18.05.13
Paris.

profiter de ce calme du samedi pour s’apaiser. méditer, écrire, nager.
demain jardiner.

la poétique des dictateurs :

D’abord nous tuerons tous les subversifs, ensuite nous tuerons leurs collaborateurs, puis leurs sympathisants, suivis par ceux qui restent indifférents, et enfin nous tuerons les timides.

général Iberico Saint-Jean
gouverneur de Buenos Aires, en 1977

 

parler-murmurer-chantonner.
il pleut.

cette conséquence de voir ses livres publiés le plus souvent deux à trois ans après la fin de leur écriture, qui est que les préoccupations attachées à une étape, à un moment, et leurs formes, si ce n'est leur fond lié lui aux préoccupations d’un vie, parfois paraissent passées, dépassées pour moi, alors que je suis déjà dans une autre période, d'autres travaux, d'autres trouvailles parfois... fait qui signifie aussi que le lecteur a toujours une vision légèrement décalée par rapport au front de taille, d’actualité des recherches menées.

de ce fait également : que les retours, les réactions, les mots, les mails ne viennent plus, depuis quelques temps, strictement de mes « pairs » mais de lecteurs que je ne connais pas.
ainsi dépasser le « cercle » et créer les possibilités de partage au-delà est sans doute un élément de fond d’une certaine continuité, et pérennité peut-être, dans le dialogue muet qui lentement s’élabore par un écho chez l’autre, et donc probablement aussi autour d’une certaine universalité du propos, capable de toucher.

longue marche sous la pluie, dans les rues.
à 19 h 30 la pluie ne cesse plus.
il fait presque froid.
légère mélancolie, les périodes creuses, le fait de n’être pas en réussite ces temps-ci.
mais ça écrit, quand même, 2 livres cet hiver, et c'est déjà ça que le boulot de fond avance.

travailler aussi à écrire plusieurs gros projets pour 2014-2015, réalisables si l’on veut bien m’y aider.

 

19.05.13
Paris.
ciel gris, de plomb, temps humide, frais.

il pleut à verse, de façon nourrie, froide, comme un automne. impossible de s'occuper du jardin, de semer, impossible de bosser dehors en escalade... vivement la lumière et un peu de réussite... en attendant essayer de savoir être patient, calme, lent, s'abriter dans les petites choses qui me sont importantes : lire, écrire. mais sans, non plus, s'y enfermer.
depuis quelques jours le petits sourire intérieur, en coin, est revenu. sans doute m'aide-t-il.
suis allé nagé, dans un piteux état, mais au retour, bloqué par la pluie violente sous l'auvent d'un immeuble, les vêtements humides collés à la peau, je sens alors le bénéfice de la nage. le calme, le silence dedans arrivent un peu. je regarde la pluie, les caniveaux se gonfler grassement. je suis là, je n'attends rien. il pleut. ça va se calmer. forcément ça va se calmer. ça se calme toujours.
j'allume une cigarette, bloqué sous l'auvent du monoprix. le sommet des immeuble disparaissent dans le brouillard de l’averse violente. ça continue... je n'ai rien d'autre à faire aujourd'hui que de regarder la pluie tomber.
alors je reste là sous l'auvent. je laisse faire. je laisse tomber, j'essaie d'accepter. je laisse se dissoudre les tensions, les tristesses, les mélancolies...

ce que les gens, les lecteurs, projettent, investissent de leurs désirs et psychisme au travers de ce qu'on leurs propose, met à disposition. ce qu'ils mettent d'eux dedans, de demande implicite, auquel il n'est pas possible, pour celui qui a écrit, d'y répondre pleinement...

la pluie ne s'arrête pas. je m'engouffre au travers de son rideau...

 

20.05.13
Paris.
il pleut. et il est annoncé cela pour une dizaine de jours. une catastrophe pour mon boulot. mes cousins aussi n’ont eu le temps que de semer un ou deux types de céréales, pas plus.
on se croirait en refuge, en montagne, à attendre que le mauvais passe. obligé même de rallumer le chauffage pour faire sécher les vêtements d’hier qui sont encore trempés après la nuit.

pluie, pluie, froid…. mais des clients se réveillent quand même, malgré le jour férié et de flotte… allez comprendre… folle journée même. plus beaucoup de cerveau en fin d’après-midi pour réfléchir ne serait-ce encore qu’un peu…

 

21.05.13
Paris.
il pleut. froid.

il reste de la neige à basse altitude en montagne (certains copains en trouvent en ce moment là où elle a normalement disparu depuis au moins 1 ou 2 mois). l’hiver a été fortement et exceptionnellement enneigé, et qui plus est, il ne finit pas…

journée plus légère, à parvenir à se recentrer sur le calme, le sain. pris quelques médocs, et la chimie légère qui fait son effet, bénéfique, que je connais bien.

à regarder encore quelques films de clown (Jos Houben)…

 

22.05.13
Paris.
ciel bleu, enfin. une « fenêtre » dans ce qui est annoncé du temps à venir.

depuis 35 ans que j’écris, j’ai bien dû passer au moins les 15 dernières années, fasciné par la langue, à parler d’abord, essentiellement, d’elle, avec un peu du reste autour évidemment (autant dire que je commence à la connaître un peu). maintenant juste j’écris.
je crois.
et en essayant d’être clair, autant que faire se peut.

 

Nous marchons, Gaby et moi, dans des souvenirs d’immanence, dans un passé dont nous n’avons pas senti qu’il était présent parce que nous étions encore sans avenir.

Pierre Bergounioux
Carnet de note 1991-2000
éd. Verdier, 15.7.1996, p 729

comment le temps coule.
parfois épais et lent comme une mélasse, aussi bien dans le moment-même où on (le) vit (pour cause d’ennui, ou par trop de charge de travail, de charge affective, etc…) que dans le moment où on l’éprouve, rétrospectivement, lorsque, regardant on arrière, on ressent alors sa durée.
mais il est souvent aussi vaporeux, impalpable, insaisissable, fuyant… l’oubli des jours passés par exemple. et parfois si rapidement : qu’ai je fait, sans parler de qu’ai-je mangé, avant-hier ? amnésie, effacement parfois plus manifestes, plus violents, que l’oubli des choses plus anciennes, qui, avec le temps, et il nous fait le constater, ont laissé marques, empreintes, prégnance, comme des rainures gravées dans la frise et le flux continu des heures qui, sans ces traces, seraient lisses et vierges.
mais parfois aussi dans le présent, immédiat, celui d’aujourd’hui-même, existe cette bizarre impression d’un  temps dissous, de journées qui n’ont pas passé, qui ne se sont pas passées, où rien ne serait passé, rien ne se serait passé… d’où cette expression justement, courante  : « je n’ai pas vu la journée passer. »
et c’est peut-être ça le présent : à peine mémorisable, inappréhendable, insaisissable, comme poignée de sable entre les doigts, parce que, seule chose qui n’ait pas de fin, il ne fait que couler, passer… et que, écoulant si vite, si évanescent, vaporeux, on peut parfois se demander s’il est bel et bien passé… on l’a à peine senti filer… et c’est peut-être alors seulement que, devenu passé, passé dans le passé, l’on se rend compte de son passage, que l’on réalise qu’il a eu une épaisseur, un temps, une durée, un contenu…

je ne sais pas si l’on peut remplir le présent, où si ce n’est qu’une fois passé que le présent paraît alors avoir été « rempli ». que signifie alors  « remplir son temps » ? et comment le « remplit-on » ? en gavant son « emploi » du temps d’actes et de contenus tellement que la mémoire saturée des faits qui se sont déroulés, dans le présent, oublierait les détails pour ne retenir qu’une impression, globale, rétrospective, de plein, de trop-plein, de satiété oublieuse des petits faits qui l’ont constituée ?

 

23.05.13
Paris.
un peu de soleil au matin, puis il pleut…
froid. fatigue de travailler, toujours. d’être dans des projets toujours (des gros en ce moment, pour un éventuel début de réalisation pas avant un an). mais calmer le jeu. lever le pied ces temps-ci… si je sais faire.

 

24.05.13
Paris.
froid toujours, pour la saison, c’est-à-dire que ça reste en dessous de 10 degrés depuis plusieurs jours, il fait même 4 vers 8h, 8 à 10 h. c’est assez incroyable.
et puis la pluie, par séquences, intenses. et la grêle, même, pour faire bonne figure. ça me rappelle un temps d’altitude (montagne) ou de grande latitude (Écosse, Islande, cercle polaire…) qui serait, là-bas, à peu près de saison.

pas touché à bref depuis le 7 mai. il repose. et moi aussi peut-être, quoique.
il est possible que ce soit un peu la surprise quand je le rouvrirai, et je ne pense pas le faire avant quelques semaines encore, pas trop tôt.

il pleut, pleut…
nous sommes le 25 mai et je sors avec un bonnet… dans une accalmie.
plusieurs semaines que je n’ai pas écrit dans le carnet papier, « à la main » (signe des temps sans doute). j’ai l’impression de perdre lentement l’écriture manuscrite, elle devient gourd(e), maladroite, encore moins lisible qu’avant. le geste est épais, lourd.
je m’arrête en terrasse abritée, regarder le monde passer. ça caille, une humidité profonde, pénétrante.

 

le fait d'être dans ce travail depuis toujours, ce n'est pas un choix.
mais une chose qui s'est imposée un jour, et s'impose depuis, chaque jour.

 

25.05.13
Paris.

peut-être est-ce parce qu’aujourd’hui je sens le temps couler que j’écris long, journal, autres proses ?...
alors qu’ados, je le brûlais, le dépensais ce temps, ce que l’urgence du poème révélait, c’est maintenant une coulée plus longue, une foulée d’écriture plus foncière que sprinteuse, maintenant que ce temps se sait plus rare, plus court. quand on se met à raconter des histoires, les heures, la durée deviennent alors des alliés, dans le même moment d’ailleurs que l’on commence à redouter de les perdre. la poésie est une urgence, une brièveté, la prose un continuum, une durée, et une patience sans doute.
le poème, jeune, est une impatience, mais peut-il alors, avec l’âge, devenir patient ?
je n’ai pas peur, pas encore, de vieillir, je suis même au contraire plutôt curieux, satisfait que cela change, que cela soit une aventure. imaginons si nous restions bloqué à l’âge 17 ans toute une vie ? en serait-ce une d’ailleurs ?

 

plus tard… vent du nord, le soleil perce. attente d'un collègue en bord de périph. les nuages défilent. le temps pourrait changer très vite.
journée à faire grimper dans un séquoia géant d’une trentaine de mètres.

 

plus tard.
je jette un œil dans bref. impressionné, intimidé.
envie, presque, d’y retravailler, mais… comme, comme quoi, je ne sais pas bien, peut-être comme un truc qui me dépasse, m’a dépassé.

 

plus tard.
exténué.
pourquoi raconter ça ? en quoi ça participe ?
exténué et pourtant vouloir écrire encore. devant l’ordi encore à une heure avancée, cuit.

j'ai toujours senti ce truc étonnant avec l'écriture de toujours pouvoir aller plus loin. et de sentir la confiance calme, profonde pour cela.
ce qui n’a rien à voir avec un sentiment de sûreté quant à la qualité, mais bien plutôt la conviction intime de devoir y travailler.
en bref, pas sûr que ce soit bon, mais sûr de vouloir toujours prendre le risque de cette entreprise.

 

parole claire. s’en rappeler, de temps en temps.

L'esprit reçoit des myriades d'impressions, banales, fantastiques, évanescentes ou gravées avec acuité de l'acier. De toutes parts elles arrivent – une pluie sans fin d'innombrables atomes ; et tandis qu'ils tombent, qu’ils s'incarnent dans la vie de lundi ou de mardi, l'accent ne se marque plus au même endroit ; hier l'instant important se situait là, pas ici ; de sorte que si l'écrivain était un homme libre et pas un esclave, s'il pouvait écrire ce qu'il veut écrire et non pas ce qu'il doit écrire, s'il pouvait fonder son ouvrage sur son propre sentiment et non pas sur la convention, il n'y aurait ni intrigue ni comédie ni tragédie ni histoire d'amour ni catastrophe au sens convenu de ces mots. [...]
La vie n'est pas une série de lanternes de voitures disposées symétriquement ; la vie est un halo lumineux, une enveloppe semi-transparente qui nous entoure du commencement à la fin de notre état d'être conscient. N'est-ce pas la tâche du romancier de nous rendre sensible ce fluide élément changeant, inconnu et sans limites précises, si aberrant et complexe qu'il se puisse montrer, en y mêlant aussi peu que possible l'étranger et l'extérieur ?

Virginia Woolf, L’Art du Roman
préface d’Agnès Desarthe, traduction de l’anglais de Rose Celli
Signatures/Points, 2009, p. 12

 

26.05.13
Paris.
dimanche.
journée au calme. nécessaire, jouissive.
un peu de soleil dans le jardin. écrire, bidouiller sans pression.

évidemment écrire ici procède d’un souci de « retenir » les quelques pensées que l’on a. et pourtant, même ici, cela sera oublié, et d’abord par l’accumulation des milliers de notes, des centaines de pages, accumulation qui compresse les strates les plus anciennes quasiment jusqu’à l’oubli.
peut-être est-ce, déjà, une lutte contre la mort, mais vaine, puisque nous passons, brièvement, dérisoirement, fugacement dans ce grand univers noir, sauf, peut-être, pour ces quelques possibilités d’un éventuel partage, échange, compassion avec nos proches.

 

que le temps est le premier de tous les biens et qu’il y a trente ans que je le sais.

Pierre Bergounioux
Carnet de note 1991-2000
éd. Verdier, 25.9.1996, p 752

 

à lire et travailler, comme souvent le soir, quand je suis trop fatigué pour travailler au bureau, dans mon bain… avec livres, carnets, ordi…

 

27.05.13
Paris.
grand beau. nous n’étions plus habitué à un ciel bleu, immaculé, au réveil.

piqué, encore une fois, quelques unes des citations compulsées dans le flotoir de F. Trocmé :

Le langage que cherche Beckett au moyen de l'innommable n'est rien d'autre que le langage musical.
(…)
Ceux qui ont vu en Beckett un “nihiliste” n’ont pas vu que “l’absence de signification” dont il parle porte sur  cette absence totale de lien entre les mots et la réalité : le langage comme la musique parle de lui-même.
(…)
parce que écouter représente donner enfin lieu au singulier, renoncer à l'expression, concept qui produit l'illusion que deux choses différentes sont une seule, et à la fonction représentative du langage, selon laquelle ce dernier peut prendre la place de ce qu'il représente.
(…)
Le silence est ce à quoi revient toujours l'exercice de s'approcher au plus près des choses.
(…)
Littérature que l'on peut appeler inexpressive dans la mesure où les mots, de même que les sons dans la musique, au lieu d'être vicaires d'un autre monde, attirent toute l'attention sur eux et exclusivement sur eux ; sur le ton, la rime, la mélodie, la modulation et non sur l'histoire qu'ils sont réputés véhiculer.

Santiago Espinosa, L’Inexpressif musical
(pp. 52 à 54. 55, 59)


              

visite chez le médecin : condamné à devoir radicalement moins fumer.
devenu tout à fait incompatible avec le vieil asthme de fond, si je ne veux pas que l’inflammation devenue récurrente fibrose les tissus irrémédiablement. ce n’est plus un choix.
mais encore ai-je un moyen d’agir…
sale année.

respirer.

 

28.05.13
Paris.
sale temps de nouveau. gris, froid. du mal à se lever, à trouver l’envie d’entamer la journée.
mais je parviens en me fouettant un peu à travailler, aller nager, prendre un peu de temps pour nous en mangeant dehors avec S, à fumer très peu (mais il faut encore ne plus être dans cette attente de la prochaine clope, de plaisir, que l’on va s’accorder… en tout cas sensation intense d’être moins plein de fumée), et du coup j’obtiens, gagne un peu de calme, d’entrain, un peu de sérénité même.
journée inespérée en définitive même, après son démarrage angoissé, inquiet.

le soir, concert de Sclavis qui improvise avec Dabrowski, à l’atelier du plateau. belles discussions ensuite. on fait la fermeture ensemble avec l’équipe.