ve 25.10.13
Paris.
les feuilles du prunier, celles du robinier, passées au jaunes il y a quelques jours, désormais tombent.

il pleut.

bref : j’attends… que ça recharge.
je n’ai jamais voulu me presser pour ce volume, trop important peut-être à mes yeux, et je veux qu’il s’accompagne de longs murissages, longs polissages, périodes où je le laisse reposer pour obtenir un tout petit recul, ensuite.
bosser ça à l’abri. l’un des rares manuscrits, depuis 15 ans peut-être, dont je n’ai rien montré, dont je n’ai pas mis en scène l’émergence, la montée, « l’en progrès », en en exposant le texte.
c’est là que je me tais.

faire, juste faire, et, s'il le faut, en taisant.

 

sa 26.10.13
Paris.
les feuilles jaunes, cueillies, arrachées par les rafales, volent obliques, tombent ou montent dans le sens du vent et prennent soudain les flashs des rais de soleil.

 

L’écriture courante que je cherchais depuis si longtemps je l’ai atteinte là. Maintenant j’en suis sûre. Et (…) par écriture courante je dirais écriture presque distraite. Qui court. Qui est plus pressée d’attraper des choses que de les dire, vous voyez. Mais je parle de la crête des mots. C’est une écriture qui courrait sur la crête. Pour aller vite. Pour ne pas perdre. Parce que… Quand on écrit, c’est le drame. On oublie tout, tout de suite. Et c’est affreux quelquefois.

Marguerite Duras – émission Apostrophes, 1984

écriture courante à rapprocher de parole claire.

il pleut. j’aime ce bruit de percussions claires, chantantes.

au soir, atelier du plateau : voir du cirque encore, des clowns encore.

 

di 27.10.13
Paris.
flamboyants jeux dans les arbres, de vent, de lumière, de nuages, entremêlés.

pour arriver à quelque chose, il va me falloir à nouveau centrer le travail sur bref, mobiliser pleinement là, répartir les autres tâches autour de cela.

aujourd’hui juste méditer, écrire. écrire dans le silence en soi. tenter le calme, le lent, l’abandon…
aller au parc, s’allonger, regarder le ciel, seulement.
dans l'après-midi le plafond nuageux se densifie, s'homogénéise en variantes de gris occupant tout l'espace du ciel, défilant continu d'ouest en est comme une nappe tirée lentement au-dessus de ma tête.

changement d'heure.
la nuit si tôt tombée.

le parler-chanter : le parler à la ligne mélodique très légèrement augmentée.

 

lu 28.10.13
Paris.
à 6 h 30 méditation, fenêtre ouverte, comme presque toujours. c’est quasi la tempête, les arbres agités comme des herbes, la pluie rentre dans la chambre.

Fabrice Caravaca et Pauline ce soir à la maison, en partance pour le Canada. Christophe Manon nous rejoint.

 

ma 29.10.13
Paris.
ciel dégagé, frais au matin.
visite de sites d’arbres, peu le temps de bosser à autre chose. fatigue. juste le temps d’une courte sieste, n’arrivant de toute façon plus à avancer dans le travail.

 

me 30.10.13
Paris.
fraîcheur, 8 degrés à 7 h.

chaque matin, depuis lundi, je travaille quelques heures sur bref, aux aurores, moment où l’on peut encore s’isoler des contingences du jour à venir, où l’on est encore plein de nuit, dans une attention réduite à l’essentiel, où l’on trouve encore le silence propice à écrire.
en 2 ou 3 heures, je n’avance dans le rabotage que de quelques lignes… à peine 3000 signes travaillés au corps.
tout cela est lent, par phases ajoutées, successives : les périodes de murissage, sans écriture, les moments d’émergence de contenu nouveau, le travail à la loupe et à l’oreille du corps du texte… mais rien ne presse, et je ne veux être pressé par rien.

la distance étant irréductible du langage au réel, alors à quoi bon ?
s’il est vrai que le langage ne se nourrit pas que de lui-même, il paraît pourtant qu’il ne joue qu'avec lui-même…

La seule littérature nécessaire est toujours réponse à ce qui n’a pas encore été demandé.

Julien Gracq. Entretiens, Corti, 2002

au soir : repas avec S et Franck chez Karole, café afghan, l’un de nos « rades » de prédilection.

 

je 31.10.13
Paris.
l’un des jours de plus grand frais depuis l’été, au réveil la buée est formée sur les vitres.

je travaille sur bref, dans les heures de brumes suivant le réveil. j’avance de quelques centimètres de mots ce que j’appelle le « front de taille ». cela me demande une concentration que je ne peux tenir plus de quelques minutes d’affilée. je multiplie alors les pauses, les détournements, distractions rapides, et reviens à la phrase suivante…

 

ve 01.11.13
Paris.
pluie fine, continue. des oiseaux, trempés, continuent à chanter. luminosité minimale, entrée dans l'automne...

bosser sur bref au lever. il m’a fallu 4 jours pour parvenir à traverser la partie 1.

je ne parviens véritablement à écrire (je ne parle pas du journal, des articles, des commandes, des présentations de projets…) que le matin aux aurores, ou tard la nuit. en dehors des ces moments-là c’est peine perdue.

après un tour à la piscine, un petite marche en ce jour férié, la nuit arrive tôt, humide, dans la fin d’après-midi d’un jour déjà sombre… on rentre et se calfeutre dedans, à travailler, et lire longuement…

S m’offre une fleur, cueillie dans le jardin. chose que je fais aussi, assez régulièrement, mais de sa part cela est plus rare, et cela touche d’autant. pas une fleur de fleuriste, mais une cueillie, voire presque dérobée, ce que S appelle parfois une « fleur de rond-point ».

métiers que j’ai pratiqués : animateur socio-culturel, moniteur d’escalade, ski, spéléo, randonnée, skiman, élagueur, éducateur, directeur de colos, directeur de structure d’insertion, gérant de société, auteur, danseur, producteur de compagnie de danse, éditeur, maquettiste, web bidouilleur, diseur de poèmes sur scène, animateur d’ateliers, prof de fac, conférencier…

je sature complètement d’écran, de vie d’écran…. heureusement la semaine prochaine je file quelques jours.
et non je ne tomberai pas dans les vidéos de chats, mais c’était moins une.

ouvrir.

je regarde le docu « Dominique Mercy danse Pina Bausch ».

Il est très loin d’une démonstration quelconque. C’est-à-dire qu’il est très solitaire sur scène et c’est ça qui fait qu’on le rejoint.

Jean Babilée à propos de Dominique Mercy

une idée soudain alors pour bref, sans doute centrale, nécessaire, importante… pour dire bref, dire le texte.
peut-être, un jour, le dire seul… et être rejoint. j’aime cette grande solitude de scène, où l’on parle seul, que l’on parvient à poser doucement les choses sans artifice, simples, nues, épurées, dépouillées…
créer alors les versions parlées de ce texte, pour la scène, la dicture, et pour un éventuel enregistrement discographique.

 

sa 02.11.13
Paris.
de belles pluies d’automne, par intermittence, brèves. entre temps, le soleil traverse toute cette verdure.

retour d’un coup de mou prenant une teinte mélancolique, fait chier. le traiter.

Lorsque les hommes recourent aux armes, la rhétorique en a fini avec sa mission. Car il ne s'agit plus de convaincre mais de vaincre, et d'abattre l'adversaire. Il n'existe pourtant pas de guerre dépourvue de rhétorique. Et cette rhétorique guerrière a pour caractéristique d'être identique pour les deux belligérants, comme si tous deux tenaient les mêmes raisonnements et s'étaient préalablement mis d'accord sur les mêmes vérités. Mon maître en déduisait l'irrationalité de la guerre d'une part, et, d'autre part, celle de la rhétorique.

Antonio Machado, in Juan de Mairena

au soir : le plaisir avec S des amis à la maison, Thomas et Capri Deschamps, Christophe Manon, des discussions denses, fluides…

 

di 03.11.13
Paris.
très longue méditation, près d’une heure, fenêtre ouverte devant le jardin, dans les 10 degrés ventés du matin.
les feuilles vertes, lorsque atteintes par le soleil, deviennent alors transparentes et jaunes.
dimanche bien calme, à certains moments le silence est quasi complet dans la maison.

au soir, Chevillon (contrebasse) à la galerie Hus : sans loge, la concentration de celui qui va jouer alors qu’il est dans le public… s’absenter de la socialité qui se joue autour de soi pour se centrer dans le silence du dedans.
rencontre avec Blaise Marlin dont je connais et estime le travail innovant de programmation artistique depuis longtemps.

je retrouve ces notes :
l’aporie : aller à l'invention d'une lang adéquate à cet énorme bruit du silence, qui est notre impossible dire
(Refonder | book 0 - fin - 10.11.09)
(…)
la grande différence d’écrire et de parler. en écrivant on peut
revenir ; en parlant on ne revient pas dessus, ça continue, toujours. en parlant on ne rature pas, on n’efface pas. on ne peut qu’en rajouter. parler c’est encore plus être soumis, subir la ligne irrattrapable du temps. parler ça file et c’est irrémédiable. parler ça accumule. ça entasse sans possibilité de retour.
(Refonder | poésie ? (nature de la) - 12.12.12)

 

lu 04.11.13
Paris.
méditation. le bourdonnement sourd, l’énorme rumeur fourmilière, continue, de la ville bouillonnante, dans l’agitation extrême du lundi matin, passe par-dessus la cour et atteint le jardin. le marteau d’un ouvrier heurtant un échafaudage sonne clair, résonnant, au-dessus de la clameur étouffée.

je peine énormément sur bref.
puis, journée rien.

nos toutes toutes petites vies dans lesquelles nous nous débattons.
toujours une petite forme : ne pas arriver à se contenter (au sens littéral du mot) de ce temps libre mais forcé que j'ai… mais j’y parviendrai…
et pourtant j'ai reçu récemment nombre de retours, dont ceux que l'on attend peut-être toute une vie lorsque l'on est embringué dans une chantier comme celui-là, à savoir que quelques uns ont trouvé vos écritures quelque peu nécessaires, qu'elles ont même, à un moment, me disent-ils, aidé à vivre, à garder les pieds en soi, allégé du poids des jours...
cela aurait-il un autre sens de mener tout cela ?

au soir : des amis, cela fait grand bien.

 

ma 05.11.13
Paris.
méditation fenêtre ouverte. pas de pluie, le vent dans les arbres.

enfin une journée plus légère. quelques médocs, une discussion de fond calme hier avec S, un lever calme, un peu de réussite ce matin ont suffit. quelle étonnante, crue sensibilité aux choses…

On peut déceler chez tous les artistes, quels qu’ils soient, un dilemme constitutif, qui relève de l’existence de deux tendances : le besoin urgent de communiquer, et le besoin encore plus urgent de ne pas être découvert (…) C’est ″un jeu de cache-cache sophistiqué (…) si c’est une joie d’être caché, c’est un désastre de ne pas être trouvé.

Winnicott

travail sur le journal, sur bref, sur un article pour l’atelier géopoétique, répétition pour la lecture à Grenoble jeudi.

 

me 06.11.13
Paris.
ciel blanc, plafond peu haut.

je signe mes premiers contrats pour des chantiers d’élagage, ce qui amènera un peu d’activité et de revenus hivernaux.

je finis la énième couche de relecture-écriture de bref : il m’aura fallu 9 jours pour venir à bout de ce qui est déjà écrit, du petit volume.
les enjeux, centraux, cruciaux, de la prochaine couche de travail :

  • ne pas asphyxier le texte, la voix, par trop de densité. redégager le souffle.
  • de même, ne pas tout dire, mais faire, laisser faire, laisser se dire (en particulier pour ce qui est devenu des « personnages » : laisser dire par des situations, et non par des explicitations issues de leurs bouches).

mon souci constant, depuis toujours, probablement depuis la prime enfance, par « caractère » et de par mon histoire familiale, de résistance, de combat contre les pensées, les élans, les actes de rejet, de discrédit, d’exclusion, de racisme, de fanatisme, de destruction, voire de délire fasciste, doit s’exprimer là, aussi.
je ne sais pas encore sous quelle forme exacte, mais sans doute avec la plume comme arme, car avec ces gens-là on ne discute pas. l’histoire, récurrente, nous l’apprend.

 

je 07.11.13
Paris.
dès le matin, méditation, et garder ce temps pour écrire, avant tout chose…
ciel blanc, plafond à peine déchiré de bleu par endroits.

départ et train pour Grenoble. en chemin, ému de retrouver le massif du Mont-Blanc, toute la chaîne alpine colorés du jaune, du blanc de la neige sous le soleil, au loin, au-delà, déroulés, au raz de la plaine…
et les fumée de la centrale du Bugey, qui rejoignent les nuages.

à écouter les discussions dans le TER : maintenant que je suis exilé depuis plus de 20 ans de ces terres, je reconnais des traits typiques, qui sont locaux : certaines expressions, ou accent léger bien sûr, mais aussi, surtout, certains sujets de conversation, certaines façon d'exprimer les préoccupations courantes, ou plutôt la façon de ne dire que les occupations sans parvenir à parler des préoccupations, ressortent ici d'une manière archétypale. évidemment cela se retrouve dans toutes régions, tous territoires, mais c'est ici pour moi immédiatement reconnaissable, audible... et cette grande difficulté à parvenir à faire sortir, à parler, donc à saisir, le fond, en fait sans doute un petit drame quotidien, bien qu'inconscient, et s'exprime aussi par les frictions dues à un affectif qui ne peut se dire.
il est possible de prendre conscience, un peu, de ce qui nous arrive, de ce que nous sommes... mais qui s'empare de cette possibilité, qui en fait usage ?

grève, train très en retard à la correspondance de Lyon, omnibus. arrivée de nuit, je ne peux voir ni Vercors ni Chartreuse. l'inconfort de donner une lecture en arrivant sur les lieux seulement quelques minutes avant, mais je me prépare et je m’échauffe la voix dans le train, en bourdon, en calant ma tonalité sur celle de la micheline afin de ne pas déranger, et arrivé sur place, vite je me recentre.

lecture puis dicture en circulant dans les travées entre le public… puis conférence de R. K ., calligraphe, peintre, graveur, sculpteur algérien qui expose ici et illustre la revue, travail considérable et qui serait tout à fait grand si s’y soustrayait une certaine centration sur lui-même. rencontrer là, aussi, un peu mieux Mickaël Glück, et une belle équipe à l’organisation. de nombreuses personnes viennent ensuite s’entretenir avec moi, après la lecture, d’une façon très touchante.

 

08.11.13
Grenoble. Charantonnay.
méditation brève. petit déjeuner devant une grande baie vitrée face au massif de Belledonne blanc, les alpages aux alentours de 2000 saupoudrés de neige.

train, TER traversant les terres froides, quittant les falaises préalpines, transitant vers les collines, les bois, les prés très verts… je rejoins la maison paternelle.

des journaux :

A quoi tient l’aimantation que provoque chaque tome du journal de Charles Juliet ? Au prodige d’un équilibre parfait entre l’écoute de soi et la captation du monde, entre le don et la réception, entre l’anecdotique et l’essentiel. A l’humble clarté de son écriture, à la fois indulgente et intransigeante, simple et fourmillante.

Arnaud Schwartz, La Croix, 2010

Voilà pourquoi j’aime tant les journaux, les écrits intimes, les correspondances. En lisant de tels ouvrages, on a l’impression qu’un inconnu est là près de vous, qu’il vous a pris en amitié et choisi pour confident. Et il est passionnant de recevoir ce qu’il a à vous dire, de pénétrer dans son intériorité, de revive en le savourant ce qu’il a vécu et que ses mots magnifient.

Charles Juliet

j’ai maintenant un allant, une force, une petite compétence laborieusement acquise, une certaine confiance, à tenir, à porter la parole sur un plateau pour pouvoir désormais donner tous mes textes ainsi, pleinement assumés, portés, « avec sang », en public.

exténué, mais à 2 h 30 du matin, dans l’atelier de mon père, le local chaudière, à travailler encore, l’ordi sur les genoux, en fumant.