sa 08.06.13
Paris.
grand beau.

théâtre de la Colline, où S donne en lecture l’une de ses traductions. grand texte, enjeux relationnels, affectifs dramatiques, non nommés, langue qui fouette.
puis marché de la poésie, qui se finit ce soir-là pour nous à 3 heures du matin.

je ne sais pas jusqu’à quel point on ne reste pas toujours autant ignorant de la connaissance réelle que nous avons de notre ignorance.

 

di 09.06.13
Paris.
ciel gris.

d’une période creuse, non voulue, il peut être aussi l’occasion d’en tirer bénéfice : de gagner du silence pour mener continûment une pensée, une construction, centrée, du recul pour la vision, précisée, du calme pour le travail de fond, posé.

savoir passer de l’admiration à l’estime, me dit BB avec intelligence.

les poètes pissent dans les pissotières du marché de la poésie. et causent. toujours. encore. même là.

couché fort tard encore.

 

lu 10.06.13
Paris.
ciel gris.

 

ma 11.06.13
Paris. Villepreux : château de Grand’Maisons.
ciel gris. petit crachin parfois en matinée.
grimpe d’arbres.
ça sent le foin. l’herbe coupée.

 

me 12.06.13
Paris.

Voici une lettre que Charles Bukowski envoyait par retour de courrier à ses jeunes correspondants. Elle fut publiée sous forme de tiré-à-part par Black Sparrow Press (Santa Barbara) pour annoncer la parution de War all the time/poems 81-84.

Talking to my mailbox

Petit, ne viens pas me dire que tu n'y arrives pas, qu'ils t'envoient te faire voir complètement, qu'ils conspirent contre toi, que tout ce que tu veux c'est une chance mais qu'ils ne veulent pas te la donner.
Petit, le problème c'est que tu ne fais pas ce que tu veux faire, ou si tu fais ce que tu veux faire, simplement tu ne le fais pas bien.
Petit, je suis d'accord : il n'y a pas beaucoup d'ouvertures, et il y en a quelques-uns au sommet qui ne font pas beaucoup mieux que toi mais tu perds ton temps et ton énergie à réclamer et à racoler.
Petit, je n'ai pas de conseil à te donner, je suggère simplement que plutôt que m'envoyer tes poèmes avec tes lettres de réclamation tu devrais entrer dans l'arène -envoyer ton travail aux directeurs littéraires et aux éditeurs, ça te redresserait un peu la colonne vertébrale et te rendrait plus mobile.
Petit, je veux te remercier pour l'éloge de certaines de mes oeuvres publiées mais ça n'a rien à voir avec quoi que ce soit et ne sera foutrement d'aucune aide, il faut simplement que tu apprennes à renverser ce putain d'état de fait.
Ceci est une lettre-type que j'envoie presque à tout le monde, mais je voudrais que tu prennes ça pour toi, mec.

(traduction française inédite de Daniel Labedan)

 

je croyais que c’était tout autre chose qui me plaisait dans le boulot de Bergounioux : et soudain, une autre évidence, mais à laquelle j’étais resté aveugle, et se rajoutant aux autres raisons, lorsque je saisi soudain que, lorsque qu’il est aux Bordes, la maison de « campagne », il n’écrit pas. exactement tout comme pendant quasi 30 ans je n’ai pas écrit lorsque j’étais en montagne, en pleine nature. et ce n’est pas tellement cela qui est notable, remarquable, que l’équilibre plutôt, s’il l’est, l’alternance, le mouvement de balancier entre l’ouvrage de tête, de table, de tripes aussi, qu’est écrire, et celui de corps, de dehors, qu’est « sortir ». c’est-à-dire être intimement, violemment, intrinsèquement, constitutivement connecté à ses racines, inaliénables, au dehors, à la terre… et que c’est du fait de cette balance, d’abord énergétique, alternative entre deux mondes, enracinés, que j’ai longtemps été empêché d’écrire en montagne, l’impulsion, l’allant, l’énergie ne pouvant être, dans le même temps, alloués à ces deux activités, parce que puisant pour une grande partie dans un réservoir affectif commun… raison également, peut-être, pour laquelle je ressens cette proximité dans nos axes de travail, d’ouvrages.

 

Il ne s’agit pas d’un « journal », au sens où on suivrait simplement le déroulé de ces jours. Il y a le temps linéaire de celui qui l’écrit, attentif aux saisons, ponctué par la vie scolaire, mais aucun des autres temps qu’il superpose n’est linéaire : les enfants échappent aux parents, les deuils retirent ceux qui vous retiennent au passé, et se constitue progressivement le temps de l’écrivain qu’on voit s’affirmer d’un livre au suivant. C’est ce conflit d’un temps métronomique, et de strates de temps démultipliées qui fait de ces mille pages une œuvre complexe, comme Proust nous a appris à reconnaître le temps dans un livre, un objet qui rassemble et tisse les livres de Bergounioux en leur devenant du même coup un nouvel espace. Les autres livres resteront ces points d’effondrement avec scintillances. Ces points d’effondrement on les situera dans la dimension plurielle qui tous les relie au plus originel de la littérature : l’expérience commune, mais si rude, de la vie ordinaire.
(..)
On voit les deux couples ensemble, et leurs enfants. Et puis l’homme miroir, le presque frère, un jour tombe dans le vide. Cela tient en trois lignes, encore, la banalité d’un accident. Nous sommes la première génération, probablement, à n’avoir pas été confrontés (éclipse provisoire ? - cela hante ces mille pages en continu) au monde en guerre, en guerre jusqu’à nous. Après l’accident, trois ans d’une mort annoncée. C’est dans ces trois ans que Pierre apprend à être écrivain. Qu’emporte-t-on avec soi de la mort de l’autre, de ce qu’on a extrait de soi, qu’on n’y savait pas, pour que sauver l’autre soit possible, mais est resté vain ? Alors ce saut dans le vide, la disparition d’un être sous le regard même de celle qui partage avec lui sa vie, était forcément sur la route de l’écrivain.
J’affirme que l’épopée très simple de cet inconnu est ce qui a décidé que ce « journal », arraché aux os et à la chair de Pierre Bergounioux, soit précisément l’immense livre tout entier consacré à la recherche d’une vie, lorsque cette vie ne nous laisse que son impasse. Pierre Bergounioux s’est toujours inscrit dans les récits qu’il tend vers ce dont témoignent pour nous tous les anonymes que nous portons, cela qui resterait muet sans cette décision d’un livre. Ce récit particulier a voulu que pour l’inscrire il puise dans ce qu’il avait gardé de plus secret : son propre et continu journal. Mais c’est bien cette disparition qui fait que ce journal devient un livre, et exigeait qu’il fût spatialement immense. Et peu importerait que nous restions quatre ou dix à le peser dans nos mains, ce livre d’un secret : on sent parfaitement, et c’est devenu tellement rare, combien la littérature seule alors, ici, commande.
Il n’y a de réalité qu’ainsi construite, et c’est la nôtre qui s’augmente.

François Bon
Bergounioux : 10 ans, 1000 pages
http://remue.net/spip.php?article1373

 

Parfois, au début, je concevais Pierre comme un grand de la littérature orale, peut-être le dernier d’une grande tradition de conte oral : quand Bergounioux parle, on dirait d’abord que c’est comme dans ses livres.
(…)
On l’écoute, et dans ce qui surgit ou s’analyse on dirait que lève la nouvelle boucle d’un livre inconnu ou inadvenu encore qu’il aurait signé, avec cette exactitude des images et l’implacable devoir de la vieille langue de retomber d’aplomb. Fascinantes improvisations dont se souviennent les amis de Bergounioux, lui comme remorqué par un fil invisible et tendu incroyablement qui relie l’idée et le concret, l’expérience au présent de vivre et l’immense héritage collectif des hommes, alors qu’il refuserait de lire en public une page déjà imprimée. Au début, je croyais donc que ses livres s’écrivaient depuis cette force-là, qui suppose l’autre et reste dans l’intérieur de la relation sociale, ce qu’est aussi le savoir.

François Bon
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article683

 

La réalité, on le sait, est double. Elle est faite, pour partie, des choses et, pour partie, de l’idée qu’on s’en fait.

Bergounioux 
Une prose noire
http://remue.net/spip.php?article2519

et peut-être alors que, au regard de la citation ci-dessus, le fait de me tenir à l’écart, indépendant dans une certaine mesure des « milieux », des « mouvements », si cela est parfois une difficulté, est aussi sans doute le plus souvent la possibilité d’avoir une vision qui ne soit pas par trop marquée par l’estampille, le style, le genre, du pré carré intellectuel, socio-culturel, que constitue ce monde, petit, de ceux qui écrivent. ce monde de ceux qui, de par leurs positions, ont et l’opportunité et le temps de voir, et celui de s’en rendre compte, et plus encore celui de pouvoir en rendre compte.

 

le journal ici devient peu à peu l’établi, montré, l’atelier éventré à ciel ouvert. rôle que tenait auparavant le site, mais que, désormais, j’ai choisi, pour une bonne part inconsciemment sans doute, de faire tenir dans le livre.
ce livre que devient le journal, journal qui finit par faire un livre.
qui se nourrit du récit de la construction de lui-même. et Proust, ici, nous a précédé.
ainsi, à ce travail qui par essence se déroule dans le silence et l’oubli, l’on ajoute alors la marque, la qualité, l’épaisseur, la durée, et la visibilité peut-être, d’une temporalité.

 

journée de travail continue, intense, épuisante. la nuit tombe lentement que je n’ai pas cessé, sauf le temps d’une petite marche dehors, d’une demie heure, dans le doux du soir.

un jour écrirai-je sur mon père, sur son monde ? et le ferai-je avant sa disparition, que je n’arrive pas encore à imaginer comme tout à fait possible, à venir ?

 

je 13.06.13
Paris.
ciel gris, noir, couleur de cendre.
un autre refus encore, pour le énième projet que j’ai déposé. quelle série…
ce qui signifie l’allongement un peu plus encore des mois sans revenu extérieur. rude coup.
mais cela n’empêchera évidement pas la poursuite de l’entreprise, ni n’entamera ma détermination. tout au contraire.

 

ve 14.06.13
Paris. Fontainebleau.
ciel légèrement laiteux. bleu-blanc.

depuis quelques mois, je travaille pour que les choses ne s'effondrent pas, non pas pour construire.
épuisant, usant, abrasif.
à se débattre plus qu’à se battre.

Si grande est la disproportion entre ce qu’il y a et ce qu’on est (…).

Pierre Bergounioux 
La Mort de Brune, Folio p. 12

 

départ pour escalade et bivouac.

 

plus tard.
bivouac.
depuis le promontoire de grès, le soleil couché, la nuit. le chant stridulant des grenouilles au-delà des arbres. surplombant légèrement la grande ligne d'horizon noire de la forêt immense.
des gosses heureux qui s'endorment.
plus tard.
installé sous mon caillou, dans le sable, les grenouilles croassent au loin, la lune et son premier croissant, écouter la forêt, les étoiles, les ombres chinoises des pins devant... pourquoi se faire chier avec le reste ?
sous mon caillou, dans mon duvet, ayant vidé seul deux tiers d'une bouteille de vin, les autres ne buvant pas.

 

On a deux vies et la deuxième commence le jour où l'on se rend compte qu'on n'en a qu'une.

Confucius

 

sa 15.06.13
Fontainebleau. Paris.

lever dans l’air clair, à peine nuageux, du matin. méditer sur l’avancée rocheuse, devant la montée du soleil. nous approchons du solstice.
encore un peu de grimpe, petit déj à l’auberge en forêt, marche dans les chaos et failles de grés, puis retour.

dans un état second, léger, lumineux, produit par la calme, puissante, saine fatigue du grand air.
je me rends à la nuit remue.

 

di 16.06.13
Paris.
levé très tard. méditer dans le plein soleil, paupières fermées.

dans l’après-midi, café calme dans le jardin avec les amis.

 

lu 17.06.13
Paris.
orage violent au réveil. le jour est noir, plus sombre qu’une aube, la pluie malmène les branches des arbres. un brouillard de gouttes s’élève là où elles rebondissent, quelques mètres au-dessus de la terre. les caniveaux débordent, les gouttières crachent. le bruit de l’eau courant, rugissant, du tonnerre, claquant, de la foudre, flashant, au réveil. je médite fenêtre ouverte devant ce théâtre puissant.
le bruit prenant décroît, progressivement. le jardin s’égoutte. il est passé.
quelques minutes de silence, puis l’arrière-garde de l’averse arrive, le bruit des feuilles, des toits, des sols clapotés, revient, moins fort, un peu.

vers 11 h le second front de l’orage nous aborde, et redouble, lumière crépusculaire, ambiance d’éclipse, ciel noir, presque vert par endroit. les voitures roulent phares allumés, il ne pleut pas, il tombe de l’eau, en cataractes. il est annoncé de la grêle.

 

j’oublie parfois, brièvement, de fumer. petit progrès.

on a toujours assez de pente pour aller vers la gravité.

 

ma 18.06.13
Paris.
réveil lourd, pesant.
tout ça ressemble ces temps-ci au journal d’une bagarre. et évidemment d’un tourment.
impatient d’arriver dans la période de remontée, le cercle vertueux, qui toujours, forcément, suit.
rien de léger ces temps, que du lourd à porter. rien ne marche sauf une partie de ce qui est l’essentiel : la famille qui va, et écrire, posément, continûment, inlassablement, en coulisses… mais la sensation d’avoir un peu les ailes coupées, essentiellement par le manque actuel de moyens. et j’aimerais parvenir à ne plus parler de tout ça, ainsi, négativement, obsessionnellement (car je suis déjà rentré, en partie, dans ce schéma compulsif… on fait ce que l’on peut avec la tête qui nous a été donnée). ne pas s’user le psychisme à ça.

à ne vivre que sur des projets et rien de concret, si ce n’est le manque de… passer la crête, vers la pente positive, même si cela ne se fait pas d’un simple coup de rein. mais est-ce que ce sera maintenant ou dans quelques mois seulement ? probablement dans quelques temps encore. il y a encore quelques saisons laborieuses à passer sans doute. mais je sais aussi que la roue tourne, toujours.
ceci dit je décide de basculer maintenant, de tenter de rester dans de la construction, de mener ambitieusement encore ce que j’ai à faire. mais ce volontarisme opérera-t-il ?
je pense aussi à ceux qui, par exemple, hier, ont perdu, avec les orages de grêle aux projectiles gros comme des œufs, l’intégralité de leurs vignes et parfois pour plusieurs années. dans quel dénuement ils sont, et comment vivre dans l’urgence immédiate, et comment, ensuite, remonter ?

je me bats déjà. mais il faut finir également de voir les choses en noir. avancer, construire malgré tout… même si je sais bien que toute la situation financière, sociale, actuelle s’y oppose, trouver la brèche, garder la ligne, l’axe.
se sentir devoir être en poésie, résistance, dans la tentative de sentir et comprendre : c'est prendre un risque, financier entre autre, et continuer de le prendre.

l’un des malheurs dans ces périodes sombres est également que l’on ne doit pas seulement lutter pour soi strictement, mais aussi contre, et je pense ici aux fascismes montant et qui m’inquiètent (et c’est un exemple très symptomatique d’un type de période), affleurant dangereusement ces temps-ci, et qui, toujours, poussent sur le fumier, la merde. cette entreprise-là est l’une des plus difficile, car, « dédiabolisés » comme l’on dit, ces mouvements entraînent par instinct grégaire, moutonnier – où la pulsion, le ça mènent la danse vers la pente la plus aisée, qui est aussi la plus glissante de boue, alors que de voir clair, avec compassion, attention, ouverture, librement, relève toujours d’un plus difficile effort, d’une plus profonde réflexion – nombre de citoyens qui, par souffrance, mais pas uniquement, par facilité de réflexion, perte de mémoire historique, suivent en bêlant ce qui devient désormais un grand nombre, un trop grand nombre, si ce n’est le plus grand…

revenir au calme, au recul qu’offre la méditation. voir justement, voir ce qui est véritablement, remettre toute chose à sa juste mesure.
mais il faut parvenir à arrêter de se battre toujours avec soi et les idées ternies, car c’est se battre en définitive contre soi, pour regarder ce qu’est tout cela véritablement : un océan, dont les clapots de surface de nos pensées nous perturbent, alors que dans les fonds la nature de notre esprit est fondamentalement calme.
retrouver un détachement qui est, aussi, la condition d’une action posée, sereine.

 

j’écris mal ici, mais le besoin d’écrire. ceci dit il n’est pas certain que cela soit une justification suffisante de le faire.

le risque de dire ce qui se passe ces jours-ci, d’exposer un intime, même largement filtré, et l’ampleur du travail de dire cela quotidiennement, me semblent insensés. et pourtant il me faut continuer. pourquoi ? parce que tout simplement – comme si cela l’était, simple ! – c’est là que se disent nos jours, nos vies, nos trajectoires, nos existences, choses pour lesquelles la littérature, qui est tellement au-delà de l’utilitaire outil du langage, a non seulement grand attachement mais aussi peut-être pas d’autre raison qu’en elles ni d’autre cause ni d’autre objet.

 

me 19.06.13
Paris.
ne plus penser sans cesse aux mêmes idées. l’enjeu est là.
ouvrir. les boucles.
détacher.

de nouveau en fin d’après-midi la nuit presque, le ciel noir, irisé de reflets verts, l’orage violent. qui malmène mes plantations.

soirée de lectures poésie : quelques belles, fortes, justes voix, et beaucoup d’autres qui, au-delà des différences de goûts que je conçois, respecte, ne sont à mon sens que de l’esbroufe vulgaire.
ceci aussi, ce fait : tous sont ancrés fixes à leur bases, spatiales, sur le plateau, pas un ne bouge de ce lieu, ni ne marche. tous collés à leurs papiers, pas un par cœur. tous lisent, pas un ne dit.