di 13.10.13

Paris.
grand ciel bleu, un peu de vent, jeux de lumières dans le feuillage du prunier devant la fenêtre.
j’ai dormi tout mon saoul. une journée pour soi. journée pour écrire. en essayant de ne pas trop se mettre à l’ombre non plus, et de sortir un peu.

levé donc très tard, mais ensuite j’écris sans interruption, ou plutôt je travaille à cela, c’est-à-dire que si ça ne « produit » pas sans cesse j’arpente, me déplace dedans toute la journée jusqu’à tard, dans le silence, seul, seulement mon chat, et un peu de musique en fond sonore et écouter Proust, Giacometti, quelques vidéos de clowns, parler…
juste une calme balade dehors, vers cinq heure, alors que le ciel tourne lentement aux nuages…

toujours, périodiquement, me revient cette question de la raison profonde, recelée, de ce journal. que se joue-t-il là que je ne connais pas encore ? quel est ce besoin de trace, de laisser trace pas tant de son propre travail que de ce qui se joue, au quotidien, de commun, de vie ordinaire ? oui peut-être est-ce cela sa raison profonde : tenter avec ce que le langage, l’intelligence des choses, la distance irréductible entre la langue et les faits nous permet, avec ce que la langue et la pensée modestement peuvent en saisir, tenter de dire ce qu’est vivre.

nulla dies sine linea ? pas sûr, mais pas un jour sans y travailler, oui…

 

lu 14.10.13
Paris.
ciel gris-blanc, encore, comme d’habitude ici.

gestion courante, prépa des cours et des lectures à venir. des articles, des courriers, des mots à propos du livre arrivent…

combien de poèmes écrits ? 5 000, 10 000, 20 000 ? qui font quelques malles, puis quelques disques...

 

ma 15.10.13
Paris.
ciel gris. puis très clair dans la nuit.

la journée devait être une belle journée...
et puis au réveil, par le courrier, des charges inattendues, délirantes, que l’on me demande pour ma minuscule boîte. tout à fait d’accord pour participer aux frais collectifs sociaux du pays dans lequel je vis, mais là j’ai l’impression, en ouvrant mon courrier au réveil, de me faire attaquer dans un chemin creux, de me faire spolier, racler le fond de mes tiroirs : par un jeu d’appels de cotisations rétroactifs, alors même que j’avais en partie anticipé, ils me demandent plus que ce qui me reste en caisse en fin de saison.
ça allait mieux depuis fin août, le moral, de la réussite qui revenait… et puis paf ce matin les différentes charges et fisc qui me ratiboisent quasi tout ce que j'ai pu rentrer par mon boulot, dans un contexte déjà dur, difficile… ils ne me laissent rien, même en-dessous de rien en fait. dans ces moments-là il faut être solide, en particulier idéologiquement, pour ne pas sombrer dans les idées faciles et puantes des extrêmes, comme tant d'autres sont ces temps-ci tentés.
des envies d’en pleurer parfois.
et je dois donner une lecture/dicture ce soir... c'est rude.
mais je décide que la journée sera belle tout de même, finira belle…
je ne vais pas, en plus de ce quasi vol ce matin, m'infliger une seconde peine en perdant le moral que j'avais retrouvé, fragile.

la question est de savoir si j’ai, nous avons touché là le fond, alors que je croyais que le pire du creux était derrière moi, ou non ? mais la réponse me servirait-elle à quelque chose ?
tout cela évidemment, au-delà du fait personnel, est certainement symptomatique d’une période… nous sommes toujours enfants de notre époque.

après la lecture, retour à pieds, traversée de la ville, la nuit claire, calme, étoilée, sur les bâtiments illuminés de Paris.

 

me 16.10.13
Paris.
gris.

je me lève étonnement dispo à nouveau pour me bagarrer. étranges passages d’un jour à l’autre… même si j’ai un peu peur en ouvrant la boîte aux lettres.

année blanche pour la boîte d’escalade donc, ou quasiment… l’une des pires depuis sa création il y a 13 ans… et revenus écriture si faibles, aussi, pour cette année… sans l’épargne gérée au millimètres ce serait la rue. j’en ai la conscience aiguë.
alors que signifie vouloir avoir pouvoir
ce temps « dégagé » pour écrire ?
que signifie ce temps ?
que signifie « dégagé » ?
que signifie « pour » dans « ce temps pour » ?
ce temps que l’on ressent comme absolument nécessaire, qui reste du « vivre », mais avec un léger pas de côté.
que signifie cet engagement à la limite du possible ?
je n’arrêterai pas. c’est maintenant que ça se passe ce choix. c’est maintenant que je l’éprouve. c’est-à-dire dans sa difficulté, son risque.
je me sens devoir mener cette tâche, je veux la mener, je le ferai.
il me faut rentrer plus dans ce qui est une folie peut-être mais je me dois de le faire.
non pas seulement une folie financière, sociale, de situation, mais une folie d’engagement, de faire péter les verrous, d’aller plus loin, plus fort, de faire assaut contre la frontière comme disait l’autre, contre les limites…

la nuit tombe bien vite ces jours.
les mois noirs.

 

je 17.10.13
Paris.
large bleu.

d’ainsi continuer, si c’est un folie c’est une folie lucide encore, que je gère parcimonieusement, du bout des doigts, avec prudence extrême, comme un fragile esquif. je n’ai pas lâché la barre. il me faut, encore une fois, me reprendre, tenir, savoir trouver dans le souci un calme en-deçà, qui sera une force au-delà.
j’y parviendrai.
tout à la fois tenir, poursuivre, sans pour autant s’arc-bouter… ouvrir, laisser aller au léger, au vent favorable. autant que faire se peut.
encore un an à essayer cela, sinon je devrai faire un choix.

le soleil a fait son arc de cercle au-dessus du jardin.
il m’a ébloui quelques secondes, avant de commencer, à 18 h, a passer.

je finis de lire Antelme, en parallèle de plusieurs de documentaires sur la période. après une interruption je poursuis donc mes « fouilles » entamées sur le sujet dès l’adolescence. je ne suis pas sûr que ce soit l’époque idéale pour moi pour lire cela, mais il n’y a pas de moment pour savoir, pour savoir mieux.

au soir, un peu ivre, vu d’autres personnes, belles personnes, cela fait du bien d’ouvrir.

 

ve 18.10.13
Paris.
gris. je suis depuis un bon moment, dans mon vocable, mon lexique, à cours de nuances de gris.
et puis ils se ressemblent véritablement ces temps-ci, dans le petit carré de ma fenêtre du matin… un 15% de noir dirais-je si je devais le reproduire avec nos outils numériques. de ce gris, tirant vers le blanc, des cendres de bois les plus claires, si j’utilise une image.

A, ma fille, arrive de Strasbourg pour le week-end… son premier retour ici. Philippe et Tanja Rahmy doivent arriver dans l’après-midi.

lecture brève, speech brillant, danse de fauteuil roulant de Philippe à la librairie… après un passage au restaurant, nous finissons la discussion dense à la maison, au whisky, bien tard, avec son éditrice et S.

 

sa 19.10.13
Paris.
temps frais, la brume baigne les sommets des immeubles.
du mal à décoller le sommeil des paupières…

ne pas s’emmurer dans sa force.
vivre.
ouvrir, sortir.

écrire en parole claire, cette immense difficulté, et pourtant pas d’autre enjeu qui soit aussi principal, central, mobilisateur, car c’est évidemment, en amont, voir clairement.

les soucis de mardi, peu à peu, dans le temps, reculent, s’estompent… un tout petit peu moins prégnants dans l’esprit…

 

marcher marcher
s’abandonner
à marcher
s’oublier

dans les rues
se perdre
se fondre
se dissoudre

regarder
regarder les gens

et personne
personne ne sait
où je suis
fondu
dissous

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reprendre
le carnet
papier crayon

la trace à la main

les poèmes
l'écriture
simples.

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écouter
écrire
marcher marcher
peut-on remplir sa vie
que de ça ?

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que de ça
marcher marcher
regarder
voir

 

en soirée, cirque à l’atelier du plateau : les musiciens, les acrobates, les clowns, toujours les clowns.
au retour très longue, très douce et très belle discussion avec S, voyant ma mélancolie, tout deux assis dans la baignoire comme aux bains turcs, devisant, et cela chasse toute noirceur.

ne se sentir bien que lorsqu’on l’on construit, ou écoute.
méditer.
relâcher un peu puis avancer, ouvrir, construire.

la course vers l’activité est fausse.

nu, dépouillé, c’est de là que ça repart, renaît.

lune magnifique.

l’autorité d’une parole.

ne pas m’enfermer dans ma volonté d’écrire.

 

di 20.10.13
Paris.
douceur. le prunier a mis ses toutes premières feuilles jaunes.

la tempête de cette année est, je l’espère, toute passée. le calme plat derrière, quelques clapots encore, plus de vent.
alors laisser dériver un peu. lâcher la barre quelques moments. relâcher un peu la tenue si ferme du cap. la ligne tendue toujours peut louvoyer un peu, le doit même… laisser filer… s’abandonner…

après tant de bagarres centrées sur ce que j’ai tenté d’entreprendre, sur l’objectif clos, se tourner à nouveau vers les autres, l’attention à eux, le monde autour…
méditer. c’est-à-dire laisser décanter la pensée, être en écoute à toute chose, une totalité rassemblant soi et non-soi, la plus large partie.

à 18 h la luminosité déjà a commencé à baisser. il y a quelque chose que j'aime dans ces mois noirs, le plaisir du sombre, de la grotte, de l’ombre, et, dans cette ombre, celui de l'abri au creux d'une petite lumière, d'un lieu de chaleur.
il pleut. puis le tonnerre s'entend au loin, arrive, et l'orage avec le vent gifle le prunier, les arbres, les tuiles du petit toit, les vitres. il s'en va presque aussi vite qu'il est arrivé soudainement avec la lumière décroissante du soir. ce son du tonnerre est comme un son d'été. les chenaux chantent encore un peu. j'écris tout cela en « direct », dans le temps immédiat de son déroulé, assis devant la fenêtre, ce théâtre…

 

lu 21.10.13
Paris.
levé tôt.

je subis, à nouveau, les attaques de X dans son délire… il y avait quelques temps que ça ne s’était pas renouvelé… agressivité extrême, et grande tristesse pour cette voix qui se perd elle-même.

rude journée. demain enfin bouger : Poitiers, donner conférence et cours à la fac, table ronde, et une lecture-concert de cabane d’hiver.
fatigue, besoin d’ouvrir, encore.

 

ma 22.10.13
Paris. Poitiers.
le ciel est clair, rare alto-stratus, trainée semi-courbe d’avion.
le grand robinier faux-acacia a mis la plus grande partie de ses feuilles en jaune, subsistent quelques ramures encore vertes.

je donne ma conférence à la fac. puis nous allons, avec Martin Rass qui m’accueille ici, poser du matériel pour les lectures de demain dans le lieu où nous allons jouer. nous mangeons, buvons quelques bières et discutons sur place.

 

me 23.10.13
Poitiers.
levé aux aurores dans la nuit noire.

méditation fenêtre ouverte, dans l’air frais de la nuit, chez Jérôme Bouchard l’ami graveur qui m’héberge dans sa très ancienne maison du vieux Poitiers… puis je travaille pour moi, et tiens le journal, le jour arrivant progressivement dans sa grande étole bleue, un tendre « bleu ciel » qui s’éclaire peu à peu, avant d’aller donner mon second cours à la fac.

au soir… retour après avoir joué avec Dani Bouillard, l’ami : grand plaisir d’accointance dans l’improvisation, de connivence, d’écoute facile, d’un « ensemble » aisé, fluide… coïncident. suivi d’Emmanuel Laugier, Christiane Bopp, Isabelle Garron, là aussi accordance des voix entre les différentes « prestations », entre les tons, continuums réguliers des tempos, des tons, des timbres…
retour, après, à pieds, au milieu de la nuit, seul. je m’arrête dans un rade, goûte un big peat, whisky de Bowmore, extrêmement tourbé, il sentirait presque le brûlé, ce que sent une maison après un incendie, de cette odeur très particulière dont, lorsqu’on l’a sentie ne serait-ce qu’une fois, l’on ne peut oublier la présence tant sa prégnance est forte, tenace.

 

me 23.10.13
Poitiers.
ciel clair, net.

grand sommeil réparateur. méditation, écriture au calme, discussion avec les amis. puis table ronde à la fac avec d’intéressants bédéistes, dont Rémi Farnos et l’épure de son trait, la concision de ses dessins, de ses propos dessinés me marquent.

le soir, alors que je vais prendre le train, la fatigue tombe après avoir parlé 3 jours de suite presque sans interruption.

il est ce moment où l’on sait que rien de nos gestes, de nos actes, de nos constructions ne tiendront. et c’est alors comme une vie seconde lorsque commence cette conscience que tout objet se délitera. conscience qui n’était que confuse, instinctive tout d’abord, et qui, d’âge en âge, en une évidente, simple et irrécusable clairvoyance, se mue lucide. alors notre caducité prend le toucher du tangible, de l’inéluctable.
une vie seconde donc, sûre de la certitude qu’elle contient, dépouillée, enfin, de toutes prétentions résiduelles, illusions obscures, croyances tenaces au soi.

dans certaines de ces phrases, ma langue commence à se manger elle-même. à s’enivrer de sa propre fermentation. s’en méfier.