me 02.10.13

Paris.
ciel blanc, presque bleu, mais ne parvenant pas au clair complet.

je n’arrive pas à travailler sur bref, bloc énorme… sans doute est-ce en train de se nourrir de lectures, de pensées, que cela murit…

 

je 03.10.13
Paris.
toujours ce ciel blanc-gris.

j’arrive un petit peu à travailler sur bref : j’injecte du contenu, des petites touches…

du courrier, des « retours » chaque jours, tous d’une très grande gentillesse, qui me touchent…

de ce temps que j’ai ces temps-ci, en faire un calme…
trouver du boulot nouveau, aussi, pour le quotidien, absolument nécessaire.

 

je 03.10.13
Paris.
lever tôt pour travailler sur bref, méditation brève, puis le jour se lève.

un orage a secoué la nuit. la foudre, une dizaine de fois, est tombée dans les alentours immédiats, nous réveillant dans son fracas, son tremblement soudain. dans les lueurs, le vent violent malmenait les arbres du jardin, la pluie les lessivait, les effaçait dans ses embruns.

 

ve 04.10.13
Paris.

piscine. nager. hier marche de près de 2 heures. besoin.

je me demande si je ne retournerai pas, un peu, dans la cabane cet hiver ? pour ne rien y « rejouer », pour y aller c’est tout.

pourquoi porter – tout – cela ici ?

 

sa 05.10.13
Paris.
ciel blanc comme un calque, qui filtre le soleil, pour changer…

étrange journée, levé dans l’énervement, bidouillé des petits bricolages internautiques, rien écrit, rien lu, à peine sorti… je ne sais pas vraiment ce que j’en ai fait de cette journée-là, à peine si je m’en souviens déjà, au soir… « demain sera un autre jour » me dis-je dans ces cas-là, et c’est assez rassurant finalement que cela coulât…

de certains auteurs, certains livres, certaines proses sans grande profondeur, sans grand poids, qui font succès, qui ont essentiellement pour désir de faire le « buzz » plus que de creuser un fond, d’être connus, et c’est là souvent leur plus haut but ; et puis d’autres, de poids, qui font moins recettes publiques, avancent dans un moins de bruit, discrètement, à petits pas, hors agitation… et pourtant l’on pourrait savoir, sans trop se tromper sans doute, ceux qui resteront…

et me faut reprendre la méditation avec précision.
même si je la pratique chaque matin, sans qu’il n’y ait eu aucune exception encore depuis 6 ou 7 ans, elle est souvent distraite, comme réalisée par automatisme, comme une gym évacuée au réveil. et c’est trop souvent le cas ces temps-ci. revenir à la pensée de ce qui est réellement important, recentrer là, car je suis ces derniers temps un peu « détourné » de cela.

 

di 06.10.13
Paris.
lever aux aurores, méditation, un quart d’heure d’écriture, puis départ pour une journée de travail en grimpe d’arbres.
de gros cumulus défilent.

il y a quelques jours j’ai eu l’envie de refaire un dessin, type rupestre, comme ceux de UUuU, sur un caillou ou un autre support brut, naturel... et puis j'ai pensé à ces gros fusains, épais, sections pleines de branches brûlées, que j'aime tant… la matière charbonneuse dense, et leur noir profond, mat, ou brillant selon l’angle de lumière… comme le papier carbone ou ces noirs photographiques… et j'ai retourné alors les fusains contre eux-mêmes, et ai gravé dessus des animaux, des lignes, des traces, des géométries : au lieu de dessiner sur des supports, ils sont devenus supports eux-mêmes.

 

lu 07.10.13
Paris.
ciel bleu.

gestion, pas d’écriture ne vient.

 

ma 08.10.13
Paris.
ciel gris sombre, vaguelé de quelques ventres sombres, troué de tout petits yeux bleus, parfois.
journée folle de travail dans toutes les directions qui se finit à 22 h 30. trop fatigué pour lire ensuite. juste visionner un film sur Lorenzo Pellegrini, un savant bucheron.

 

me 09.10.13
Paris.
toujours ce ciel blanc, constitutif du temps local.

encore une folle journée de bureau… cerveau grillé, fumé en fin de journée.

l'écriture est tout à la fois un abri et un lieu de risque.
un abri, assez efficace, puissant, où se lover au creux, au-dedans, à l’ombre, et un risque, fondamentalement, d’affronter la langue, sa pensée, ses possibilités de prise de liberté (et je ne parle pas ici du risque d’exposition lorsque l’on montre ses petits bricolages, qui est encore d’une autre nature).

 

je 10.10.13
Paris.
grand bleu avec larges rais de soleil, puis ça vire assez vite au gris-blanc.
puis pluie et froid même.
11 degrés à 21 h.

du mal à rentrer dans le travail de fond d’écriture, la pensée trop prise, mobilisée par le travail autre. grosse semaine.

découverte du travail de Giorgio Agamben, du concept de biopolitique, et d’Homo sacer :

Le devenir homme de l'animal (l'anthropogenèse), c'est-à-dire un événement que l'on suppose avoir eu lieu nécessairement, mais qui n'est pas arrêté une fois pour toutes : l'homme est toujours en train de devenir humain, donc aussi de rester inhumain, animal.
(…)
Etre contemporain, c'est répondre à un appel que l'époque nous lance par son obscurité. Dans l'Univers en expansion, l'espace qui nous sépare des galaxies les plus lointaines s'agrandit à une vitesse si grande que la lumière de leurs étoiles ne peut nous parvenir. Percevoir dans l'obscurité du ciel cette lumière qui cherche à nous rejoindre et ne le peut pas, c'est cela, être contemporain. Le présent est la chose la plus difficile à vivre. Car l'origine, je le répète, n'est pas confinée dans le passé : c'est un tourbillon, selon la très belle image de Benjamin, c'est un gouffre dans le présent. Et nous sommes pris dans ce gouffre. Voilà pourquoi le présent est par excellence ce qui reste non vécu.
(…)
Dans le monde ancien, l'être est là, c'est une présence. Avec la liturgie chrétienne, l'homme est ce qu'il doit et doit ce qu'il est. Aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre représentation de la réalité que cette opérativité, cette efficacité. On ne conçoit plus un être sans effet. N'est réel que ce qui est effectif, donc efficace et gouvernable.
(…)
Il faut dés-oeuvrer au sens actif du terme - le mot français me semble très beau. C'est une activité qui consiste à rendre inopérantes toutes les oeuvres sociales de l'économie, du droit, de la religion pour les ouvrir à d'autres usages possibles. Car c'est cela le propre de l'homme : écrire un poème en dépassant la fonction communicative du langage ; parler ou donner un baiser en détournant de sa fonction la bouche, qui sert d'abord à manger. Dans Ethique à Nicomaque, Aristote se demande s'il y a une oeuvre propre à l'homme. L'oeuvre du joueur de flûte, c'est jouer de la flûte, l'oeuvre du cordonnier, c'est faire des chaussures, mais y a-t-il une oeuvre de l'homme en tant que tel ? Il fait alors l'hypothèse selon laquelle l'homme serait peut-être né sans oeuvre, mais l'abandonne aussitôt. Pourtant, cette hypothèse nous conduit au coeur de l'humain. L'homme est l'animal désoeuvré ; il n'a aucune tâche biologique assignée, aucune fonction clairement prescrite. C'est un être de puissance qui peut sa propre impuissance. L'homme peut tout mais ne doit rien.
(…)
Je n'avais au fond qu'un désir : écrire. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Ecrire quoi ? Je crois que c'est un désir de se rendre la vie possible. Ce qu'on veut, ce n'est pas « écrire », c'est « pouvoir » écrire. C'est un geste philosophique inconscient : on essaie de se rendre la vie possible, ce qui est une bonne définition de la philosophie.

Giorgio Agamben
propos recueillis par Juliette Cerf – Télérama le 16/03/2012

 

Je ne connais pas le contenu
Je n’ai pas la clé
Je ne crois pas les bruits
Tout cela est compréhensible
Car je suis moi-même tout cela.

Franz Kafka, Journal


l’exercice d'une liberté, oui, que d'écrire...

besoin de dehors à nouveau.
de quitter la machine.

ai abandonné le carnet papier depuis quelques mois maintenant, mais je l'emmène partout encore. notes prises sur l'iFone, synchronisées avec l'ordi…
moins agréable, plus pratique. pas plus.
perte peu à peu du geste souple de l'écriture manuscrite... ça m'embête.

parole claire, putain, parole claire.

bref : écrit avec ce qui reste. atteindre ça.

On ne termine jamais un tableau, on l'abandonne.

Giacometti

 

ve 11.10.13
Paris.
ciel gris-blanc. frais : 10 degrés à 10 h.

bref : se mobiliser pleinement dessus.
les petites touches de travail, de texte, sont primordiales mais ne suffisent pas. il y faut un « engouffrement » plus entier, plus complet. attendre ce moment-là.

ne pas savoir mentir, du tout, ou dans les livres peut-être, parfois, un peu.

je reprends : « délaisser ce que l'on dit de vous. quelle qu'en soit la teneur. en particulier si cela grise. »

déjeuner chez T et X, fatigué, un peu lassé, retour en tacot.

la nuit, au moment de fermer la fenêtre, prendre le temps d’écouter la pluie, très fine, tomber.

 

sa 12.10.13
Paris.
frais toujours : 10, 11 degrés en matinée.
départ en grimpe d’arbres pour des clients.
retour de la grimpe d’arbres.
après la dépense, la hauteur, la concentration, le plaisir de rentrer, de s’abandonner, douche chaude, et retrouver l’écritoire.

de ces grandes périodes que l’on trouve dans le journal, tout comme dans la vie : en-deçà des grandes préoccupations constantes qui nous accompagnent toute une vie, celles plus brèves, constituants sans doute les grandes, et par là nous constituant… les temps par exemple que j’ai passé à m’interroger sur lui, ce temps, ici en particulier, et cela, comme lui, continue… les phases, autre exemple, à constater le fait avéré que l’on passe son temps à fouiller, à tenter de comprendre, de mieux voir, d’être un peu moins aveugle, un peu plus lucide, tout en étant plus ouvert à ce qui est, et que cela passe dans l’écriture, se fait par le langage, continûment, et que c’est peut-être cela que l’on appelle une vocation… les moments passés à s’interroger, se questionner sur l’art pariétal, ou sur l’espace, sont également d’autres exemples… ces préoccupations, si elles sont constantes, ont des pics d’activités, des périodicités, que l’on peut lire dans un journal lorsqu’il commence à représenter une durée conséquente.

Proust : « le style, ce n’est pas un enjolivement, ni une technique, mais une qualité de la vision. »

créer une écriture pointue mais accessible.

je suis un corps dans l’espace, parmi quantité d’autres corps, objets et poussières dans l’espace, et en relation avec eux…
je suis dans l’espace par mon corps, il est ma localisation.
je suis un homme continuant à devenir, d’une humanité poursuivant son évolution, mais qui sait vers où nous allons ?

 

la violence d’état, latente, pourrait devenir flagrante dans les mois, les très proches années à venir. la montée des fascismes, cyclique, m’inquiète. il ne faut pas se voiler la face sur les scores qu’on leurs promet aux prochaines élections dans notre pays : c’est en cours. c’est déjà là, bien installé, en Hongrie par exemple. la bête brune toujours ressort, séduit, enivre… et le processus est le même toujours : appauvrie, déçue, se sentant déconsidérée, exténuée, dépouillée de ses anciens espoirs, donc malléable, entrainable, ce qui devient peu à peu une majorité est alors prête à suivre même les plus grossiers mensonges… mensonges faisant miroiter à ces désespérés leur propre avènement, ils sont prêts, mûrs, prêts à suivre… cela tourne alors en un ovinage massif parce qu’on leurs promet une socialisation nouvelle, qu’ils n’ont plus, qui historiquement dans ces mouvements ne leurs a jamais été donné que par le rejet du différent, le rejet d’une partie des « autres », et c’est une place frelatée, volée en définitive, que leurs chefs leurs voleront ensuite à leur tour quand il sera nécessaire. mais cela, par presque tous, en bons « moutruches », sera toujours scotomisé.
le signe le plus alarmant c’est, qu’au-delà des leaders les plus convaincus, les plus durs, qui n’ont jamais eu honte eux de leur pensée puante, les suiveurs aussi, désormais, n’ont plus honte de se vautrer dans les plus basses idées, pleine de fange et de mépris, déconsidérant ce qui fait une partie de la noblesse de notre humanité, à savoir la compassion, l’attention à l’autre, et osent même désormais afficher, revendiquer, se faire une fierté de leurs tentations morbides… il n’est que d’écouter les discussions de comptoirs actuelles pour se rendre compte à quel point ce fléau, récurrent, répétitif, est revenu.
nous avons devant nous sans doute de tristes temps de résistance à venir…