sa 21.09.13

Paris.
beau, 20 degrés.

S, après le théâtre de la Colline, l’Avignon in, le festival d’Aix, voit maintenant l'une de ses autres traductions qui va être mise en voix à la Comédie Française. heureux pour elle, et fière même je crois un peu de son travail accompli, acharné, tenace.

nuit dans l’appart de la voisine, pour laisser la maison à mes filles. étrange sensation d’être justement à côté de chez soi sans y être, comme l’on est parfois à côté de soi-même…

 

di 22.09.13
Paris.
équinoxe.
gris.

je dors 13 heures en deux temps, impressionné de ce qu’il y avait à récupérer, éponger de ces dernières semaines.
je n’écris pas. je lis. entre autres le vieil ami Philippe Rahmy et son Béton armé : « Qui refuse sa nuit, vit en aveugle », et c’est cela que je garderai, résumant ce que je sais, et ce que j’y apprends.

d’ici la fin de semaine l’une de mes filles n’habitera plus ici, et ira étudier les arts déco à Strasbourg. je crois que je ne commence que tout juste à réaliser ce que cela signifie du temps passé, et du temps à l’avoir accompagné… et de l’absence que ce sera, le manque probable parfois.

en quoi les petits faits disent quelque chose de la vie plus large.

 

lu 23.09.13
Paris.
gris.

insomnie. comme nos jours sont dépendants de nos nuits…

grande hâte de revenir au grand calme de fond où écrire…

 

ma 24.09.13
Paris.
soleil.

préparer la lecture-concert que nous ferons demain soir dans un jardin : courses, matos son, lumières, de quoi faire un feu dehors, répéter encore, c’est-à-dire ici essentiellement entendre et se couler dans la voix, le timbre bas, le tempo comme un continuum, lent, calme.

les articles sur cabane d’hiver m’en apprennent un peu plus sur la notion et la figure du « Waldgänger », c’est que je n’ai jamais lu Ernst Jünger… notion donc de « recours aux forêts » pour celui qui ce sent en indépendance ou en devoir de résistance.

Nous avons vu que la grande surprise des forêts est la rencontre avec soi-même, le noyau inaltérable du moi, l’essence dont se nourrit le phénomène temporel et individuel.

Ernst Jünger Le traité du rebelle ou le recours aux forêts
dans Essai sur l’homme et le temps
Traduction Henri Plard, Bourgois, 1970. p.43.44.45.

 

Il existe sans doute au cœur de Manhattan des gens qui se débrouillent pour mener une existence aussi indépendante et érémitique que le prospecteur errant à travers la toundra recouverte de lichen que A. Y. Jackson aimait tant à peindre au nord du lac de la Grande Ourse. Tout est donc probablement question d’attitude.

Glenn Gould, Contrepoint à la ligne


hâte de pouvoir retourner au grand calme, et avancer bref, livre que je veux impeccable, autant que faire se peut, nourri de l’ensemble de mon expérience, depuis gamin, une somme peut-être. je veux qu’il soit en langage très clair une petite partie de ce que l’on peut dire de nous, hommes et bêtes, si tant est que possible. je ne lâcherai rien dans ce volume, et je ne le lâcherai pas tant que je pourrai y améliorer encore quelque chose, y affuter la courbe mélodique-rythmique d’une phrase, la lucidité du propos, la clarté du continuum pointé vers son but.
c’est là aussi la possibilité de s’échapper de quelques grandes influences pour aller un peu plus vers sa voix, son propos propre, sa pensée individuelle.

dans le bain, la vision clairvoyante soudain de ce que nous sommes, hommes… et notre taille, notre importance, notre finesse, notre pénétration toutes relatives.

une mouche sur le miroir. qu’y a-t-il dans sa petite vie, qu’elle est-elle ? essayer de se l’imaginer, à défaut d’être à sa place.
je cligne des yeux, elle a disparu.

 

me 25.09.13
Paris.
ciel laiteux, tiédeur.

dans quelques jours, je sais que j’aurai devant moi une large saison creuse… il va falloir gérer cela, en faire profit intelligemment. retourner au travail de fond. utiliser les possibilités de calme, y descendre en détente, pour ne pas s’enfoncer dans ce qui pourrait être justement un trop grand désert, s’arcbouter, s’enfermer sur soi-même.

soir : on « joue » cabane d’hiver avec Eric Groleau (batterie) et Olivier Leté (basse), en impro, en écoute, dans le jardin de François Tronche. feu de camp, éclairages disséminés, petit plateau dans l’herbe et sous les arbres… tenter de garder un continuum, tempo lent, extrêmement régulier, voix dans les basses, que réclame ce texte… le rythme « coulé » dans lequel il a été écrit, et ce par quoi il a été inspiré...

 

je 26.09.13
Paris.
petit soleil, tiédeur.

petit repas festif pour le départ samedi de A, l'une de mes filles : fruits de mer, tarte, fous rires, petits cadeaux, dont un Cendrars pour le voyage...
il ne nous en « restera » donc plus qu’une ici, sa sœur jumelle, C.

 

ve 27.09.13
Paris.
le temps est en train de tourner.

journée triviale de gestion. fatigue. en fin d’après-midi, se mettre enfin en « week-end », c’est-à-dire retourner au travail de fond, et au repos.

sommes toute, que sont réellement nos petites constructions individuelles ? des aiguilles de pins amenées sur la fourmilière… mais non pas sur une seule fourmilière mais sur l’ensemble de toutes celles érigées sur notre planète, globe d’un peu de terre et de beaucoup d’eau.

 

sa 28.09.13
Paris.

l’exposition entraîne toujours son lot de retours, par définition toujours mêlés d’affect, mais aussi gorgés de fantasmes presque tous, encenseurs ou agressifs, aux deux extrêmes, et bien plus rarement posés, menés avec recul et calme…

pas le temps, encore, de revenir au calme, au travail de fond… hâte et nécessité qui commence à se faire sentir crûment ces jours-ci de pouvoir voler, retrouver quelques larges plages de temps pour cela… sans personne ni faits qui viennent vous emm…

ma fille A est donc partie de la maison aujourd'hui. nous l'avons accompagné au train, à la gare de l'Est, la gare aussi des départs à la guerre, une vaste fresque rappelle ces séparations déchirantes, autrement lourdes... là, ma fille part légère, vers devant, excitée, pleine d’entrain… et lisant Cendrars, que je lui ai offert, au rythme du train qui l'emporte.
ensuite avec ma mère nous avons traversé Paris à pieds, descendu les anciens chemins allant de Saint-Denis à Paris…

Seb Ménard : « l’écriture du matin, la première, pleine de la nuit... »

au soir, l’orage, le tonnerre gronde au loin, il y a bien longtemps que nous ne l’avions entendu.

 

di 29.09.13
Paris.
ciel blanc-gris, selon les zones, lumineux comme un calque devant une lampe.

enfin une journée pour soi…
dès qu’un peu d’espace de temps s’entrouvre et c’est l’écriture, la lecture qui poussent immédiatement dans ce petit interstice.

Mots. C’est tout ce qu’on m’a donné. Mon héritage. Ma condamnation. Demander qu’on l’annule. Comment le demander avec des mots ? Les mots sont mon absence particulière. (…) Il y a en moi une absence autonome faite de langage. Je ne comprends pas le langage et c’est la seule chose que j’aie.

Alejandra Pizarnik, 22 février 1963
Journaux 1959-1971, éd. José Corti


la nuit, la pluie, l'automne, déjà, mais j'aime cette nuit où l'on s'abrite...

de retour de Meudon, de chez mon cousin, d’une maison qui pourrait être celle de Céline, si ce n’est qu’elle est tenue de toute autre façon.

 

lu 30.09.13
Paris.
ciel gris, uniformément.

ce que l’on nomme charisme n’est-ce pas plutôt, d’abord, le fait de ressentir chez l’autre une ligne qu’il suit en lui profondément, ardemment, sans interruption, sans obéir à aucune une autre urgence que celle-ci, plutôt que l’émission de ce que l’on appelle parfois une lumière, une aura, qui serait mystérieuse mais qui n’en est que la conséquence ?

Commençons par ne parler de rien, nous finirons par tout dire.

Eugène Savitzkaya, En vie


il n’y a pas d’idée que j’aie que je n’exploite pas.

ces jours-ci la nuit avance, rapidement, régulièrement.

 

ma 01.10.13
Paris.
ciel gris, fumé. peu de lumière. octobre déjà.

le gros de la vague étant passé, j’essaie de me remettre à bref, au matin, avant tout chose, avant de plonger dans les quantités de petites tâches ingrates, pratiques, gestionnaires de la journée qui nous sont nécessaires pour vivre dans nos schémas complexes de société, de travail, d’économie.

encore un bonheur dans ma boîte aux lettres ce matin : un magnifique moleskine en accordéon que m’envoie Thomas Deschamps contenant des collages de ses photos de notre dernière lecture dans le jardin. elles sont mises en scène selon un rythme alternant photos, noires, couleurs, très travaillées, et pages de noirs profonds. savoir donner, offrir ainsi, discrètement, est chose rare, touchante…

il faut friser l’ennui pour pouvoir laisser se dérouler une pensée.

les jours passent, et s’amaigrissent, s’amaigrissent… alors qu’ils sont parfois si pleins.

suis allé écouté lire ce soir Jerome Rothenberg et Yves Di Manno.

Nous sommes au point de ressembler à tout ce qui se bat que pour manger, au point de nous niveler sur une autre espèce, qui ne sera jamais nôtre et vers laquelle on tend ; mais celle-ci qui vit du moins selon la loi authentique — les bêtes ne peuvent pas devenir plus bêtes — apparaît aussi somptueuse que la nôtre « véritable » dont la loi peut être aussi de nous conduire ici. Mais il n’y a pas d’ambigüité, nous restons des hommes, nous ne finirons qu’en hommes. La distance qui nous sépare d’une autre espèce reste intacte, elle n’est pas historique. C’est un rêve SS de croire que nous avons pour mission historique de changer d’espèce, et comme cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. Non, cette maladie extraordinaire n’est autre chose qu’un moment culminant de l’histoire des hommes. Et cela peut signifier deux choses : d’abord que l’on fait l’épreuve de la solidité de cette espèce, de sa fixité. Ensuite, que la variété des rapports entre les hommes, leur couleur, leurs coutumes, leur formation en classes masquent une vérité qui apparaît ici éclatante, au bord de la nature, à l’approche de nos limites : il n’y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous. C’est parce qu’ils auront tenté de mettre en cause l’unité de cette espèce qu’ils seront finalement écrasés. Mais leur comportement et notre situation ne sont que le grossissement, la caricature extrême — où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître — de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même cet ancien « monde véritable » auquel nous rêvons. Tout se passe effectivement là-bas comme s’il y avait des espèces — ou plus exactement comme si l’appartenance à l’espèce n’était pas sûre, comme si l’on pouvait y entrer et en sortir, n’y être qu’à demi ou y parvenir pleinement, ou n’y jamais parvenir même au prix de générations —, la division en races ou en classes étant le canon de l’espèce et entretenant l’axiome toujours prêt, la ligne ultime de défense : « Ce ne sont pas des gens comme nous. »

Eh bien, ici, la bête est luxueuse, l’arbre est la divinité et nous ne pouvons devenir ni la bête ni l’arbre. Nous ne pouvons pas et les SS ne peuvent pas nous y faire aboutir. Et c’est au moment où le masque a emprunté la figure la plus hideuse, au moment où il va devenir notre figure, qu’il tombe. Et si nous pensons alors cette chose qui, d’ici, est certainement la chose la plus considérable que l’on puisse penser : « Les SS ne sont que des hommes comme nous » ; si, entre les SS et nous — c’est-à-dire dans le moment le plus fort de distance entre les êtres, dans le moment où la limite de l’asservissement des uns et la limite de la puissance des autres semblent devoir se figer dans un rapport surnaturel — nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu’il n’y a qu’une espèce humaine. Que tout ce qui masque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d’exploités, d’asservis et impliquerait par là même, l’existence de variétés d’espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être autre qu’une de celles de l’homme : la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose.

Robert Antelme, L'Espèce humaine
Éditions Gallimard, collection "Tel", 2005
p. 239 à 241

 

le journal, est-ce contre l'oubli ? je ne sais pas, tout s'oublie de toute façon. je n'ai pas pleinement conscience de son moteur. retenir l'oubli oui peut-être, pas sûr. pas tant témoigner du temps coulant que de dresser une petite digue contre, un petit filet pour retenir deux, trois menues choses ? je ne sais pas. mais il est comme vivre, devenant, il se dissout dans le temps. alors peut-être est-ce sa raison : être comme vivre… un témoin de vivre...