29.05.13

Paris.
temps gris, pour changer.
mais enfin un peu de réussite ce matin.

je constate, je ne m’en rendais finalement qu’à peine compte, que la maison, les étagères, les tables sont ici pleines des cailloux, de pierres, récoltés.

soirée aux Bouffes du Nord.

 

30.05.13
Paris.
toujours temps gris, pluvieux et frais. le ciel est si sombre qu’il fait presque nuit à 14 h.

il pleut, il pleut, le téléphone ne sonne pas une seule fois, je suis seul à la maison, tout est calme, tout juste au bord de l’ennui que l’on frise sans y rentrer, presque l’impression d’être dans la yourte de cet hiver, écouter la pluie tomber, dehors.
alors je fais du travail d’écrivain toute l’après-midi : relecture et affinages de la maquette de cabane d’hiver qui doit sortir en septembre, avant envoi à l’imprimeur.

ouvrir la fenêtre pour mieux écouter la pluie, mais elle se calme un peu, les oiseaux alors se remettent à chanter après l’averse.

 

31.05.13
Paris.
gris, pluie. les précipitations ces derniers mois, selon les régions en France, ont été 2 à 3 fois supérieures à la moyenne. par mes activités j’ai toujours été extrêmement attentif à la météo, et de mémoire je n’ai jamais vu cela.

relecture encore… une journée et demie de ce travail ingrat.

les lessives ne sèchent pas. je n’ai toujours rien semé à la place des tulipes, je crains que ça ne pourrisse. on se chopperait presque des champignons sur la tête tellement l’humidité est prégnante.

 

01.06.13
Paris.
un peu de soleil, enfin. l’une des rares journées que nous ayons eue de claire depuis des semaines.
journée à travailler dans les arbres.

je rentre, et parce que crevé, je m’énerve aussitôt contre l’une de mes filles, d’une colère brève, aiguë. j’en ressors penaud, honteux, triste…
une sieste, courte mais profonde, me remets un peu d’aplomb.
ensuite à lire, à écrire…

 

Il (Descartes) aurait dû ajouter qu'étant les choses auxquelles on naît, on ne les verra en tant que telles qu'autant qu'on s'en est éloigné. On ne se connaîtra pour ce qu'on est qu'après avoir cessé de l'être. L'exil est au principe de la connaissance et toute connaissance en exil.

Pierre Bergounioux
L’empreinte, éd. Fata Morgana p.57

 

année effectivement bien creuse. année de dépression pas tant pour le bonhomme, qui reste actif mais secoué, que pour l’activité elle-même. types d’années que je connais, cycliques.
mais tenir tête ou laisser couler, en tout cas continuer sur ma ligne ferme, active, bosser dur... toutes choses en fait que je fais déjà. mais la baisse d’activité atteint forcément, et même si l’on se cravache, on se fouette un peu à vide.
toute personne dans une entreprise d’envergure, d’une vie, connaît ces passages à vide, ces « traversées du désert », mais elle sont aussi à mettre à profit : pour avancer sur le fond, réfléchir, penser, méditer, mûrir…
ça viendra, ça reviendra, après, plus tard. je n’ai pas de superstition mais je sais d’expérience que ces périodes durent en général un an. j’en suis à 6, 7 mois…
projets à travailler : résidence 2014 / disque / bref (le laisser encore reposer, reprendre le travail dessus, disons début juillet, après 2 mois de repos grosso modo).

 

disque : écrire un disque comme l’on écrit un livre. une conduite précise, un opus écrit spécifiquement pour cela, et dans la continuité du travail engagé il y a 4 ou 5 ans. après les expériences fortes de scènes en public, et au-delà de l’alchimie dans le présent, l’immédiateté du « live », travailler désormais la voix, le son, la musique dans l’infime détail.

 

di 02.06.13
Paris.
je suis réveillé en sursaut par le mot « cancer » qui fait irruption soudainement, et interrompt mon sommeil brutalement, je devais être dans un cauchemar y ayant trait. humeur profondément triste au réveil, une mélancolie brutale. le peu de réussite, la loose au boulot, dans quelques uns de mes projets, les annulations, les refus répétés, quelques autres soucis, l’alerte pulmonaire, un temps de nuit boréale depuis des mois, ça commence à faire beaucoup, beaucoup… et à la fois mettre cela dans une petite boîte, à sa juste place, et sans le dénier le vivre avec recul — mais je suis par conséquence plein de micros peurs, d’inquiétude ténue mais continue —. ce sont de petites choses qui attaquent, grignotent, rongent, mais il me faut continuer à les tenir à distance. j’en ai les ressources maintenant en partie grâce à la méditation, mais en partie seulement. j’en ai le savoir, mais la pratique parcellairement. ceci dit je me connais mieux, beaucoup mieux que lors des précédentes périodes de « récession » personnelle violente. je ne suis pas non plus, et cela est un terrain fondamental, dans le même épuisement psychique, mais il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps.
alors qu’à priori c’est justement la réalité que l’on se prend en pleine poire, c’est comme si l’on ne jouait pas avec elle totalement, pas en prise avec complètement, comme une adéquation quelque peu décalée, que l’on marchait légèrement à côté, dans un monde de perception parallèle, altérée, à la lucidité abîmée… ces moments où l’on ne voit plus clair, la netteté d’esprit, les pensée qui ne tournent pas bien à l’endroit…
et ce qui est lourd aussi, c’est que je ne veux pas trop en parler à certains des proches, les plus âgés par exemple, de peur de les inquiéter trop. ceci dit je vais le faire quand même, garder la parole libre, ouverte.
mais, au sein de tout ça, S et mes filles vont bien, j’ai énormément écrit ces derniers mois et des choses qui me sont sans doute importantes, et peut-être même ai-je réussi à ne pas les dire trop mal.
c’est donc bien une année charnière. je sais comment se passent ces grands cycles, tournants de refondation, et c’est parfois avec douleur. refondation car même en écriture j’ai opéré je crois bien un virage radical.
il me faut alors m’économiser là dedans, ne pas sombrer, ne pas alimenter soi-même le creux de pression en y pensant sans cesse, en se lamentant, ne pas se complaire dans une mélancolie dépressive… il ne faut pas que je m’enferme là-dedans, il faut distance garder, et joie de vivre. profiter des petites choses heureuses qui arrivent quand même. le soleil par exemple ce matin, chose toute simple mais si savoureuse, jouissive…

deuxième journée consécutive de printemps donc, et c’est inespéré. nous somme un deux juin.

épuisé sans doute par ma nuit agitée, je fais une sieste au soleil. j’ai l’impression que c’est la première, ainsi baignée de chaleur, de lumière, depuis des siècles.
je peux enfin semer quelques fleurs, avec un mois de retard par rapport aux années précédentes. puis lire devant le jardin. je m’apaise un peu. savoure la fraîcheur du soir, le jardin clair, au repos dans la fin de journée qui avance, le contact au dehors qui est une sensation chez moi enracinée, nécessaire, liée aux origines, sereine, légère, doucement enivrante.

 

lu 03.06.13
Paris.
basta les pensées explorant, nourrissant, regardant les pensées sombres… ne plus alimenter.

journée de travail. et le soleil là pour sa troisième journée.
cette année écriture (livres, journal, disque), année prochaine réalisations.
cette année est donc celle du travail, des réalisations à l’ombre, sans exposition publique. ce n’est pas tellement une volonté, mais en faire alors quelque chose de cela. en tirer un bénéfice pour le travail de fond.

 

ma 04.06.13
Paris.
le soleil enfin revenu, c’est tout le corps, les corps, et le psychisme qui s’éveillent. ou plutôt qui s’éclaircissent, acquièrent enthousiasme, élan, légèreté, à l’image de la lumière revenue. lumière qui joue dans le jardin entre taches de soleil et d’ombre au travers du feuillage du prunier.

basta fini de se plaindre, de voir toutes les nouvelles peu excitantes qui arrivent comme foncièrement mauvaises.

que nous sommes si petits. qu'avec nos soucis si personnels nous ne sommes pas plus grands, qu'ils n'ont pas importance au point que leurs effets, leur influence, leur zone d'action dépassent notre petite personne propre et aient une quelconque conséquence pour nos voisins, nos  contemporains, nos semblables.

Une grande partie du génie réside dans la capacité de tirer profit, pour soi et sa science, de tous les incidents de la vie.

Georg Christoph Lichtenberg
le miroir de l'âme
(éd. José Corti, p 470 - J 1547, trad. Charles Le Blanc)

 

l’écriture du disque parl#, comme bref, se construit peu à peu : la pose de petits éléments d’abord, petits bouts épars, quelques désirs, quelques désirs de sons, de timbres, de voix, d’éléments sonores… désirs d’intensités, de façons d’ouvrir et de conclure, de quelques pics d’énergie, nécessaires, qui s’imposeront d’eux-mêmes sans doute… sans savoir encore aucunement quelle pourra être la forme de l’ensemble… pour l’instant, comme souvent, à mon habitude, je rassemble, je fais un tas de matériaux potentiellement utilisables.

 

en fin d'après-midi, lecture en terrasse de café et, le soleil tournant, il vient taper sur ma table, rend la page blanche de mon livre réverbérante comme un miroir, et me baigne et de sa chaleur et de sa lumière aveuglante et de sa tiède rassurance, signe animé d'énergie, de possibilité de vie. temps aussi à réfléchir, penser, calmement, écrire, laisser monter les idées, dégagées du travail, quasi achevé, de la journée.

 

l'âge se lit, d'abord, aux mains.

 

ce risque de dire ici, et de dire dans une quasi immédiateté.

 

me 05.06.13
Paris.
dans l’air frais du matin, dans le jardin, les tout petits bruits, les chants des oiseaux qui surgissent et disparaissent à la vitesse de leur vol en une brève trainée musicale, au loin, un piano aussi, au loin, les sons sourds d’un chantier, d’une machine, au loin aussi encore…

très belle expo Chaissac / Dubuffet, en écho.

le temps est lourd, pour la première fois de l'année.

vies petites (qui me semblent étroites, étriquées, effroyablement ternes, dans lesquelles en tout cas j’étoufferais), ce n’est pas tellement qu’elles soient non significatives que non signifiantes (pour moi)…

 

je suis oui vraiment maintenant entre deux mondes : celui que je connais déjà, dont je connais déjà les discours, les préoccupations, les recherches ; et celui dont je m’approche mais que je ne connais encore qu’à peine, à distance.
un entre-deux de silence, donc, pour l’instant, dans l’attente. et ce n’est pas forcément évident cela, ce silence, cette attente. mais ça va arriver. patienter. pour l’instant, bosser dans cet espace.
et puis l’important n’est pas là, mais de chercher encore, travailler comme un maniaque avec cette matière de langue, dans cette matière de langue, tenter de nous dire, moins mal…

 

je 06.06.13
Paris.
les prunes sont là, comme de petites olives vertes.

marché de la poésie.
discussions avec de très nombreuses personnes, donc Catherine Flohic, qui me fait un beau cadeau : B-17 G de Bergounioux, qu'elle édite.
dans son journal : il est étrange que chez quelqu’un qui possède assez et les capacités de conceptualiser et les outils de l’intelligence pour atteindre, à priori, un peu de paix, de sérénité, de sagesse peut-être même, subsiste une telle anxiété ontologique et tant du réseau des inquiétudes domestiques. c’est que ce fond d’angoisse, qui est avec une certaine probabilité l’un des moteurs de la recherche, ne peut être atténué, « domestiqué » par cette quête-même, qui relève d’ailleurs quasiment du devoir intime, parce qu’il en reste possiblement le moteur justement. l’ôter, cette anxiété fondamentale, serait alors priver la recherche de l’une des ces forces motrices ? question que je me suis longtemps posée, et pourtant j’ai pu découvrir, par quelques expériences de temps sereins, que cet axiome ne tient pas.
ce qui me plaît, me touche le plus, peut-être, dans son travail : les circonvolutions subtiles, fines de la pensée, associées à l'ornementation, circulaire souvent, de la langue qui la dit.

au retour, par la vitrine du restaurant d’en face, voir mes filles manger, avec leurs amis. c’est assez touchant de les voir ainsi, grandes, fêter, sans nous.

 

ve 07.06.13
Paris.
grand beau.
lever à 4 h du mat : la ville à cette heure… une personne qui court, déjà ou encore, fait du jogging… une autre qui dort sur les marches du commissariat pour être la première dans la file d’attente pour l’obtention des cartes de séjours. une autre encore qui dort sur le trottoir, habituée du même banc depuis quelques années. celui qui dépose des vélib, réparés sans doute, avec sa longue remorque. la gare Montparnasse quasi vide, des camions qui déchargent sur les avant-quais là où dans quelques heures la foule se pressera dans une densité extrême... la nuit, bleu, outremer, bientôt clair.