je 20.06.13
Paris.
pluie dès l’aube.
pendant que je médite, le chant esseulé des oiseaux sous l’averse, le jour qui se lève pâle.

départ dans les rues des Paris sous la pluie chaude, en ciré de marin, avec grosses de marche, sac au dos, pour aller travailler dans les arbres.
la ville effacée dans l'énorme ciel noir, gris, de l'exacte couleur des volutes de cendres éjectés des volcans explosifs.
arrivé en forêt, il fait presque nuit en sous-bois à 7 h 30. je trouve un homme endormi sur un vague banc, détrempé, les manches de sa veste trempant dans les flaques qui ont inondé le sol. que fait-il là, à tenter de dormir ici ? sans doute, laisser passer la nuit, juste à attendre qu'elle passe, longue, froide, glauque, humide, car ce n'est pas le lieu idéal pour la « faire » sa nuit...

revenir à la médiation profonde, besoin de nouveau d'une avancée là.

 

ve 21.06.13
Paris.
solstice.

de 9 h 30 à 19 h dans de la gestion et de la prod.

solstice.
et tout ce que ça signifie.
la redescente des jours
et l’inclinaison de notre axe…
et à Lascaux, comme dans de nombreuses autres grottes «orientées», c'est-à-dire pointant vers quelque événement stellaire remarquable, la lumière rentrait jusqu’au fond de la salle des Taureaux en ce soir de couchant de solstice d’été (il y a 17 000 ans l'absence de sédiments devant l'entrée la laissait pénétrer).

 

repartir en solo, faire parler la poudre, des formes qui claquent, impactent.
il ne s'agit pas de faire sa comm mais de faire. cela est si souvent oublié.

 

sa 22.06.13
Paris.
gris, venté.
16 degrés à 15 h.

je retrouve un peu du calme de fond, et pourtant rien des situations n’est amélioré.
de retrouver ce calme simple, au fond, me fait prendre conscience à quel point l’on peut parfois sombrer dans le samsara, c’est-à-dire être pur bouchon soumis à la houle, au clapot de surface, à boire la tasse, prendre le bouillon, pas tant parce que la houle est forte que parce que l’on s’agite, s’alarme, s’affole, là où la situation réclamerait bien plus justement une vision reculée, une appréhension calme des faits, une action posée.

je n’ai plus peur.
(c’est-à-dire aussi que, par conséquence, se retrouve un élan pour inventer, avoir faim, envie de mordre la vie, avoir soif et énergie pour les nouvelles formes qu’il y a inventer).
(plus peur : mais rien de réglé pour autant de la situation financière, du risque de vivre ainsi de son art.)

travailler en pleine puissance, pleine liberté, dire librement, et « hautement » si nécessaire.
je me pose la question depuis quelques semaines, mais non je ferai tout mon possible pour ne pas faire un autre job qu’écrire (en plus de celui déjà de grimpe), je vais me démerder. la prise de risque est là aussi, pas seulement vocationnelle, esthétique.
et puis quand on se sait ne pas savoir faire autre chose de plus judicieux de sa vie, ne pas savoir faire mieux ailleurs, le choix ne se pose finalement tout simplement presque pas.

 

tous ces éléments du journal, écrits en gris, et non en noir, que je ne publie pas…

 

di 23.06.13
Paris. Plateau de Saclay, vallon des côtes Montbron.
grimpe dans les arbres… averses, vent dans les branches, coups de soleil brefs sur les champs de céréales et de coquelicots sur fond et plafond de ciel sombre, se faire tremper à la toute fin dès que sorti de l’abri de la forêt, rentrer crotté… au retour le soir, l’impression de revenir d’une journée en altitude….

 

lu 24.06.13
Paris.
ciel d’Ecosse : jeux de lumière, de soleil et de cumulus sombres.

quelques composants, un aperçu dont j’ai besoin pour comprendre ce que nous sommes, animaux humains, éléments du vivant sur une planète : la population mondiale est de 7 140 128 693 personnes ce lundi 24 juin 2013 à 17 h 41 min et 58 s.
elle était estimée à 6,1 milliards en 2000, entre 1,55 et 1,76 milliards en 1900, entre 0,600 et 0,679 milliards d'habitants vers 1700, et environ 0,0005 milliards (1 demi-million) il y a 10000 ans.
le nombre total d'êtres humains ayant vécu sur Terre est estimé à plus de 106 milliards pour la période allant de -10000 à 1940.
la dernière projection de la population mondiale réalisée pas l’ONU suppose, selon son scénario moyen, que l'humanité pourrait atteindre 9,3 milliards de personnes vers 2050 et 10,1 milliards en 2100.
qu’en déduire de notre espèce dominante et pullulante ?

 

être tout entier à sa poésie, ne plus pouvoir faire autre chose qui la remplacerait (boulot alimentaire, qui en prendrait la place, ou autre discipline artistique), savoir même que cela est premier par rapport à tout autre élément et quelles que soient les situations désormais, car ce n'est pas extérieur, ce n'est pas une activité, ce n'est pas relié à soi, c'est soi.

 

je lis les propos de Cézanne rapportés par Joachim Gasquet.

 

ma 25.06.13
Paris.
encore une fois un réveil difficile, anxieux.

et même si rien n'est réglé de la situation financière, je ne sais plus si je serais capable de faire autre chose, de faire autrement maintenant, c'est-à-dire de reculer, alors que je me suis engouffré depuis si longtemps déjà dans ce travail poétique et de pensée, et d'une façon plus radicale encore depuis 4 ans et dans le temps et dans la forme et dans le risque (financier entre autre). c'est-à-dire que c'est désormais la préoccupation et la tache quotidienne première, prioritaire, nécessaire, et vitale peut-être, foncière sans doute. je ne suis donc plus du tout sûr de pouvoir, de savoir désormais faire machine arrière…
ce type de période n’a que pour seul avantage d’amener à réaffirmer ce qui nous est essentiel, crucial.

je n’écris rien d’autre ces temps-ci que ce journal, et des projets, des argumentaires pour obtenir une partie des moyens de continuer… envie alors de revenir à la poésie, en écrire à nouveau, envie de revenir au travail sur bref. et puis aussi rassembler, recentrer tous les divers projets qui ont été entamés et jonchent l'ordi dans tous les coins de son bureau...

 

A voir comment continue à se comporter l'HOMO qui se prétend SAPIENS, on peut raisonnablement se demander si nous sortirons jamais de la préhistoire, autrement du moins que dans le domaine de la mécanique, et même si nous désirons, au fond, tellement échapper à l'héritage sanglant de l'ancestrale barbarie : l'Age du Bronze avait bien ses attraits, après tout, la guerre et la violence conservent, hélas, les leurs, et l'on connaît un Etat pourtant « civilisé » qui, en plein XXème siècle, ose faire chanter, à d'innocents bambins, qu'il existe des sangs « impurs » dont il importe « d'abreuver » les champs…
« Bien sûr, dira-t-on, c'est affreux », tout comme la criminelle stupidité de l'armement atomique (et ailleurs, des autres aussi) comme le napalm des « chrétiens », sur les paillotes et les enfants des rizières ; comme la cruauté de tant de nos divertissements, chasse à courre, combats de coqs, courses de taureaux ; comme la torture, comme le mépris et l'humiliation des petits et des faibles, etc… Mais vous oubliez une chose, qui change tout, c'est l'extrême jeunesse relative de l'espèce humaine.
Celle-ci, née hier, non ce matin, ou il y a une heure à peine au cadran de l'histoire géologique, n'est-elle pas excusable, après tout ? Est-il si surprenant qu'elle sente encore le fauve et que la vue du sang excite sa gourmandise ? N'a-t-elle pas l'avenir devant elle ?
Eh bien c'est précisément ce dont on doit désormais douter. Même en admettant, ce dont on n'a guère d'indices encore, que l'homme accepte l'humiliation véritable, avec ce qu'elle implique –  la pitié, enfin, tenue pour signe de la civilisation ; la réconciliation avec la nature ; le respect de la vie  – est-il certain qu'il aura le temps d'atteindre son but, quand déjà s'allument à l'horizon des rougeoiements d'apocalypse ? quand notre folie nucléaire accepte de faire courir à l'avenir de l'espèce humaine, et d'ailleurs des autres aussi, les risques les plus graves ?...
En réalité, nous nous précipitons tête baissée dans les ténèbres, au devant d'un futur d'autant plus menaçant que nous en forgeons, à l'avance, soigneusement, méthodiquement, les périls. C'est un spectacle qui, contemplé de « l'extérieur », doit paraître bien étrange, et aussi fantastique que la marche des lemmings persuadés à coup sûr, eux, qu'ils vont vers le bonheur, la paix et la joie, alors qu'ils se précipitent en réalité vers le suicide.
Bien sûr ils l'ignorent et peuvent être excusés de croire encore à ce que leur pauvre vocabulaire ose appeler « les lendemains qui chantent ». Mais ce sont des lemmings. Est-il par contre admissible, est-il tolérable, que des êtres pensants aillent, eux aussi, joyeusement, à l'extermination, tout gonflés d'orgueil parce qu'ils vont vite, volent loin et tuent de mieux en mieux ?
En tous les cas, même si le pire devait arriver, même si l'homme devait parvenir à se détruire lui-même directement (ou même indirectement par le truchement des péjorations du milieu), même si le combat devait à la longue se révéler n'avoir été qu'un combat de retardement, un combat d'arrière-garde, eh bien nous ne regretterons pas de l'avoir livré. Il est des aberrations auxquelles nous refusons de nous résigner. Si le navire doit couler, mené sur les brisants par un pilote insensé, au moins que ce soit pavillon haut.

Théodore Monod
(texte inédit écrit pour soutenir l’association française d'échanges et d'initiatives)

 

de ces guerres de milieux, de microcosmes, batailles de chapelles de rases campagnes, qui ressemblent tout de même un peu à celle des boutons.
et, avec un tout petit peu de recul, se rendre bien compte à quel point ça grenouille finalement toujours dans la même marmite...
de ne pas regretter du coup de se sentir viscéralement indépendant au « trognon », de ne souhaiter ni suivre ni être suivi… ce qui ne veut pas dire ne pas s’investir lourdement parfois… mais en tout cas signifie de se tenir en dehors de ces (en)jeux de pouvoir, voire de papisme, là où il y aurait sans doute plus de raisons communes de se rassembler, s’entendre, que de se diviser et batailler pour un lopin.

 

le calme de fond, savoir l’atteindre, c'est la force de fond.

atelier du plateau, l’amie Laurence Vielle sur scène.

 

me 26.06.13
Paris.
réveil mâchonné, mais grand ciel bleu, quoique très vite laiteux, la matinée avançant, l’évaporation progressant.
en milieu de journée, déjà, le ciel se fait menaçant.

institut d'astrophysique de Paris, amphithéâtre en bois, conférence de Joe Silk sur les débuts de l’univers et la question de son infini ou non.

 

je 27.06.13
Paris.
13 degrés à 9 h… pluie.
rien d’autre à dire de cette journée qui n’a eu que la qualité de passer.

 

ve 28.06.13
Paris.
je me fais un dimanche un vendredi, avant 15 jours à flux quasi continu.
mais je passe tout de même une bonne partie de l’après-midi sur les modifications presque terminales de cabane d’hiver, que nous devons remettre bientôt à l’imprimeur. livre, encore une fois, que j’ai choisi de maquetter moi-même, comme la plupart des autres, éprouvant le besoin de travailler le texte également dans cette zone, dans ce « volume », dans cette aire graphique.

ces temps-ci, oui, même dans les moments rugueux, s’en accorder quelques uns de quasi latence pour méditer à tout ce qui se joue au fond dans ces moments de charnière, penser posément à là où je veux aller, fondamentalement.
rassembler les projets. recentrer encore, si possible.

 

sa 29.06.13
Paris.
lever avec l’aurore. écrire un peu, avant de partir bosser dans les arbres.

il me faut revenir à ma ligne, qui a un peu tremblé ces derniers temps, à mon engagement profond, cet acte de vocation qui est celui de cheminer, mener une recherche par les forces poétiques vers ce qui nous est fondamentalement, voire universellement, sens et sensible ; œuvrer à ce sens et sensible et tendre à son expression, par un exercice libre, et aussi donc, préalablement, concomitamment, à sa compréhension, sa pensée, et son partage.

vraiment ici réaffirmer les termes de cette ligne, la préciser à nouveau, l'intensifier, l’amplifier, car c’est, à mon sens, l'un des seuls cheminements qui vaille d'avoir ainsi un axe, une direction, une orientation à suivre, à poursuivre (mais qui, bien évidemment, doit rester ouverte, flexible si besoin, non bornée). y revenir fermement donc, et encore moins tergiverser, dépenser énergie et temps, ailleurs.
sans doute est-ce cela d’avoir un sens – une signification et une direction – à une vie.

être en face de soi à regarder qui l'on est (situation rare et que l'on fuit le plus souvent), l'accepter ; enfin regarder ce que l'on veut, où l'on souhaite aller, admettant les risques encourus possibles.

en cette période trouble ré-assurer, reconfirmer donc, poser, énoncer, prononcer (dans tous les sens du terme) à nouveau ce qu'est cette ligne, en quelques termes ordinaires et clairs :
- écrire et dire
- ce que nous sommes, ce qu'est le monde
- simplement, clairement
- librement.

ces mots pourraient paraître proches du désuet, mais le vivre, avoir ça au trognon, le faire, est une autre paire de manche.

 

di 30.06.13
Paris. Fontainebleau.
levé à 4 h.
à 5 h l'aube pointe et commence à découper les contours, les houppiers des arbres sur le ciel. ces très longues journées de jour de juin...
départ pour de la grimpe sur rocher à Fontainebleau, à l’heure du retour des fêtards du samedi soir, de l'ouverture du boucher, des hommes de ménage de nuit indiens, blacks...

liberté / indépendance.
être en homme libre. pas tant un choix qu’un état, un étant, une nature.
c'est-à-dire aussi dégagé des opiacés domestiques habituels de conditionnement, ceux par exemple issus de quelques superstructures dominantes, comme l'est presque tout média de masse, menaçant à mon sens et l'acuité et la vivacité, la vitalité et l'indépendance intellectuelle.

sans doute que se qui se rapproche du bonheur est une certaine réalisation de soi, de suivre ainsi et vivre selon cette ligne que l'on ressent intimement.
ligne qui pour moi n'est évidemment pas seulement poétique mais aussi éthique et méditative, c'est-à-dire : écoute tout d'abord, compréhension, respect, indépendance, création, action, résistance si besoin.

 

la différence entre la personne, que l'on est, et le personnage, qu'autrui se forge de vous.

Kant, approximativement (pas retrouvé référence) : « penser consiste à inventer son propre mouvement. »

 

lu 01.07.13
Strasbourg.
lever à 4 h du matin.
le beau, le presque chaud se tient depuis quelques jours.
marche toute la journée, à quadriller la ville, nous trouvons un logement pour l’une de mes filles qui va étudier là les arts déco.
cette recherche nous amène à parcourir des quartiers, des milieux sociaux, des styles de vie, des modes relationnels, des cultures, des zones urbaines concentrées par origines, confessions, à rentrer dans des foyers, que nous ne côtoyons que rarement habituellement. extrêmement instructif.

 

ma 02.07.13
Paris.
ciel voilé.

calme, après larges dépenses de ces jours derniers. le corps, le psychisme sont alors comme lessivés, nettoyés de toute scorie, épurés, et cela sans compter les endorphines produites par l’effort, la marche, la fatigue.

 

Mais parmi mes livres, il y en a un qui me plaît, bien que je ne sache pas s’il a plu aux lecteurs. C’est Le Congrès. Il me plaît parce que c’est un livre que j’ai porté en moi pendant plusieurs années sans intenter son écriture, tout en pensant toujours à lui. Finalement je me suis dit: Bon, j’ai déjà trouvé ma voix, ma voix écrite. Je veux dire que je ne peux pas faire les choses ni beaucoup mieux ni beaucoup pis; je vais simplement l’écrire. Et je l’ai écrit.

J.L. BORGES
entretien avec María Esther Vázquez (1985)

 

Je m'intéresse peu aux hommes, à leur opinion et même pas du tout... c'est leur trognon qui m'intéresse pas ce qu'ils disent mais ce qu'ils sont... la chose, l'Homme en soi... presque toujours le contraire de ce qu'ils racontent c'est là que je trouve ma musique... dans les êtres... mais malgré eux et pas dans l'angle qu'ils me présentent je les viole... en toute gentillesse bien sûr mais sans pitié...

Louis-Ferdinand Céline
lettre à Elie Faure (18 août 1932)

 

Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu'elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde ; qu'on l'invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C'est là l'essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque.

Kafka
Journal -18 octobre 1921

 

je pourrais reprendre le manuscrit de bref, mais j’attends une plus large plage possible de travail, un matin tôt.

 

j’écris brut ici, ces temps-ci, ne cherche pas le style, je « pose » seulement, dépose brutalement.