01.03.13
Paris.
gris.

s’atteler à la tâche tous les jours. même les jours de fatigue (la nuit précédente a été une belle insomnie).
travailler jusqu’à 15 h, puis arrivée d’amis proches.

de plus en plus encore, besoin d’être à mon travail — et même quand les vieilles amitiés sont là. qu’est-ce à dire ? clos dans ce que je mène ?
ce penchant pour un léger recul auquel j’incline depuis des années, et qui va s’accentuant, me conduit à cette façon de regarder toute chose avec une petite distance, associée à ce goût spontané, instinctif, involontaire mais assuré de franc-tireur, à ce besoin d’indépendance constitutif.
ainsi les amis discutent, et je les écoute, surtout.

 

02.03.13
Paris.
temps gris clair.

couché à 5 h 30 du matin, levé à 9 h. peu de temps après la réveil ma fille subit une légère agression avec vol d’argent. mais elle a riposté, a pu le faire, il y a eu peu de violence au final, et les passants ont répondu à ses appels en venant à son secours. toutes choses importantes pour se remettre du choc. la faire parler, « sortir » ça, puis commissariat et plainte (elle réagit avec une grande noblesse, en particulier quand il s’agit devant la police de décrire la « typologie » des agresseuses, elle évite soigneusement de les typer justement par trop).
revenir ensuite à travailler, alors que je suis encore dans les brumes de la nuit…

 

de mon séjour sur le Causse, dans la yourte, me reste le silence. l’écoute. essentiellement.
le reste disparaît peu à peu.

 

03.03.13
Paris.
grand beau.

la vie. calme aujourd’hui.

 

04.03.13
Paris.
grand beau. il fait très doux.
à travailler fenêtre ouverte, au sud. on avance doucement vers les jours longs, de lumière.

expédier les affaires courantes puis bosser sur l’article que l’on me demande sur la grotte Chauvet. je trace les grandes lignes, puis place, selon ces axes, le contenu et  les éléments extraits de ma nombreuse documentation et de mes précédents écrits. 4 h de boulot au minimum aujourd’hui ont été nécessaires pour avoir toute la matière, il restera à écrire, agencer.
essayer ensuite de sauver du temps pour le travail central personnel. puis sortir marcher, respirer l’air.

je laisse reposer bref, dans lequel je ne vois plus rien de clair.

 

05.03.13
Paris.
grand beau encore, temps extrêmement doux. les premières fleurs (trois) du prunier ont éclos.

à écrire sur Chauvet. avancer, comme au bulldozer, pour niveler l’énorme tas de matériaux que j’ai accumulé, mais j’arrive à peu près à frayer le chemin. 3 ou 4 h plus tard la voie est tracée entièrement, restera pour les jours suivants à l’aplanir, débroussailler, dégraisser, réduire, éclaircir, polir…

ce soir je découvre en fermant les volets que le prunier a mis une grande partie de ses fleurs, en une seule journée. dans la nuit, au travers des rais de lumière de la chambre, c’est une explosion soudaine de neige.
c’est une petite joie de sentir ainsi le printemps revenir pas à pas.

cette décision de ne faire qu’écrire cette saison d’hiver, qui est dans les faits en ce moment… je suis presque étonné d’être dedans, dans ces jours consacrés à l’écriture.

 

06.03.13
Paris.
un peu gris mais toujours très doux, aux alentours de 13 degrés dehors.

matinée à travailler sur Chauvet, après-midi à commencer un peu à préparer la saison grimpe.
un peu épuisé par les couchers trop tardifs, par l’enchaînement des textes produits, par l’aspect mono-tâche peut-être aussi, mais pas de quoi se plaindre puisqu’il se passe exactement ce que je voulais, à savoir dédier l’hiver à écrire, presque uniquement. mais je m’inquiète tout de même, en arrière-plan, du peu de projets prévus avec rémunération, alors même que je travaille sans arrêt. j’en ai lancé beaucoup, mais je ne saurai pas avant plusieurs mois comment ils vont « retomber », s’ils seront acceptés.

et toujours cette bizarre impression de ne pas voir les jours passer, de ne pas bien savoir ce que l’on en a fait.

lecture d’Adorno. et poursuite de lectures de journaux (Bergounioux, Kafka) et de celles sur l’espace.

 

07.03.13
Paris.
légère pluie, température douce toujours.
au réveil, après avoir méditer devant le prunier, avant dernier « repassage » sur l’article sur Chauvet. il en faudra encore au moins un autre. il est arrivé à une vingtaine de feuillets.


Quelque chose cherche à naître. Mais je ne sais pas ce que c’est. Je ne pars jamais d’un savoir. Il n’y a pas de savoir possible. Le vrai n’est pas un savoir.
(…)
Les mots ne sont rien. Ils ne sont que du bruit. Il faut beaucoup s’en méfier. Quand je vais vers la toile, je rencontre le silence.

Bram Van Velde
in Charles Juliet, rencontres avec Bram Van Velde - POL

quand j’écris je vais aussi vers un silence. l’écriture est muette, elle ne fait pas de bruit.
j’écris pour écouter.

 

08.03.13
Paris.
temps doux. les primevères sont éclatantes sur le rebord des fenêtres : rouge pourpre profond, bleu roi et indigo, jaune, violet. les tulipes et narcisses ne sont encore qu’en feuilles. le prunier déploie ses fleurs blanches.

du mal à avancer les autres écrits que je dois donner, il faut dire que depuis mon retour des Causses j’ai enchaîné les créations ou corrections de textes. c’est un peu de la production en série… un peu sec du coup.
et puis finalement, après avoir rassemblé pendant plusieurs heures, plusieurs jours, un grand nombre d’éléments épars pour l’un des derniers textes, sur le passé, le premier jet, l’axe, la colonne centrale se compose soudainement en une petite heure… restera encore à fignoler. ceci dit j’ai l’armature, le plus dur est fait, mais je suis passé en force.
épuisé après une telle décharge, à laquelle s’ajoute sans doute les nuits trop tardives depuis quelques jours et cette série de textes, je m’accorde des vacances quelques heures.

 

Maintenant tu demanderas : qu'est donc le détachement, pour qu'il cache en lui pareille puissance ?

Maître Eckhart

 

nous tout petits ; voir l’horizon comme le bord de la terre, et sa courbure ; se sentir sur une boule flottant dans l’espace ; en regardant le ciel de nuit non pas voir le ciel seul se déplacer mais aussi la terre tourner… tout cela ce ne sont plus des « figures » pour moi, mais des sensations.
c’est sans doute, en partie, le fruit de mes lectures et des nombreux visionnages de films sur le sujet depuis quelques temps. la conscience évolue, et le regard, la perception en conséquence.

 

09.03.13
Paris.
large bleu, plus de 15 dehors. on entend les abeilles qui butinent dans le prunier pour le premier jour. tout le jardin bourdonne.

soudain dans l’après-midi, seul, toute la famille partie, le silence arrive, juste le bombillement des abeilles, un très léger bruit de la ville, au loin, et le soleil, grosse étoile blanche aujourd’hui, traverse les fleurs blanches du pruniers, translucides devant le ciel entièrement bleu.
et on annonce de la neige pour les jours à venir…

 

regarder vivre les autres, les écouter, les lire parfois, ça participe à la tentative, intime, d'être moins étroit, moins indigent.

en soirée, au café, comme hier.
le plaisir d’être avec les « autres », parler, discuter avec eux, et les voir aussi, vivre, les voir faire, les voir être, j’aime ça.
une perle de comptoir ce soir dans les discussions : « l’ignorance c’est la base du camping ». il est vrai que parfois il vaut mieux avant de camper ne pas connaître les conditions que l’on rencontrera.
dans ces conversations de bar, assez souvent à bâtons rompus tout de même, l’on se rend compte aussi là que savoir écouter, autrement dit la capacité d’ouverture, est probablement l’une des choses les moins bien partagée dans l’humanité.

 

10.03.13
Paris.
nette baisse des températures. nous avons perdu pas loin de 10 degrés. il fait 7 en milieu de journée. les abeilles ne sont plus là.

 

bref : ai éclairci, nettoyé le fichier du tapuscrit, pour tenter d’y travailler dans les jours à venir. j’y vois un tout tout petit peu plus clair. mais écrire mes trucs quand ça s’écrira. y bosser mais ne pas forcer, je ne pense pas que ce soit la bonne chose.
la structure est là, mais l’argument est mince, mince, c’est que j'écris maigre, et puis je veux juste traiter de quelques grandes choses essentielles, et de la manière la plus simple, épurée, dépouillée possible.
faire un petit monde.
sans trop de bruit.
peut-être ai-je trouvé la manière avec laquelle je veux de parler. peut-être.
rien ne presse.

 

ma luné ce soir, et cela n’est guère apaisé lorsque je vois qu’un lien posté en soutien au peuple syrien sur les réseaux sociaux récolte quelques rares « j’aime » ou partages, quand n’importe quel autre truc insignifiant, débilitant en déclenche des centaines…


Je ne peux pas écrire une phrase qui ne contienne pas une dose de rébellion. Sinon elle ne m'intéresse pas. Je suis toujours indigné de tout ce que je vois…

Albert Cossery

 

La recherche du moyen de faire cesser les choses, taire sa voix, est ce qui permet au discours de se poursuivre.

Beckett – L’innommable
éd. de Minuit p. 21

 

11.03.13
Paris.
levé très tôt, pour tenter d’écrire, et me pencher sur bref, avant de travailler aux tâches quotidiennes.
gris, pluie, froid (4°). le prunier, en fleur, comme une boule de neige. le soir c’est une grosse pluie qui tombe, au lieu de la neige annoncée. ça ne m’étonne guère.

passé une partie de la journée sur bref. je peine, mais j’ai désormais une partie 1.1 non définitive mais à peu près propre. la rampe de lancement est grosso modo dégagée. ensuite, il faudra lier cela à la suite dont je n’ai que des bouts, fragments, nombreux mais épars.

 

j’ai très peu d’invitations pour cette année à des festivals, conférences, interventions… je ne sais pas s’il faut que je m’en affecte, car c’est à prendre peut-être du coup comme l’opportunité d’avoir du calme, et le mettre à profit. et puis j’ai déjà la chance de voir mes livres publiés, mes textes reçus. je me rappelle bien cette époque, longue, où personne n’en voulait de ce que j’écrivais.
ne pas chercher la gloriole. ça commence par là. abandonner tout ça. qui est vain, futile, faux, toxique même pour la véritable recherche de fond, mais après laquelle nous sommes tant à courir, et qui est même le moteur principal, affectif, affecté, de la constitution de nombreux « milieux ». ceci dit je dois avouer qu’il m’en reste des traces de cette poursuite, et elle me pollue encore.
se (con)centrer plutôt, sur le travail central.

 

12.03.13
Paris.
levé tôt. méditation, puis dès 8 h à la table.
0 degré. il neige. suffisamment pour blanchir le sol et le jardin. et c’est étonnant de voir les fleurs blanches du prunier ourlées de neige, on dirait de grosses boules de coton, flocons de fleurs sous flocons de neige. j’ai dû rentrer les primevères. leurs délicates couleurs se détachent sur la neige.

après écrire, repérage sur les toits de l’école des Mines pour une descente en rappel. retour à pied par le Luxembourg tout blanc.
il neige toute la journée. ça commence à pas mal déposer.

ai terminé l’article sur Chauvet. 13 feuillets. ça aura aussi été l’occasion, pour moi, de faire une synthèse de mes quelques connaissances sur le sujet.

 

A propos du journal de Bergounioux :

Ma 16.12.1980

Ce cahier parce que je sens que s'effacent, à peine posées, les touches légères qui confèrent aux heures de notre vie leur saveur, leur couleur. Il ne subsiste plus, avec l'éloignement, que des blocs de quatre ou cinq années teintés grossièrement dans la masse. J'aimerais bien avoir conservé quelques lignes du temps d'avant — d'avant la conscience du monde et de soi, de la fièvre et de l'urgence, de la certitude de mourir. Mais c'est parce qu'elles m'étaient épargnés que je n'ai pas éprouvé le besoin de rien noter.

Pierre Bergounioux
Carnet de notes, 1980-1990 - éd. Verdier

il y a bien sûr, d’abord, le fait que je le lise, et apprécie l’ouvrage, parce que sa réflexion est d’une clarté et tonicité achevée. et puis que nos entreprises, modestement, s’y ressemblent.
s’y ressemblent en particulier dans le fait qu’il y faut un grand ordre et mouvement maniaque, pointilleux, monomane. toute chose que je connais bien.
mais, si mener une telle affaire littéraire relève d’une discipline que l’on s’impose férocement à soi-même, ce n’est pas pour moi une astreinte du même ordre : je ne ressens pas qu’il y ait « tourment » mais plutôt une nécessité passionnée, même s’il y a de grandes différences entre une page sortie dans l’excitation, ou dans le calme profond, ou bien dans le travail acharné, dur, répétitif, que l’on sait sans achèvement possible.
même si l’exercice, la pratique du journal viendrait d’une conscience de notre finitude, il n’y a pas pour moi la même ombre jetée dessus l’entreprise, pas de ce même « pessimisme » ontologique ; ombre, on le sait, que toute la faible lumière acquise par la conscience, la connaissance ne saurait atténuer, faire reculer pleinement, pourtant.
alors, évidemment ce genre de livre, de « projet » est une influence, mais essentiellement diffusée dans l’exigence de comprendre, dans l’exigence de clarté. et dans le ton aussi, simple, bas. pour l’astreinte à la tâche, infinissable, je m’en charge déjà assez bien tout seul.
pas non plus, dans ce que je tente, de cette recherche angoissée de la compréhension du « temps d’avant », et de l’en extraire ainsi de l’ombre, de l’oubli : c’est que, sans doute, nos ascendances, nos modes de vies d’origines ne sont pas les mêmes, et que pour lui elles n’ont pas perduré.
je suis dans une écriture de l’actuel, du présent sans fin (j’écris d’ailleurs quasiment dans l’instant même de la survenue du fait, de l’idée, de la pensée, et non, comme lui, le lendemain. cela peut paraître anodin, mais il y a là une différence d’approche d’importance).
mais serait-ce vraiment la certitude acquise de mourir qui ferait le moteur de la tenue d’un journal ? je ne crois pas, pas chez moi, ou en tout cas pas du tout d’une manière inquiète, plutôt calmement lucide, mais le mobile, le ressort serait plus précisément l’absorption dans ce fascinant cours du temps (et non forcément le sentiment, cru, de sa fin), sur lequel inscrire ses menues avancées.
évidemment cela est lié au mourir, je le sais là celui-là, mais ce journal n’est pas, essentiellement, pour lutter contre l’écrasement des faits, des heures, dans les strates du temps, du souvenir vague, qu’accompagne une mélancolie légère. mon travail est d’évidence un travail du temps certes, mais, originellement, de la notation de ce qui se joue à l’instant, de là où l’on en est, ici, aujourd’hui, et non pas de celle consignée pour préserver de la disparition, pour garder trace, comme témoin, et en retrouver la marque, l’empreinte, plus tard. bien sûr cela peut servir à re-trouver, et souvent le journal m’est le lieu où re-connaître tel passage, telle pensée déjà pensée, mais il constitue plutôt, plus que son simple témoignage, le front de taille lui-même, il est l’avancée sur la ligne d’ouvrage. sur la présence brûlante du présent.
il y aurait là dans ces mots comme pour solder quelque chose… une influence, une dette ?

 

21 h 30. claqué. en suis à 14 heures de boulot. arrêter quelques heures de travailler. un petit whisky. lire. manger. m’y remettre un peu, 1 heure ou 2. puis dormir.