27.11.12
Paris.

il arrive qu’après avoir évolué dans des domaines, des milieux dans lesquels on a fortement investi, après en avoir fait le tour, avoir atteint un certain point, on les délaisse. et même si ces domaines ont été plutôt périphériques que centraux, bien que liés et nourrissant la recherche principale, c’est un fonctionnement qui a été trop récurrent chez moi, dont je me méfie désormais. bien plus centré désormais sur quelques axes cardinaux.

En tant que fille de 22 ans qui portait une énergie très intense, j’écrivais de la poésie avec déjà le désir de la dire, de l’amplifier, et ç’a été un processus très organique de passer de la lecture à la fusion avec le rock’n’roll. Ça reflétait cette agitation qui m’habitait. (…) Je trouvais ma signature en insufflant dans le mot écrit l’immédiateté et l’attaque frontale du rock’n’roll.

Patti Smith
entretien avec Catherine Lalonde – le devoir - 23 novembre 2012


c’est cela : la parole portée publiquement comme « amplification » de la poésie. d’ailleurs c’est même ce qui se passe concrètement, puisque l’on amplifie la voix et la musique avec des moyens sonores. et c’est tout sauf une vaseline.

et (pour répondre à certains)
non
la poésie même amplifiée dans un spectacle n’est pas un spectacle
mais un acte.
elle n’est pas de la poésie qui se regarde poésie
mais qui vit, crève, sue, échoue, et parfois touche.
qui porte.
porte notre sens d’être là
dans une incompréhensibilité qui est l’état même de l’univers
pour l’homme les bêtes les plantes
et la caillasse.
que c’est un engagement complet.
que c’est indomptable.
et indompté.

mon poème n'est pas fait pour être compris mais il est fait pour comprendre.

Serge Pey – avertissement d’incendie



quelque chose mûrit en ce moment je sais, une action plus large.
une autre étape commence.



28.11.12
Paris.
faible lumière, grise, très diffuse.

besoin de se déconnecter, du numérique tout ça, de partir marcher, changer de quartier, anonyme, s’isoler « en quelque sorte ».
travailler ailleurs, au café.


bref : une piste se dégage bel et bien peu à peu.
en filigrane, en arrière-fond, quelques thèmes sont à nouveau là : cabane, pluie. comme une suite, continuation de la plui ? peut-être.
comme toujours, j’ai le besoin de travailler dans un volume donné, avec un format donné, et une maquette de suite, travailler dans cette pâte-là, cette matière-là qu’induit et réclame le texte.
pour bref, j’écris dans une page de format très étroit et très vertical. quelques mots, peu de mots par page, taille de typo assez grosse, chercher une lisibilité (si possible immédiate, ainsi). et, dans ce besoin de travailler le volume comme une matière complète, la couv vient d’émerger hier, avec un équilibre presque immédiat me semble-t-il… c’est assez rare.
à la différence des autres volumes, je ne veux, ne peux donner aucun élément de textes, comme habituellement sous la forme de work in progress sur le net, car c’est un volume global, un seul tenant, et non pas des poèmes liés mais individuels. ceci dit, porter tout de même ici ces notes, réflexions pour soi qui accompagnent cette écriture : peut-être cela ira-t-il au-delà d’un seul « pour soi ».



29.11.12
Paris.

Sorbonne.

reprendre ici la guillemets dictée guillemets. avec l’appareil enregistreur. dire quoi. bizarre impression de parler dans l’appareil et que ce ne soit pas l’enregistrement d’une voix qui soit retranscrit mais un écrit. réessayer de parler avec cette dictée vocale.


très grosse pleine lune panachée de nuages noirs, « halotés » par sa lumière blanche.
espace : commencer à saisir où l’on « flotte », sentir physiquement cela, en particulier en voyant cette lune suspendue au bout de l’horizon terrestre.
se sentir terrien, petit, sur sa boule. sentir très concrètement être ancré sur cette boule de terre et d’eau, flottante bulle dans un vaste océan, froid, spatial, clair, de vide et de matière noire…


méditation : s’éloigner, désaffecter cette présence illusoire du moi, de l’ego. tendre à ça. être calme équilibre sans ego. ego pollue : d’une part on se focalise sur le petit amour que l’on nous porte ; et d’autre part, on s’attache à sa vision propre alors que tout le monde, entier, est existant au-delà de la seule perception issue de l’ego. on pense l’ego comme identité centrale, mais qui n’est centrale que pour soi… l’ego n’étant qu’un concept associé au continuum d’expérience qu’est notre conscience, à une soi-disant unicité indépendante, alors que la réalité est surtout multiple et interdépendante.
c’est tout sauf ce que je souhaite, cette prégnance de l’ego, pourtant toujours encore là…
être nu de ça, vers les autres.


ambition : à bien différencier l’ambition pour soi (reconnaissance, demande d’amour) de l’ambition pour l’ouvrage.


soirée avec quelques poètes et traducteurs de Berlin et de Lyon. avec Manon et Calleja aussi. fin tranquille à papoter au whisky.


la gravité n’est pas la profondeur complète. l’humour est une profondeur supplémentaire. dis-je grave…



30.11.12
Paris.
lumière très sombre.

jour de rien. de peu de motivation.


Refonder : en fait un livre de méditation. une façon de ramener l’esprit en lui-même, d’apaiser le flot agité des pensées qui par nature ne peuvent cesser. de témoigner de ce flot passant. il ne s’agit plus de retenir ces pensées, de les ancrer. les notes ici indiquent, signalent essentiellement ce passage, leur écoulement, et les laisse filer.
alors c’est évidemment toujours encore un rapport au temps. de le regarder filer sans angoisse, par l’observation de son défilement, de son déroulement. de le mesurer non seulement par les actes et faits quotidiens, mais aussi par leurs traces laissées et accumulées ici. constater le temps passant, sans courir après comme on le fait si constamment. le laisser couler (comment de toute façon ferait-on autrement ?).


méditation : la baser, l’asseoir à nouveau sur le souffle, la respiration, ne pas oublier ça. là aussi c’est rappel du temps : la respiration tout à la fois tempo de base du vivant, et mesure du son écoulement.


toute mon entreprise peut aller encore plus loin, mais aussi plus posément.


bref : une étonnante façon d’y bosser, d’y bosser peu en fait. en réflexion quasi continue, mais moments d’écriture très brefs et très espacés, amenant néanmoins à chaque fois un avancée notable.



01.12.12
Paris.
frais. beau soleil.
méditation. jardinage. taille d’arbres. aller nager. écrire. lire.

ce que l’on appelle « avoir une voix » : la voix d’un auteur est ce qui ferait son identité. on la re-connaît.
mais qu’est-ce qui fait que cette voix se constitue, (s’affirme), puis se dégage ? qu’est-ce qui fait l’identité de cette voix, qui elle-même fait l’identité de l’auteur ? une tonalité, un timbre, une thématique habituelle obsessive ? le fait qu’on la reconnaisse justement, qu’elle ait une singularité ?


méditation : par cette pratique les capacités profondes de changement de nos humeurs, de nos comportements, la capacité à transformer notre esprit et façons d’être… l’effet par exemple de modification profonde de l’hyper-activité, de l’hyper-réactivité, de l’effacement des plus grandes colères, l’augmentation des capacités de con-centration (ne plus toujours être dans un « speed », ou sauter sans cesse du coq à l’âne, diminution donc de la distraction), de l’apaisement affectif et des désirs névrotiques, le développement de l’attention à l’essentiel et aux autres, la vision de la mort modifiée comme élément non-tragique, parfaitement inclus dans le vivant évidemment, mais surtout ressenti profondément en soi comme tel…
il existe bel et bien les possibilités d’agir sur soi, de changer simplement une vie… en apaisant le flot inarrêtable de nos pensées presque toujours turbulentes, la méditation modifie nos manières d’être, cet entrainement de l’esprit agit. et sans doute ici la neuro-plasticité y est pour quelque chose.
tout ne devient pas alors un long fleuve rose et tranquille, mais nous abordons, comprenons, et traversons plus paisiblement les événements d’une vie. nous comprenons mieux nos fonctionnements intimes, mais aussi les fonctionnements plus généraux du cérébral et de la psyché.
tout comme l’écriture, c’est l’entreprise d’un vie. une pratique régulière, infinissable, éternellement perfectible… mais l’on peut en saisir les effets, sur soi-même et envers les autres qui nous entourent, assez vite. bien sûr le but n’est pas de rechercher un « effet » spécial, rapide, une « productivité » intéressante, mais un apaisement général. « ramener l’esprit en lui-même, vers sa nature profonde », disent les tibétains depuis leurs 2 000 ans d’histoire, d’expérience et de pratique de la méditation.
pour atteindre progressivement cela, c’est aussi visualiser, ressentir la non-dualité des choses : pour résumer, les choses ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont.
il s’agit également essentiellement d’un lâcher-prise sur les désirs et les craintes, sur les attachements et les turpitudes de l’ego, toutes choses qui nourrissent nos conflits intimes (le samsara). ainsi il s’agit de ne plus nourrir nos instabilités intérieures, névrotiques. il ne s’agit pas d’une introspection, d’un travail sur soi, d’un chantier nourris d’efforts pour se « corriger », ce qui renforcerait alors ce névrotisme, mais d’un abandon. paradoxalement peut-être, c’est sur cet abandon, ce lâcher, que l’on peut alors commencer à édifier, édifier quelque chose de plus équilibré, de plus léger, de plus serein.
c’est accéder à plus de liberté d’être moins soumis à ces contraintes, de savoir un peu mieux agir dessus, de les dissoudre en les laissant couler, en ne les considérant plus comme bonnes ou mauvaises, mais pour ce qu’elles sont vraiment : comme étant.
il ne s’agit en aucun cas d’un recueillement centré sur soi-même, sur son plaisir propre, d’une recherche égoïste de moins de souffrance pour soi seul : l’apaisement et l’ouverture intime ne peuvent se toucher que par le souci d’autrui, et cette pratique a d’ailleurs une importante influence sur la relation à l’autre. c’est l’un de ces autres fondements : un mouvement large d’empathie et de compassion.
il ne s’agit pas d’une religion ni d’une croyance, mais d’une pratique et de faits constatables.

cette pratique rejoint également celle au long cours de l’écriture, dans la mesure où la méditation offre une vision plus claire, une meilleure connaissance du monde, plus posée, moins soumise aux variations de nos émotions, et où écrire est aussi explorer, appréhender, tenter de comprendre avec justesse et enfin dire notre monde… dans cette mesure, il ne peut y avoir, à les mener parallèlement, qu’un bénéfice réciproque entre ces deux pratiques.
et la notification des saisons, des mois, des jours, du temps qu’il fait, en plus de la connexion aux éléments premiers dans lesquels nous vivons , participe aussi à regarder avec « sagesse » ce qui est et passe… à nous préparer avec calme au caractère fugitif, éphémère, provisoire de tout, et d’abord de nous-même.

la méditation c’est centrer sa vie sur des activités et des valeurs primordiales, plutôt que sur des activités de distraction. c’est délaisser progressivement le superflu pour aller vers moins de souffrance. cela peut paraître mièvre, mais qui n’a pas ce but ?
« c’est la plus grande chance que l'on puisse se donner », dit Sogyal Rinpoché…



02.12.12
Fontainebleau.
grand beau. froid. départ pour escalade en forêt.
soleil sur les blocs, les pins, les bruyères.

Le présent est la seule chose qui n’ait pas de fin.

Edwin Schroedinger
Ma conception du monde - éd. Mercure de France, 1982
(traduit de My View of world, Londres, Cambridge University, 1922, p. 22)




03.12.12
Paris.
pluie. le prunier perle.

découverte par la sonde Messenger de milliards de tonnes d’eau, sous forme de glace, dans les régions polaires de Mercure, la planète la plus proche du soleil (la température moyenne y est de 169°C, mais l'inclinaison de 1° de son axe de rotation fait que les zones aux pôles sont constamment à l'ombre. Les températures y sont d'environ -200°C).



04.12.12
Paris.
grand beau. froid.

le bureau.
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(dessin Anna Griot)
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passé une partie de la journée à corriger les épreuves de book 0, et à finaliser la couverture.


dans notre tout petit milieu (de poésie, de littérature) il y a, comme dans tant d’autres, de grandes amitiés, une assez large bienveillance, mais aussi des inimités et de nombreux positionnements d’egos et de rivalité, pas toujours montrés, autour d’enjeux symboliques et de reconnaissance (brio, succès, intérêts, opinion, relations…). mais nous avons, peu ou prou, des goûts proches, une commune passion, un même souci et nécessité du travail de langue, une même lucidité quant à la puissance du verbe, alors ne serait-il pas possible d’être dans un plus fin soin d’autrui ? pour exemple, peu savent se réjouir des réussites d’un autre…


tiens, pas encore trouvé le titre de cette série de notes… peut-être qu’encore rien d’important n’a émergé.



05.12.12
Paris.
léger gris. frais toujours. 3, 4 degrés. crachin.

deux jours pleins de gestion de la vie quotidienne, professionnelle, des projets en cours. le soir enfin revenir au travail de fond : écriture, lecture.

la valeur d'une pensée se mesure aux distances qu'elle prend avec la continuité de ce qui est déjà connu.

Adorno
Minima Moralia, paragraphe 50


l’ego se dissout.


méditation : les chaînes de pensées qui défilent dans nos têtes, et passent comme des vagues incessantes… ce que produit le cerveau, et comment il le produit… qu’elle est la nature véritable de notre esprit ?
profondément, intrinsèquement, c’est une conscience vaste, ouverte, paisible, disent les sages tibétains.. mais à la surface de laquelle s’agitent sans cesse les pensées comme un clapot agité… et dont on peut avoir l’expérience si l’on sait justement se mettre en retrait de ce « clapot », de ces vagues de surface, les contempler, dé-focaliser d’elles, de leurs fluctuations, croire un peu moins à l’histoire qu’elles nous racontent, et qu’on les regarde avec une « pleine conscience ».



06.12.12
Paris.
ciel bleu. froid.

dernier cours Sorbonne : amorcer la construction d’un site, plutôt qu’un blog, mais avec un blog dedans. insisté sur l’importance primordiale de s’emparer du code, de ce nouveau langage qui véhicule aujourd’hui une grande part de nos connaissances et de notre imaginaire, en particulier pour de futurs éditeurs qui vont avoir pour charge de transmettre du savoir, donc les bases, les outils de notre conscience, de notre lecture du monde, et par conséquence de notre liberté, personnelle, citoyenne, démocratique.