07.12.12
Paris.
il a neigé dans la nuit, comme en de nombreux points en France. il ne reste que quelques rares flaques blanches sur quelques surfaces froides. la pluie maintenant. lumière sombre, quasi nuit.

méditation : contempler comment l’on fonctionne, prendre recul, essayer de sentir, comprendre la nature de l’esprit, la production de nos pensées : les pensées comme des vagues, et l’on se fait emporter à chaque fois comme du sable… aimerais parvenir à être plutôt cette roche-mère qui est lentement façonnée par les vagues, mais qui ne soit pas toujours roulée, emportée comme le sable.



08.12.12
Paris.


Marcher assez longtemps jusqu'à user en soi ce qui alourdit le corps et raccourcit le souffle.
A l'intérieur, de la peur, là. Savoir que l'on porte en soi quelque chose qu'on ne sait pas. Une sorte de gros paquet.

Achevé, contigu. Pas plus. Parler n'en portera pas davantage. Par les mots, on s’éloigne — on gagne on perd, du même coup.

Antoine Emaz - C'est


rencontre Insistance de la poésie au petit palais. il n’est pas si mauvais parfois de réfléchir, et de dialoguer, ensemble.
papotages sur le parvis avec Demarcq, Emaz, Guerre, Batalla, Sauvage, Brazil…

la poésie est-elle anté-lexicale et/ou post-lexicale ? en aval du langage articulé on sait, mais en amont ? dans la bouche, dans la voix, dans l’expression de la voix, murmure, mélopée et cri, en amont de la langue ? pas sûr en fait qu’il soit si important de savoir où elle est, avant, après, encore musique ou déjà plus, etc…
en tout cas pour moi, c’est travail de langue (comme un art plastique du langage ?) et exercice d’une liberté, avec et dans cette langue. et cette langue pourrait bien commencer avant le langage grammatical, dans la bouche, la voix…
étonnant en tout cas tous ces poètes qui se posent la question de savoir ce qu’est la poésie…

poésie, poème : faire, créer. l ‘étymologie peut suffire comme définition.
mais ensuite ça se complique, l’aporie :
aller à l'invention d'une lang adéquate à cet énorme bruit du silence, qui est notre impossible dire (Refonder | book 0 - fin - 10.11.09)
Prigent (Thèses sur la poétique - conférence 1998) : la poésie comme « la symbolisation paradoxale d’un trou ».
Prigent toujours (À quoi bon encore des poètes ? 1994) : le poésie est par définition ce qui « est toujours-déjà-disparu ».
Prigent, même endroit :

« dans la marginalité quasi aphone (de la poésie…) pourquoi y a-t-il quand même ça, plutôt que rien ?

et plus loin :

qu’est-ce qui pousse à écrire (entre autre de la poésie) ?
– (...) l’expérience que la vie non écrite (non symbolisée personnellement) est une vie misérable, une vie soumise au parler faux
– (...) le constat que la langue de tous n’est celle de personne, et qu’il y a donc à se “trouver une langue” pour verbaliser l’expérience que nous faisons intimement du monde (...)
– le savoir que la langue, qui nous fait hommes, nous délivre du monde en prétendant nous le livrer (...) la poésie (pour cela inéluctable) est le lieu névralgique d’exposition et de traitement de cette contradiction qui structure le parlant (...)
– (...) rendre la sensation que nous avons du discontinu des temps et des choses. »


la poésie réduite (ou augmentée) à être la place symbolique, iconique de cette impossibilité à réduire la distance du langage au réel.
comment la poésie est-elle passée du joli, d’une certaine célébration de l’humain, de l’altération-manducation-malaxage de la langue pour tenter la création de formes équivalentes à nos expériences sensorielles individuelles du monde (que le langage « habituel » échoue à dire, à médiatiser), au fait de dire l’inadéquation du langage aux choses, et enfin à ne plus savoir ce qu’elle est ?
nous sommes donc en ce siècle où même les poètes (tous, et c’est là un de leurs rares points communs) s’inquiètent de sa nature, ne savent plus bien ce qu’elle est, savent qu’elle est mais ne savent plus bien où et quoi ; tout comme les physiciens et les cosmologistes savent qu’il existe quelque chose qu’ils savent ne pas connaître, et qui tient tout : la matière noire et l’énergie noire.

avec tout ça comment pourrait-elle être encore parole claire ? comment lui trouver cette possibilité, cette lisibilité ?
est-ce pour cela que l’on en lit peu, mais en écrit beaucoup ?
et si elle n’est pas lue, cela est-il un bien grand problème ? l’important n’est-il pas d’en écrire ? de résister avec, ainsi ? et il y a là un bien grand dynamisme…


reprise de la lecture de Tel Quel de Valéry.

Ce qui est le meilleur dans le nouveau est ce qui répond à un désir ancien.

Paul Valéry - Tel Quel
folio essais - p. 150


lorsque l’on commence à avoir un léger recul, un passif, on peut être assez étonné de la diversité des formes que prennent nos livres, alors même que les préoccupations de fond restent quasi identiques, et que l’on y entend une (probable) identité de voix. entre les différents volumes (par exemple pour causer de ceux sortis de mon atelier : VISIONS, la voix ça, du seul s’enfoncer, town town, VIA, la plui, rouge kwoma, plateau, book 0, UUuU, et maintenant bref…) c’est en partie toujours le même souci, la même marotte qui s’y travaille (est-ce là que l’on dit n’écrire qu’un seul livre ?) et pourtant les formes, voire les tons, diffèrent assez largement il me semble. probablement est-ce tout bêtement parce que c’est la même matière travaillée toujours, mais de différentes manières… mais qu’est-ce qui fait, induit alors ces variations de manières dans une même voix ? le besoin, conscient en partie seulement, d’aborder le même front mais depuis différents axes d’attaque, différents emplacements de vue, différentes périodes de vie et de compréhension de ce qui s’y joue ? il reste qu’il est difficile de réaliser un véritable renouvellement des formes dans sa propre matière…

je suis dans l’étude à nouveau depuis quelques années, mais bientôt revenir à du plus brute, sauvage…

le luxe d’avoir du temps.

le rythme de mes journées en ce moment : lever – toilette – méditation – petit-déjeuner – écriture, café, clope – tâches alimentaires sur l’ordi – déjeuner – travail sur ordi, évacuer les tâches pratiques - revenir à écrire - lire le net, lire des livres – courses, sortir, marcher - revenir travailler – bain avec lecture de livres – repas – écrire – coucher - lire – film parfois – sommeil.
ces journées se répètent, l’importance d’un tempo de base, sans pourtant sombrer dans la routine asphyxiante.



09.12.12
Paris.
coucher très tard, lever donc très tard. ciel sombre. n’aurais vu que trois heures de jour aujourd’hui.

bien se souvenir les jours sombres que la joie est en partie un choix, ne pas se laisser aller, parfois par trop facilement, à l’ombrage.



10.12.12
Paris.
tâches quotidiennes de gestion. à 17h s’accorder une pause pour lire-écrire. n’y arriver en définitive qu’à 18h30, mangé par l’ordi et les messages.
on avance dans sa journée, et au bout d’un moment on se dit « elle sera donc ça ».


rentrer enfin dans le Journal de Kafka (qui pourtant traînait par là depuis bien longtemps, mais que je n’avais encore que partiellement abordé), y rentrer à 42 ans, ayant déjà un an de plus que ce que la vie a accordé à l’auteur.


au bain : lire, et écrire avec un tout petit bout de crayon, la feuille en l’air, sur les pages blanches et les fausses couvertures des livres.


curieux que ce journal ici devienne ouvrage, corpus à part entière. que l’objet(if) d’une vie, que le sujet d’une vie, fasse livre et voix, deviennent projet. devienne un exemple (non exemplaire) d’une existence, d’une condition. cette conscience était là, mais elle ne produit un fait, acte concret que maintenant, alors qu’il y a déjà 23 ans que je tiens notes, mais ça n’était pas encore un journal. ce n’est que depuis cette année. conséquence de l’âge ? peut-être, pourtant cela est tout sauf mémoires ou biographie, c’est le constat du fait de vivre : ce que cela est. ce que cela est d’être.

évidemment je ne sais pas dans quoi je m’embarque, du boulot, de la constance que cela peut réclamer, si cela est destiné à durer toute une vie. austère et addictif boulot.
alors comment proposer ça en unité lisibles ? en unités pas trop longues mais rendant compte tout de même de la continuité et de l’épaisseur, volume rendant l’impression d’étendue, de densité, de continuum de notre perception cénesthésique dans le flux du temps.



11.12.12
Paris.
grand beau. à la différence du petit mauvais de ces jours derniers…



12.12.12
Paris.
grand beau froid.

s’isoler (mon départ dans la yourte dans quelques semaines), certaines résidences, etc… alors que l’une des peurs archaïques est celle de la solitude (il n’est que de voir mon chat, si souvent à chercher à être près de nous), mais qu’elle peut aussi être propice à se centrer sur un ouvrage, et à goûter le silence… toute la différence entre être solitaire, souhaité, et la solitude, imposée.


le travail en soi, en « tâche de fond », régulier, continu, constant, qui est nécessaire pour penser, par soi-même, et pour trouver ses propres mots (ce que nous rappelle Ludwig Hohl)…
tout le contraire ici d’un acte sauvage, impulsif, comme peut l’être le poème — et bien que la pensée surgisse aussi parfois par accès, poussées instinctives — mais au contraire un dépliement soigné, précautionneux, lent, poussif souvent.

le travail de pensées est tout sauf « écrire comme sans soi ». ça n’échappe pas comme le poème. pas que cela ne procède pas parfois aussi d’une urgence, d’un « hasard » dans sa venue, mais ça ne se joue pas comme au-delà de l’auteur, au-delà de sa maîtrise, c’est l’auteur poussant qui est là, ahanant, transpirant, ruisselant, cherchant, très présent. on le sentirait presque…

le fait de reprendre, assez souvent en somme, des éléments de phrases, de texte, d’un livre à l’autre. le jeu de la répétition interne à un même texte certes, mais aussi de livre en livre. comme des échos, des ricochets des mêmes obsessions et souci principaux pour soi qui résonnent de place en place, rebondissent de volume en volume.


essayer à nouveau d'écrire en parlant avec l'enregistreur qui retranscrit mes paroles. étonnant toujours, se sentir empêtré, lent, d'écrire ainsi en parlant. la grande différence donc d’écrire et de parler. en écrivant on peut revenir ; en parlant on ne revient pas dessus, ça continue, toujours. en parlant on ne rature pas, on n’efface pas. on ne peut qu’en rajouter. parler c’est encore plus être soumis, subir la ligne irrattrapable du temps. parler ça file et c’est irrémédiable. parler ça accumule. ça entasse sans possibilité de retour. je ne sais pas en quoi cette expérience me fera comprendre un peu plus les liens, l’articulation entre parole et écriture, entre voix et signe(s). entre ces deux formes possibles du langage, les deux seules formes possibles. sans doute cette différence entre « revenir dessus » et ne pas pouvoir est-elle liée à l’enregistrement. la parole, hormis à l’aide d’un outil (enregistreur : stylo ou magnéto), ne se retient pas, ne peut être rattrapée, ne peut « se reprendre ». à la différence de l’écriture : son apparition signifiant déjà l’utilisation d’un outil, extérieur à la langue, la servant, la retenant. répondant à la nécessité de retenir.
la parole alors n’inscrit pas, elle dé-crit, elle dés-écrit. elle est par définition volatile, fuyante.
ici c’est une espèce d’étonnante parole, de « fausse » parole, entre deux, puisque l’on peut la reprendre là. y revenir.


une page de notes déjà aujourd’hui. alors que je pensais n’avoir rien à dire… en tout cas incapable de pré-voir ce que l’on a dans le bide, en tête… incapable de savoir chaque jour ce qu’il va se passer, ce qui va passer… et donc de savoir si ça va sortir, ce qui va sortir.

parfois ne pas être bien compris même par les plus proches… et pourtant ils ont une compréhension bien plus intuitive et concrète que le lecteur, en tout cas non construite exclusivement sur le texte (on ne lit pas toujours ce que font les tout proches, et on ne les connaît pas d’abord par là), ou sur l’image que l’on se projette de l’auteur. intuitive parce que connaissant intimement la personne, et sachant par là la ramener parfois au bon sens ; concrète car confrontée au réel trivial quotidien.


Reste ceci : la note existe. Elle est très proche de l’objet. Elle dit à peine ce qu’elle veut dire. Elle est naïve parce que confiante. Elle laisse l’intelligence de l’autre libre de la finir, de la commencer, ou de l’avaler. Elle est paresseuse et ne tient pas absolument à se faire entendre. A être prise aux mots.

Georges Perros - Papiers collés, p. 12

Poète celui qui accepte d’être esclave attentif de ce qui le dépasse.

Georges Perros - Papiers collés III


« Elle est naïve parce que confiante… » oui, du risque pris de donner à voir, mettre à jour une recherche en cours d’une part, et en laquelle on a l’ingénuité de croire d’autre part.

La note, entre la perception et la pensée.

Ariane Lüthi - Pratique et poétique de la note chez Georges Perros et Philippe Jaccottet (éd. du Sandre)


jouer me manque…


aujourd’hui, contre toute attente, avoir tant dit, beaucoup parlé… et sentir peu à peu avoir moins à dire, avoir assez dit pour aujourd’hui, alors que la fatigue arrive et que le milieu de la nuit avance… ce n’est pas toujours que l’énergie et l’heure sont ainsi aussi concordantes, en accord.


peut-être faudrait-il délaisser un peu les notes, le journal, pour pouvoir avancer plus dans bref ?



13.12.12
Paris.
ciel gris bleu. le plafond assez haut, car le ciel lui reste à sa place…

trier des papiers, sentir que l’on a pris quelques années en se voyant, comme mon propre père, retrouver des papiers déjà jaunis, sertis d’élastiques cuits.



14.12.12
Paris.
lumière très faible. pluie. peu froid.

étonnant la pluie, somme toute. ce liquide qui nous tombe dessus. regardé sous un certain angle tout peut-être vu comme pour la première fois. la pluie, nous y sommes habitués, nous avons toujours « baigné » dedans. mais il suffit de changer le regard, ou un élément et on la redécouvre : imaginons les pluies de méthane sur Titan, satellite de Saturne…


oublier les jours qui passent.
si l’on se souvenait de tout…


La véritable nuit est dans le cœur des fleurs, des grandes fleurs noires qui ne s’ouvrent pas.

René Daumal - Chaque fois que l’aube paraît

Hommes à la parole trouée, saccagée de silence, ici et là inextirpable.

Lorand Gaspar - Egée



15.12.12
Paris.
bleu. quelques très légers nuages faisant des petites pirouettes, puis ça se couvre. et pleut.

premiers signes de l’âge encore : plusieurs décès ces jours-ci de connaissances de mon âge.

belle soirée chez Tiffany et Xavier, elle fille de Bertrand Tavernier, une quinzaine de bien bels gens à discuter ici : sculpteurs, écrivains, scénaristes, peintres, réalisateurs… on « s’entend » bien vite. la sensation, rare, de se sentir à sa place, avec ces personnes inconnues il y a encore quelques heures.



16.12.12
Paris.
lever très tard. aurais vu peu de jour. essaie de méditer puis écrire, pour aller ensuite marcher avant que la nuit tombe.

des envies de poèmes, d’écriture vive, sauvage, féroce, mais rien ne vient.