19.03.13

Paris.
écrire calme le matin. dans le silence tout autour. et dans la tentative de silence en soi.

la charnière oui est là. dans ce temps de pensée, de latence, de travail pour soi, en soi. où m’enfoncer et plus calmement et plus profondément.

la différence de ton, de timbre, de voix, de langue entre le journal et le poème, le livre. tenter de la cerner. peut-être.
comme si ça ne parlait pas tout à fait exactement depuis le même endroit. les deux depuis la perception sensible, mais l’un plus avec la pensée, pesée, l’autre depuis les tripes, peu domestiqué.


déjeuner avec Mathieu Brosseau. nous sommes bien en accord sur la futilité d’une certaine dynamique de milieu courant, entre autre, après une « actualité » (comme j’ai couru moi aussi à une époque). et cela fait un grand bien de se savoir ne pas ressentir cela seul.



20.03.13

Paris.
équinoxe (le 20 mars, jusqu'en 2044, le calendrier grégorien étant un calendrier solaire se basant non sur la révolution de la Terre autour du Soleil, mais sur le retour au point vernal du soleil chaque printemps, occasionnant donc un progressif et léger décalage de date)…

le prunier met ses premières et toutes petites pousses de feuilles, entre chaque fleur.


je file dans l’Isère.
journée d’enterrement :
retour à la terre… et peut-être d’autant plus sensible, vivace pour des agriculteurs / retourner aux herbes, aux arbres, à l’humus / le cercueil scellé de cire rouge / la tante E a perdu sa fille, puis son mari, avant de retourner dimanche à l’étang, la serve, reproduisant le geste même de sa mère, il y a quarante ans, dans la ferme voisine / l’église, noire de monde, gens debout, au fond, sur les côtés, derrière l’autel, dehors… plus de gens dehors qu’il n’a pu en rentrer dans l’édifice / une dignité touchante de l’assistance, soutien massif / lecture où trouver le ton sobre, et laisser, par du silence, légèrement résonner les mots, ceux de joie, en particulier / la route départementale coupée par le policier municipal (l’ex garde champêtre) pour laisser passer la procession, qui la remonte jusqu’au cimetière, à pas très lents / le caveau ouvert, le cercueil de dessous, de G, placé là il y a quatre ans, encore peu abîmé, quelques larges tâches sur le bois seulement / les deux amies de mes cousins, les « conjointes », à embrasser le cercueil, la dernière fois, ensemble, de concert, se tenant les mains. « l’intelligence » de ce geste, rassemblant, englobant, constituant cercle autour de ceux dans la peine / la grande intelligence de cœur aussi, comme l’on dit, des cousins / mon père et JC, s’étreignant, longuement / boire un verre, ensuite, et être tous ensemble.


une parole claire oui nécessaire.
après des années de pâte de langue malaxée, travaillée, peut-être ai-je atteint un point où, d’une recherche, je pourrais savoir sortir une parole accessible, entendable à toute oreille, simple, au-delà d’une certaine illisibilité courante ?
c’est l’un des « enjeux » maintenant aussi.
je l’ai cherché, et parfois obtenu, cette possibilité ouverte de partage large, par la scène, la parole portée. mais je souhaite désormais y parvenir aussi dans ce qui se dit par l’écrit.
cela est sans doute une étape d’importance dans mon cheminement… des choses se jouent en ce moment. je fais de grandes découvertes, extrêmement simples. comme souvent, en joignant l’évidence.


en fait, même ici, en ville, je suis encore comme en retraite ces temps-ci, à poursuivre là ma pensée comme un continuum lent.

au retour, dans le train, je prends de nombreuses notes, que je rentrerai le soir dans l’ordi. et que je retravaillerai sans doute demain.
je lis Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie.
retrouver dès le début de son livre les éléments qui m’ont été primordiaux aussi, dès l’arrivée dans la yourte au mois de janvier. presque étonné, mais à la réflexion cela est bien normal de retrouver de suite les mêmes simples gestes, les mêmes importances. le feu, en premier lieu, dans sa nécessité et puissance ancestrales, celui-là même qui nous a fait basculer sur la pente tendant à l’homme moderne, debout, Homo erectus. autre exemple : le fait de donner des noms aux choses aussi, peu à peu.



21.03.13

Paris.
le printemps donc, depuis hier…
méditation. longue, comme depuis plusieurs jours.

cela ne m’étonne guère que certains perçoivent dans l’entreprise d’un journal un « je » omniprésent, omnipotent. pourtant c’est un « nous ». Montaigne : « Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition. » (Essais, 3, II, Du repentir)… tirer d’un intérêt intime une possible portée générale. sinon ne pas publier.

Le silence est notre langue maternelle.

allez, Beckett encore…



22.03.13

Paris.
ciel blanc, très lumineux. 10 degrés dehors.

mon cousin, pilote d’avion, qui me dit qu’il a regardé mes livres. mais ce qu’il me décrit de sa tentative de lecture (comme beaucoup d’autres) serait un peu comme si moi-même j’essayais de me plonger dans des manuels techniques d’aéronautique. or, comme lui, dans son domaine, si nos ouvrages servent à échanger entre « professionnels », on se propose aussi de transporter du monde. et dans ce cas il vaut mieux sans doute, sans perdre en exigence ni oublier de jargonner quand nécessaire, savoir aussi s’exprimer en parole simple. je ne suis pas en train de dire qu’il faut rendre simpliste la recherche, le sens et la portée, mais éclaircir le trait.
sans doute est-ce sa remarque qui me fait basculer : la chiquenaude finale d’un murissement latent depuis longtemps.


il y a la ponctuation blanche (espaces, retraits, paragraphes…) et la ponctuation noire (les signes typo de ponctuation « classique »). (in Michel Favriau - Quelques éléments d'une théorie de la ponctuation blanche par la poésie contemporaine - in L'information grammaticale - 2004  n° 102)


presque hâte de retourner en cabane.
là-bas, il me semble que je voulais moins.
ici je suis infecté de désirs.



23.03.13

Paris.
ça sent violemment le printemps. température douce, les oiseaux chantent à tue-tête, le prunier passe doucement des fleurs aux feuilles, ses pétales blancs recouvrent le sol.

toute l’agitation de notre cervelle est visible dans l’agitation de nos mots. avec un peu de recul, c’est tout de même assez étonnant cette grouillance de vocables et concepts.
de la même façon, lorsque je vois une foule excitée j’y vois comme une assemblée d’amibes frétillant dans une boîte de pétri. question d’échelle. question de recul.


Beckett n’a pas mieux réussi que les autres. par contre il n’a pas trop mal échoué.


intrinsèquement, chaque être, en soi, a tendance à croire que le monde tourne autour de lui. la conscience, pour la plupart d’entre nous, est tout d’abord souvent construite ainsi au cours des âges. chaque être, parce que le point de source de sa conscience est en lui, se perçoit presque toujours comme le centre de la vision, donc du monde, alors qu’il n’en est qu’une parcelle, minuscule.
le détachement, c’est aussi tenter de percevoir détaché de soi. d’élargir son appréhension du monde, moins le « nez dans le guidon » du moi.


L’ermitage resserre les ambitions aux proportions du possible. En rétrécissant la panoplie des actions, on augmente la profondeur de chaque expérience.
(…)
Avoir peu à faire entraîne à porter attention à tout chose.

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
éd. Gallimard, p. 134 et 166



toujours attentif à cette histoire d’attention. et de constater que l’attention, l’ouverture, simplement, peut rendre heureux.
mais il est tout de même un paradoxe dans cette ouverture : c’est que, si elle développe bien l’attention, elle développe du même coup l’acuité à la futilité, la bêtise, les comportements malheureux, et en conséquence la difficulté à les supporter, les tolérer.



24.03.13

Paris.

la parole claire c’est un dépouillement.

progressivement ne plus parler depuis le point d’agitation des clapots de surface mais depuis le calme de fond.


ce que me laisse la cabane un gros mois après être rentré : une sensation d’avoir habité le temps. pour un moment. et de là en particulier la qualité de l’écoute. les autres souvenirs, ceux des faits (le froid, la neige, le seul, couper du bois, batailler, les longues marches…), restent, leur goût puissant subsiste, mais leurs présences s’estompent, ils perdent en prégnance, en importance de sens comparés au rapport au temps, à l’écoute, découverts, vécus là-bas…



25.03.13

Paris.
grand beau, frais.
et moi un peu sombre.
levé tôt, se cravacher pour bosser quand même. essayer de faire face, léger, détaché. faire profit de ce temps qui devient presque trop libre plutôt que de s’en angoisser.
après plusieurs heures ternes, je me mets alors au soleil, j’essaie de lire. j’essaie d’agir encore, de ne pas végéter. ou alors ne rien faire. et si c’est le cas que ce soit dans une grande insouciance. méditer. laisser penser, vagabonder.
il s’agit de se détacher plus, non pas du monde mais des affectations que le monde provoque en nous. se désamarrer ne signifie pas se retirer complètement, il ne s’agit pas en se déprenant de s’enfermer, de s’isoler, mais au contraire d’être dans une ouverture légère.
de profiter même de ce temps « libre » pour être plus vaporeux, aérien, se desserrer, accepter, d’autant plus que je suis moins pressé par les faits, les travaux et les urgences…
excellent exercice devant moi du coup, en ce moment, pour profiter d’apprendre à désaffecter parfois, et par là, ouvrir, élargir l’attention. être libre c’est cela aussi.
sourire de ça. arrêter de parler, de bosser, de tenter de bosser, d’être productif toujours. et, quand on ne l’est pas, de culpabiliser. laisser faire. ne rien faire. savourer sa liberté. le soleil qui entre dans la pièce. le silence.


pour l’accueil de mes travaux je me sens entre deux mondes, alors même que je m’éprouve centré, en moi et sur mon axe de travail. c’est un peu déchirant. hâte de pouvoir publier ces livres en parole claire que je souhaite, et dont cabane d’hiver est peut-être l’un des premiers.

je suis convaincu du bien fondé de mon cheminement à tenter d’être d’esprit libre. de toute façon c’est ainsi, pas choisi. alors cela signifie peut-être un isolement, mais que je crois temporaire, car ensuite me sera sans doute révélé le bénéfice d’une telle position, façon de penser, d’agir, de construire. peut-être aussi que je me trompe, que sur ce chemin je ne rencontrerai que peu âme vive qui vive, et que l’instinct grégaire, moutonnier de l’homme, majoritaire, ne peut s’y reconnaître.
et puis, si je suis dans une charnière aujourd’hui, il s’agit de ne pas en faire une rupture mais au contraire une continuité, une évolution douce, mûrie, dans l’absence de certitude mais dans la conviction de poursuivre son chemin, librement.

pas évident avec ces pensées un peu sombres que j’ai depuis quelques jours de les « sublimer », d’en tirer profit, enseignement, moins grande ignorance, sagesse, calme, plutôt que d’y sombrer, les nourrir.
se dépouiller un peu affectivement pour soutenir une appréhension posée, une écoute fine, une vision ouverte des choses.

bref, aujourd’hui je me débats.
j’ai même perdu le petit humour, latent, sous-jacent, qui sauve.


entretien avec O. F. qui prépare une thèse sur l’influence des outils logiciels sur la littérature, en particulier numérique. je conclus en déclarant que je ne suis pas un auteur d’outils mais un auteur à outils.


lecture du soir, moisson du jour :

4.3.1995

Je traîne un peu sur le chemin du bureau. C’est samedi. Il fait un aigre temps de nord-ouest, qui emplit le ciel de cumulus étincelants et de vapeurs grises chargées de grésil. Et puis je suis au seuil d’un chapitre, dans l’incertitude grandes des commencements. Il s’agit de jalonner la route, qui est le difficile par excellence. Je m’efforce de tirer de l’ombre tragique où elle avait sombré la figure du cet artiste peintre, photographe de profession, qui se pendit, une nuit, de l’autre côté du mur des chambres où nous dormions, Gaby et moi. Il me semble, maintenant, comprendre ce qui l’a désespéré, acculé au suicide. Comme nous tous, il vivait trop loin, hors de portée de l’accomplissement dont, pourtant, il rêvait. Bien des drames obscurs dont je fus le témoin tenaient à ce qu’on ne disposait pas, à B., des moyens assortis aux fins prestigieuses, centrales qu’on avait osé envisager, à commencer par la clairvoyance qui nous aurait permis de nous procurer les premiers ou dissuadé de poursuivre les secondes. Tel était notre sort, tels cet âge intermédiaire, cet univers médian, entre la stupeur rurale environnante, oppressante, et l’attrait soudain de la grande ville lointaine, de Paris. Nous avions rompu avec la société agraire mais non pas atteint le seuil démographique à partir duquel une agglomération offre des chances sérieuses de succès dans les domaines rares, magiques, de l’invention artistique. Nous étions sortis de l’analphabétisme mais trop peu frottés de culture savante pour nous connaître nous-mêmes et remédier à l’insuffisance profonde dont nous étions frappés par le développement inégal ; Au-delà des figures chétives, tragiques que j’ai rappelées des rives du Léthé, c’est à l’histoire du monde que je touche, à la sourde pulsation de la longue durée, aux structures pluriséculaires de la production matérielle et des représentations collectives. c’est parce qu’ils ne pouvaient pas, ne savaient pas, et malgré cela, voulurent, que les hommes à qui je n’ai rien dit, quand nous vivions, et dont je parle, aujourd’hui qu’ils ne sont plus, furent malheureux, désespérèrent et moururent avant l’heure.

Pierre Bergounioux
Carnets de notes, 1991-2000 – éd. Verdier, p. 533




26.03.13

Paris.
au réveil, méditation quotidienne.
puis à écrire bref en tentant de m’isoler au maximum. il avance, mais lentement, difficilement. 75 toutes petites pages (ai choisi un format très étroit, contenant l’équivalent d’un tiers de feuillet, et certaines sont à peine couvertes, peu de mots). 75 pages donc à peu près stabilisées, et une centaines de plus d’éléments en vrac. je pousse ces pages devant, comme une machine un remblai, puis nivelle.
c’est peut-être une suite, une continuité de la plui qui est en train de se construire… 3 h 30 dessus, focalisé, concentré, suis foutu comme une brute ensuite.

après-midi aux tâches de gestion quotidienne.
18 h : revenir à écrire, un petit moment, avant de sortir.
poursuivre l’effort. dedans de plus en plus. jamais moins.

la puissance du recul je ne m’en dispenserai plus maintenant. me rappelle ces moments où j’allais au jardin des plantes regarder les singes vivre. et, par là, nous voir parfois.
peut-être, y faut-il un petit pessimisme, une légère blessure initiale pour obtenir ce retrait.


je pourrais tout passer au numérique, mais, à la réflexion, garder au moins les carnets manuscrits, de premières notes, pour conserver le savoir d’écrire à la main.



27.03.13
Paris.
lever tôt. méditation.
ensuite, à tenter d’écrire bref. mais je suis maintenant devant le tas de remblais et je bataille sur le front des matériaux accumulés, bruts, pêle-mêle. plusieurs heures sur un seul tout petit paragraphe de moins de dix lignes…

après-midi, à nouveau, aux tâches de gestion quotidienne. les premières dates de grimpe qui s’annoncent, à préparer, signe que la saison arrive.
le soir, je n’arrive à rien écrire de nouveau, alors je corrige.



28.03.13
Paris.
lever tôt. méditation.

S vient d’apprendre que D, un jeune dont elle s’est occupée dans le cadre d’ateliers théâtre dont l’objectif était social, vient de se faire descendre dans sa cité. du 9 mm dans le crâne… et le dos.
le drame révoltant, ulcérant du déterminisme social. d’autant plus concernant une personne qui avait tenté souvent de s’en « sortir », mais sans avoir eu les possibilités réelles de s’extraire du milieu toxique où il baignait, et se noyait, et qui, dans le même temps, était son environnement d’attache, où ses origines avaient racines… ce « gâchis », choquant, je l’avais déjà plusieurs fois vécu lorsque je travaillais dans l’insertion, la médiation, avec de nombreux jeunes que j’avais pu suivre plusieurs années, avec parfois des avancées notables, en particulier lorsque l’on partait s’extraire, lors de stages, de camps en pleine nature, mais dont le bénéfice malheureusement se dissolvait le plus souvent assez vite dès le retour. ça n’est pas pour cela que nous abandonnions, que nous ne soutenions encore la personne dans ses efforts, mais le poids, la pression phénoménale du milieu, du terrain pourri, trop souvent venait à nouveau presser, écraser, annihiler les tentatives. un pas en avant était alors fréquemment suivi de deux en arrière, mais, ensemble, inlassables, nous recommencions, espérant que quelques grammes de bénéfices subsisteraient, de la tentative d’attention, de repères, de cadre donnés, et si ce n’était dans l’immédiat, en tout cas pour le futur, que la personne pourrait grandir, faire profit de ce petit bout de bagage sain.
mais c’est qu’il y avait aussi communément un autre déterminisme qui « enrichissait », augmentait le précédent, qui, par le fait d’avoir grandi, de s’être construit dans la déliquescence sociale, la carence éducative, la violence relationnelle, de s’être confronté plus souvent que de raison à l’échec, finissait par constituer comme un interdit inconscient de réussite. alors les perches tendues, les opportunités, les ouvertures ne pouvaient être prises, voire même rejetées.


matinée sur bref. à travailler dix, quinze phrases, à peine pleinement satisfaisantes. pas arrivé à avancer plus. le matériau brut, très dense, résiste, il est difficile d’y pénétrer, d’y frayer une sente praticable, à peu près carrossable.
après-midi de folle gestion administrative… peu d’intérêt.