée il y a deux ans. elle a été rasée il y a quelques jours, arasée jusqu’au sol. il ne reste que quelques angles de mur, une façade d’à peine deux mètres de haut, côté rue, mais lorsque l’on ouvre la dernière porte restante il n’y a plus rien derrière, que les gravas et le jardin, comme ces façades de cinéma. dernier reste aussi, la cave voûtée, qui servait d’abri pendant la guerre : elle est crevée, béante, vaste trou dans le sol, devant nos pieds et les chenilles de pelleteuse. étrange aussi d’apercevoir le vaste jardin ainsi sans obstacle, d’apercevoir des arbres là où auparavant se dressait la maison en travers de notre regard… la route tourne.
lu 20.01.14
Lyon.
ciel gris, le plafond nuageux effleure le sommet des mont du Lyonnais, à l’ouest.
bricolage pour installer définitivement ma mère.
diner avec Régis Poulet.
ma 21.01.14
Lyon.
ciel chargé.
bricolage, mais à un rythme peu soutenu. en fin de journée, soirée longue et calme.
me 22.01.14
Lyon. Cévennes, Ganges.
ciel gris. le froid est quelque peu arrivé.
train : nous retrouvons, en avançant, la lumière du sud... sur la garrigue, les calcaires, le Vercors et le Ventoux blancs au loin.
content, heureux de retourner dans les contrées « sauvages », le grand dehors, les forêts, les plateaux, les landes, le vent, le froid peut-être.
je 23.01.14
Cévennes, Ganges. chez Se et M.
ciel très bleu, quelques colonies de nuages… la luminosité du sud sur le mur de pierre de ma chambre.
ce matin devis, gestion, écriture, dans mon petit bureau.
je reçois une invitation pour une lecture à Moscou et éventuellement à Rostov, Nijni Novgorod, Saratov, ou Samara… Novgorod, sur la basse Volga au confluent de l’Oka, évidemment cela me sonne Cendrars… ah, traverser la Russie au son du train et de sa poésie roulante, magistrale : la légende de Novgorod comme sa prose de la petite Jehanne…
puis balade sur les crêtes calcaires de garrigue, au-dessus des petites barres de falaises. au-devant, au large, tout autour les multiples plans bleus des collines, des bords des Causses, de l’Aigoual comme un gros volcan bouclier, saupoudré de neige, et même du Ventoux, bien au loin, lui aussi en partie blanc, et de la mer, au loin loin…
ve 24.01.14
Cévennes, Ganges.
ciel blanc, fraîcheur.
journée au calme, nous restons à la maison et travaillons.
bref : dans les phases ingrates. je me cravache, je n’y arrive que peu, que mal peut-être aussi. 1 an de maturation, 2 mois d’écriture continue, puis bientôt 1 an à le nourrir, le polir, à établir des choix, l’orienter par touches successives.
il fait frais, humide, les nuages barrent les montagnes, comblent les gorges de l’Hérault, de la Vis, du Rieutord… et la nuit tombe.
sa 25.01.14
Cévennes. Camargue.
méditation, écriture tôt le matin. les sommets des collines sont liserés d’un très mince ourlet orange peint par le soleil levant.
nous partons voir la mer avec Se et M.
nous remontons les dunes et la plage à pied, léger vent, froid, puis le ciel s’ouvre et le soleil apparaît, petite sieste au sommet de la dune dans le creux ébouriffé de grandes herbes, caressés par le soleil d’hiver, les formes du sables du bombé lisse au creux vaguelé, du strié dans le sens du vent aux dessins annelés de vase noire prise dans le sable… après avoir hésité un peu je me baigne, un 25 janvier, et étonnement, l’eau, froide bien sûr, ne mord pas trop. je m’asperge, je me coule dans l’eau, je suis vivifié comme un gardon, nettoyé des fatigues, éveillé.
di 26.01.14
Cévennes.
ciel pur. du bureau que me prête Se, au travers de l’encadrement de la fenêtre que j’ai laissée ouverte à la fraîcheur du matin, est posé un exact triangle de ciel purement bleu, souligné par une fine ligne de tuiles oranges puis, dessous, un pan de mur de pierres, blanches, grises, parfois presque noires, pierres roulées, extraites très probablement des gorges qui ceinturent Ganges comme des douves naturelles.
grande, belle nuit, formidablement réparatrice.
j’essaie de travailler dans le silence autour, le silence en moi.
vers une heure, le ciel vire au blanc.
chacun travaille, écrit, lis, puis nous préparons avec Se les sacs, les vivres pour partir demain quelques jours dans la cabane d’hiver, sur le Larzac.
je travaille sur bref : j’arrive en fin de journée à finir une couche de travail, à traverser l’ensemble du manuscrit… et c’est un travail de concentration démoniaque. c’est aussi ce que je voulais mener à bien ici.
Quand le silence et la paix s'établissent en moi, que je me trouve au plus loin de ma solitude, je sens que je suis centré et comme ancré dans l'essence de la vie. En de tels instants, le meilleur m'est donné, et au plus intime, je ne suis plus que jouissance, ravissement.
En songeant à ces instants, il m'apparaît que s'il existe un sacré, il ne peut être que celui-ci. Il réside en notre for intérieur, là où nous oeuvrons à nous connaître, là où nous aspirons à vivre le beau, le bien, l'illimité (tout cela n'est qu'un seul processus). Le sacré qui était auparavant défini par l'Eglise et la religion n'a plus d'existence. Celui qui le remplace se confond avec le plus fondamental de nous-même, ce que nous avons de plus précieux, ce que nous devons vivre avec un maximum d'attention et de conscience. Toutefois c'est malheureusement ce que nous méconnaissons, tant le visible nous requiert, nous détourne de cet invisible qu'il est si facile d'oublier.
Il nous faut maintenir l'équilibre entre ces deux mondes qui rentrent souvent en conflit et font de nous des êtres déchirés par d'insolubles contradictions.Charles Juliet "Apaisement" Journal VII 1997-2003
(P.O.L. décembre 2013) p 107
lu 27.01.14
Causses. Larzac.
on fait la route avec le camion de Se par Le Vigan, Nant…
je retrouve la yourte. le Causse.
l’atmosphère de la yourte, de la cabane.
allumer le poêle, premier geste. le bois est humide, c’est qu’il a beaucoup plu ici ces dernières semaines. ça fume. la cabane n’a pas dû être chauffée de l’hiver.
s’asseoir ensuite, un café, écrire… le silence de suite qui tombe. ce même silence que je retrouve avec l’exacte même texture.
le vent au dehors.
le bruit du grésil qui pique sur la toile.
se taire.
fournir le poêle.
chier dehors dans le vent froid.
partir marcher dans la lande à perte de vue, les collines douces, les buis roux, les roches ruineuses et les petits canyons de dolomie vers le Rajal del Gorps. la lumière rase le plateau comme une lumière de cinéma.
au retour petit grésil qui commence à blanchir le sol. fendre quelques buches au merlin. rentrer au chaud.
l’ennui n’est pas fonction de l’activité mais du rythme.
le capricorne dans la poutre qui soutient le capuchon de la yourte que j’avais laissé l’année dans sa vie petite a bien avancé… lui ou son fils… une bonne partie de la poutre est mangée…
peu à peu, je constate ce qui a subsisté, changé, disparu, et les traces de mon passage l’année dernière… les résidus de chiottes que j’avais recouverts de neige ont presque totalement disparus. le pavage que j’avais construit en pierres devant la porte a un peu bougé, le billot n’est plus là…. je retrouve l’ambiance, la qualité du silence, le rythme peu à peu d’ici.
je ne sais ce qui a, éventuellement, changé en moi depuis, mais je sais que le mois passé là-bas l’année précédente avait été « plein », et il me laisse aujourd’hui, trace subsistante, s’effaçant aussi peu à peu, une impression de calme, de temps lent…
je lis Zweig.
ma 28.01.14
Causses. Larzac.
tout est blanc au réveil. quelques centimètres de fraîche uniforme sur le sol, les collines bombées, les pins japonisant.
faire le feu, méditer, le café, écrire… se faire des œufs et du lard, tenir le feu, partir marcher…
balade vers Loulette, steppes nues et collines, quelques heures. bar à militaires à la Cavalerie, 3 personnes, plus nous. piste… chapelle de la Clapade en bout, en bord de Causses, de falaise, d’une tour grise jaune ocre de dolomie. descente par le chemin des spéléos à la grotte du même nom. s’enfoncer dedans, un peu, à la frontale, deux grandes salles concrétionnées (j’apprends ensuite que c’est une ancienne nécropole de l’âge de fer). piste… piste de terre rouge…
me 29.01.14
Causses. Larzac.
pas trop froid dans la yourte au réveil, et puis l’on s’habitue, s’adapte peu à peu presque toujours à son environnement. on ressent donc moins les morsures de l’hiver. la neige a presque toute fondu, subsistent seulement quelques rares lambeaux dans les creux d’herbe.
on range. on rentre par les plus petites routes possibles.
je 30.01.14
Cévennes. Ganges. Paris.
ciel de plomb, bas.
travailler à la table. écriture, gestion, écriture.
avec le net, pouvoir ainsi travailler tout en voyageant…
je lis une bonne partie de la journée des entretiens avec Prigent : SILO | Textes libres, y retrouve nombre de choses connues, re-connues à propos de la langue.
faire le sac.
avant de partir j’avais besoin d’air, je rentre et j’ai besoin de tranquillité chez moi.
sur la route un coucher de soleil rasant sous le ciel noir, menaçant, et, surtout, un arc-en-ciel comme jamais je n’en ai vu : énormément large…
le journal est d’abord le réceptacle, avant que d’être l’histoire et le corpus.