20.02.13
Paris.
soleil, léger voile de nuages fins.
le prunier est là. il a de toutes petites pousses fraîches de feuilles, vertes, tendres, presque blanches. les tulipes et narcisses ont fait aussi de grandes feuilles. la mousse a envahi le gazon.

retour dans la multitude des villes.
la densité.
la subtilité et la complexité des organisations, et des schémas sociétaux. la rapidité, célérité aussi des échanges, des déplacements, de toute activité. une accélération par rapport à ma vie du Causse.

retrouver aussi quelques futilités, dans la recherche du confort et de la distraction en particulier, dès l’observation des gens dans le TGV. mais rend-il heureux ce mouvement de l’homme, de l’animal homme, vers ce désir-là ? ressent-il ensuite, une fois satisfait, à satiété, du bonheur ? où n’est-ce qu’une fuite, toujours, en avant, affrétée, armée par le désir, insatiable, insatisfiable ?
j’ai été aussi, fortement, violemment, dans ces élans-là. le suis-je encore aujourd’hui ? j’ai la sensation, peut-être fausse, mais d’avoir atteint un détachement, relatif encore, de ce type de mouvement-là, violent, frénétique, exacerbé, en partie illusoire…


boulots de retour, courriers, mails, messages, gestion… même si j’avais déjà avancé en grande part cela dans la cabane. puis violent coup de barre, revenir alors à écrire comme activité calme, de fond, lente… l’occasion aussi de penser, réfléchir un peu, essayer de chercher en soi à ressentir ce que j’ai vécu là-bas. même s’il est sans doute encore trop tôt, bien trop tôt, pour saisir ce qui a pu s’y passer, s’y jouer.
j’ai repris le rythme d’ici de façon quasi immédiate : est-ce les situations, les habitudes que l’on y a qui impriment aux lieux leur rythme, ou les lieux qui induisent eux-mêmes des rythmes ? une conjonction des deux plus sûrement, mais, en tout cas, les rythmes sont fortement attachés aux lieux, et on les retrouve de suite. et puis ce sont souvent les cadences prises dès les premières heures, les premiers jours qui perdurent ensuite, et font loi et genre.

lecture d’extraits de Walden ou la vie dans les bois de Thoreau, que je n’avais encore jamais lu.



21.02.13
Paris.
beau.

sur le Causse j’ai finalement pas mal écrit : environ 80 feuillets, mais pas complètement là où je l’attendais, puisque ce ne fut quasi exclusivement que dans le journal . cela sans compter les relectures, qui sont d’un autre ordre.

presque étonnant d’être en soi si vite passé d’un univers à l’autre, sans période de réadaptation… peut-être que, par le fait d’être seul, on a plus le loisirs, la possibilité de penser au retour, de savoir que l’on rentre dans 5, 4, 3 jours, de s’y préparer…

moins ici dans l’observation attentive de toute chose, petits faits, petits bruits… c’est que je suis ici probablement plus dans l’action, et qu’il n’y a pas ce silence de fond, qui amène à écouter autant.

qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? je ne sais pas bien. peut-être le saurai-je mieux, plus, lorsque j’attaquerai la relecture des pages du journal de la cabane d’hiver pour le projet d’édition papier que l’on m’a proposé…


ne pas parvenir à se taire, c’est peut-être ça écrire.
collecter tout. babiller toujours. dire et nommer, maniaquement. au contraire du silence des bêtes.



22.02.13
Paris.

parution de book 0 aujourd’hui, aux éditions Dernier Télégramme. agréablement étonné du rendu, supérieur à ce que je j’espérais, même si j’avais relativement confiance dans les nombreuses études de maquettes que nous avions faites. paru donc deux ans et demi après la fin de son écriture, c’est la moyenne.


le voyage décante peu à peu… le rythme plus lent, plus posé pour être exact, que j’avais là-bas… ici vite emporté dans des vitesses supérieurs, pour tout faire… mais peu de temps pour moi, libre, ces jours-ci, pour regarder, penser, laisser faire cette décantation…
ceci dit, ces rythmes ce sont essentiellement ceux que l’on a en soi-même, que l’on crée, s’impose en soi-même. ce sont les rythmes d’une personnalité, sans doute bien plus qu’imposés par les faits extérieurs.


L'indifférence fait les sages et l'insensibilité les monstres.

Diderot



fin de soirée à écouter Bertina, puis repas avec lui, Boutouillet, Chatellier, Rongier, Taïeb…



23.02.13
Paris.
gris, froid.
à ne pas faire grand chose, mais au calme.
à continuer de lire le journal de Bergounioux et c’est amusant d’y retrouver parfois des amis, mais là ce sont certains qui sont déjà passés à la maison, et qui plus est avec qui il passe du temps sur une partie des Causses que je connais particulièrement bien pour y avoir travaillé, et d’où je reviens.
qui plus est, et c’est assez étonnant, et je le découvre que maintenant, il en parle dans les exacts mêmes termes que j’ai pu utiliser : il voit, lui aussi, les Causses comme un vaste memento mori… coïncidence.

soirée avec les amis traducteurs, auteurs : Cillaire, Taïeb, Lemonde…



24.02.13

Paris.
quelques flocons, très rares, dispersés. certaines des feuilles des tulipes et narcisses ploient sans raison apparente.

à retravailler la partie du journal sur le Causse : cabane d’hiver, pour son édition, à part, en livre papier. relire, unifier, poser dans l’espace ainsi le texte avec, déjà, un léger recul, et ce n’est plus une écriture « à chaud » mais passer d’une écriture dans le temps de sa réalisation, qui contenait alors déjà dans le temps-même de son émergence les perspectives des lignes, des bords, du volume, de l’espace narratif d’un objet se modelant mais sans en avoir la vue générale, « détourée », à la réalisation d’un objet autonome, en soi, « détaché ».
mais je peine : je n’arrive à revoir qu’un chapitre par jour, et c’est truffé de fautes, de redites. c’est que c’était une version « work in progress » même si je m’étais attaché à relire, corriger, modifier au mieux. c’est la période du travail ingrate, laborieuse, ennuyeuse où il faut se cravacher pour se tenir à l’ouvrage.
ceci dit les redites, les répétitions sont la marque d’une réalité, et aussi celle du temps, de son tempo de base, appuyé, réitéré, lancinant.

ce qui reste 5, 6 jours après ce voyage, qui semble si loin déjà, c’est le silence. c’est l’écoute.
ce que j’étais allé chercher. ça tombe bien.
et toujours aussi curieux de voir que tout le reste s’efface si vite, la quantité des petits faits quotidiens, des petits ressentis quotidiens, déjà, perdus, alors que sur place, au moment de les vivre, ils étaient si prégnants, et constituaient même ce que l’on sent, ce qui passe dans notre chair des jours.
les objets que l’on touchait avec la peau, qui concrètement parfois nous heurtait, nous blessait, nous caressait, que notre rétine avait concrètement « sous les yeux », les situations que l’on éprouvait, disparaissent déjà dans le brouillard, dans les strates sédimentaires du cerveau, de la mémoire, constituant une nappe, vague, de la souvenance, étymologiquement qui « vient sous », une couche recouverte par les autres faits, actuels, ceux vécus, surgis dans le vivace actuel. comme disait Schrödinger, et je le répète ici, « le présent est la seule chose qui n’ait pas de fin », qui ait une constante de l’actualité. le passé lui passe, s’efface, trépasse, a traversé (c’est son étymologie). mais me reste donc cette sensation, cette expérience de l’écoute, centrale.
mais elle peut se pratiquer partout. il n’y a pas que le silence à écouter.
l’écoute c’est l’attention. une tentative, une tension, une aspiration vers une attention, pleine, ouverte, sans limite, sans dualité, sans différenciation, sans le filtre des images à priori que nous avons de tout.
de ce passé, l’écriture en garde certes une trace, mais une seule, parcellaire, choisie, sélectionnée, travaillée, et qui donc ne correspond qu’en très peu au présent de la sensation vécue. mais cela aussi sera oublié.


bref : une écriture d’après, et qui ne peut se faire qu’avec ce qui reste, reste de ce voyage.

La parole figure dans notre équipement génétique, et les formes de pensée qui lui sont assorties. Pas l’écriture, ni les arcanes qu’elle permet d’atteindre, de dévoiler.

Pierre Bergounioux
conférence «  l'écriture comme révélation et libération »
Les Actes de Lecture n°107 - sept 2009



25.02.13
Paris.
bruine.
à faire des dossiers, et corriger cabane d’hiver.
les jours rallongent.

Personne n’a d’identité que cette espèce de centre vide de la parole. Quand il n’y a pas trop de monde, j’aime aller dans le métro. Vous touchez du bras quelqu’un qui est assis à côté de vous, dont vous ignorez absolument tout, qui est dans lui, de manière centrale, qui a l’ensemble de l’univers qui l’entoure de toutes parts, exactement comme vous. Et vous ne savez rien de lui. Je ne crois pas en dieu, mais je crois en ça. C’est tellement mystérieux, tellement étonnant, que j’en suis baba.
Personne n’a d’identité, sauf celle-là. Celle d’être dans la non-mort.

Georges-Arthur Goldschmidt
http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-goldschmidt-3.html">entretien avec Thierry Guichard


j’écris en même temps qu’une pensée me vient, ou pour être plus exact immédiatement après, ou, pour le journal, pratiquement dans le temps-même de ce que je vis… je n’écris pas le lendemain ou plusieurs jours après, mais au fur et mesure de l’apparition des idées, qui deviennent phrases écrites quasi de suite. et c’est même une difficulté, car je ne sais pas les retenir, les retarder un peu ces phrases. j’ai toujours le besoin violent de les noter aussitôt, sans pouvoir en freiner ou en retarder l’élan. par exemple c’est pour cela que je ne vais plus jamais au bain sans de quoi écrire, comme partout où je me rends d’ailleurs.
vous voyez, comme beaucoup de bricoleur, je suis un peu maniaque.


temps : Chronos, chez les grecs, le dieu du temps : celui qui mange, dévore ses enfants.



26.02.13
Paris.
soleil timide.

troisième journée à retravailler cabane d’hiver. et du mal à me mettre à autre chose tant que ça ne sera pas fini.
la journée passe en coup de vent. 19 h et pas eu l’impression qu’elle ait défilé, à peine à se souvenir ce que j’ai fait le matin.
à travailler aussi un texte pour le festival maelström en Belgique : encore une fois sur le thème du temps. décidemment ce thème devient premier, obsédant, continu, il court dans le journal tout du long, et l’on m’a demandé déjà, il y a peu, du papier là-dessus pour une autre revue.

pourquoi le travail montré sous la forme de work in progress m’attache, m’importe autant, puisque c’est dans le journal, encore une fois, cette forme qui s’y joue, comme pour la plupart de mes autres travaux ? écrire, et puis publier en temps quasi réel : bien sûr c’est l’internet qui le permet, et peut-être l’induit, mais est-ce pour le bénéfice du mouvement que cela crée, la célérité, l’avancée, la poussée en avant, ou alors pour s’en délester vite, et pouvoir passer, maniaquement, au travail suivant, dans un bouillonnement constant ?
c’est, encore là, un rapport au temps, un jeu avec lui, second, par-dessus celui qui s’y joue dans le corps-même du texte, de publier ainsi dans la quasi immédiateté, et peut-être cela est-il finalement l’une des grandes nouveautés de l’écriture via le numérique et le réseau. non seulement construire à vue un ouvrage, mais de l’alimenter dans ce rapport « présent », là où autrefois, ou par le livre papier, l’on donne à lire ce que l’on a écrit que plusieurs mois ou années après, et en un objet clos.



27.02.13
Paris.
gris, humide, mais relativement doux.

juste cette bizarre impression de bosser toute la journée et de ne pas savoir vraiment ce que l’on a fait. peut-être est-ce dû au fait que j’ouvre des chantiers, des projets, et n’en referme aucun ?

je reçois de nombreux messages concernant mon journal, et en particulier ces dernières semaines au sujet de celui sur le Causse cabane d’hiver. il y a quelque chose qui parle donc là aux autres. je ne sais pas exactement quoi (probablement la tendance du propos à une portée générale, une universalité qui nous concerne tous), pourtant je perçois bien la teneur du ton et la nature du lieu, de la source, la « qualité » du terrain d’où vient le propos lorsqu’il fonctionne à peu près, et porte, alors même qu’il ne fait que tenter, et cherche sans certitude.

ai opéré une sélection de photos pour le livre sur le Causse, après avoir remanié, corrigé le texte. longues séances, travail pénible, une fois l’écriture faite, d’ainsi finaliser, fignoler, relire, revoir…



28.02.13
Paris.
gris. le prunier continue à pousser ses bourgeons. le fusain a ses fruits rouges.


à travailler toujours, tous les jours, sans savoir cesser, mais ça ne rentre pas de sous en ce moment.
on me demande un article sur la grotte Chauvet.
réfléchir à un disque avec parl#.