18.11.12
Paris.
la flotte. sombre.

le prunier noir, aux trois grands troncs vrillés, mouillés, devant ma fenêtre, chaque jour changeant, aujourd'hui feuilles dorées, sur l'arbre et à terre.

de ces journées tristes, où l'on sait un peu pourquoi, où l'on en sait assez.
de ces journées où l'on se souhaite dans l'ombre.
juste sortir. marcher. un peu.


quand on écrit on écoute.

(parler c'est autre chose, c'est se faire entendre. éventuellement être écouté.)



19.11.12
Paris.
ciel clair. c'est-à-dire pour ici : clair dans les gris.

reprendre des forces.

on est seuls. toujours à courir avec nos besoins, nos demandes affectives, de réparation anciennes, de consolation, toujours que partiellement remplies, car cette réparation ne peut passer pleinement par autrui. pourtant c'est ce que l'on cherche tous, le plus souvent inconsciemment, dans la relation à l'autre, particulièrement l'amoureuse.
alors, dans la plupart des cas, on fait avec, cahin-caha. parfois blessés. on est seuls. très peu en ont une connaissance lucide, posée, mature, et savent l'accepter, en faire un point de force, de solidité.

c'est aussi alors la question de la constance, de parvenir à ne pas flotter comme bouchon pris dans nos affects, dans le samsara.

il arrive ce moment où l'on entérine le deuil de la recherche d'une réparation affective. avec soulagement.


se voir vieillir dans la fatigue accrue du visage dans le miroir le matin au réveil.

vieillir : une aventure qui évite de faire du surplace.


si Janis Joplin me touche, m'intéresse autant, c'est, outre sa musicalité, pour son énergie, ou pour être plus précis pour son investissement : engagement et centration d'une énergie toute dévolue.
le "destin tragique" ici ne participe pas à exciter mon appréciation.


nos efforts d'hommes toujours pour vivre moins mal. et puis l'abandon de tout effort, du désir, l'état méditatif, et du coup le vivre mieux.



20.11.12
Paris.
ciel bleu. quelques légers voiles de nuages transparents.

peut-être suis-je habité par une idée plus grande que moi. cette pensée revient parfois. mais je n’ai jamais senti mes yeux plus gros que le ventre.
ma ligne est en-deçà de beaucoup de ce que j'entends, plus basse, ancrée, plus tenace peut-être.


un ami : l’avoir vu soudain vieux. c’est-à-dire que dans son visage ai soudain vu, dans un moment de relâchement, son visage, sa mâchoire tombante, le rétrécissement rentré des lèvres, le poids des joues, déjà là en filigrane, du vieillard. évidemment ça rappelle le « bal de tête » de Proust, mais ici ce n’est qu’une projection, furtive, les traits de la vieillesse dans un moment d’abandon comme déjà inscrits dans ceux du visage jeune.


de la difficulté ici de ne pas coucher de l'intime, mais d'en faire matière qui fasse portée générale. l'inverse de subsumer.



21.11.12
Paris.
le sol du jardin trempé et doré par les feuilles du prunier.
méditation comme chaque jour au réveil, dehors ou devant la fenêtre grande ouverte. qu'il pleuve, vente ou gèle. ce matin ma bouche fume.
une demi-heure, trois-quarts d'heure ainsi assis, quelques moments de profonde centration, pensées qui coulent sans rétention, sans « travail », sans tension vers, sans désir.

pour soi : ne jamais oublier que la joie est en partie un choix.


nous parlons aujourd'hui de mondialisation mais elle a sans doute débutée, voire avant, avec ce que le siècle précédent a pour la première fois produit dans l'histoire : des guerres mondiales.


bref : dire notre indigence, notre difficulté à avancer et pourtant ça avance.
montrer cette indigence, ce dérisoire sans les dire par explicitation. dire notre drame sans qu'il soit l'objet d'une gravité mais d'un humour. c'est.
dans bref j'aimerais que ce soit un homme pauvre qui parle, tente de parler, un pauvre homme, un homme humain.
qui échoue. qui échoue toujours. principe du clown. et cet échouage quelque part est drôle.
défi de taille pour moi.
grande tendresse aussi pour les « simplets » que l'on rencontrait il y a encore peu dans certains villages alpins.
tout cela est encore largement flou. mais ça finit en général par s'éclaircir.
revoir Buster Keaton avec Chaplin, Little Tich, et quelques anciens clowns.

les clowns, ces hommes en chantier.

Henri Michaux

étymo :
Angl. clown, attesté dep. la 2emoitié du XVIème siècle. sous les formes cloyne, cloine, puis clown au sens de « homme rustre, paysan » d'où « bouffon, fou » et plus spéc. à partir du XVIIème. « pantomime, personnage des arlequinades et du cirque ». peut-être d'orig. de l’ancien allemand parlé par les Frisiens, klönne, désignant un être vieux et malhabile, un homme rustique, balourd, depuis un mot désignant, à l'origine une motte de terre. En anglais, on trouve aussi clod et clot, signifiant aussi bien motte que balourd, plouc.


cette anecdote : mon grand-père, alors âgé de 5 ans, accompagnait son père à Bordeaux à un dîner d'affaires où Chaplin était présent. ce petit bonhomme, qu'était alors mon grand-père, s'ennuyant, Chaplin pris alors deux fourchettes et lui fit sur le bord de la table la danse des petits pains… pour lui seul…



22.11.12
Paris.
froid.

donne mon cours à la Sorbonne.

à visionner des films de clowns. pas bien sérieux tout ça, mais extrêmement important.


pers 1 : bref
pers 2 : pépin

pépin : peut-être que
bref : quoi
pépin : on n'a plus besoin de lui
bref : qui
pépin : lui. l'auteur
bref : que
pépin : on peut parler seuls

ou se taire.


enfin essayer.


bref : à la différence de mes recueils où les poèmes s'accumulent les uns après les autres, le plus souvent selon leur apparition chronologique, ici c'est une collecte de matières, un amoncellement de fragments, comme l'on récupèrerait des objets, une accumulation d'éléments, d'envies, de directions, d'inattendus, qui, par agencement progressif, créeront un volume d'un seul tenant. enfin je crois.


la confiance. la confiance réelle : profonde, calme. sans plus besoin d’en rajouter.
(ce même type de confiance qui était nécessaire lors des solos en escalade, mais ici encore plus calme, plus posée, sans excitation, ferme)



23.11.12
Paris.

changement d'ordi, c'est-à-dire changement d'établi, qui m'annonce 25h de migration des données (15, 20 ans de boulot + logiciels et paramètres perso).
du coup, en attendant, je retourne au carnet manuscrit, à la menuiserie, à la construction d'une nouvelle grande bibliothèque de livres papiers, rangés par thèmes (poésie, romans-récits, littérature de voyage, du moyen-âge, philo-linguistique-pensées, peintures-pariétal, carnets-journaux, etc…), aux petites tâches de maison, au sport…
après 7, 8 heures de transfert, je tente finalement une autre manip et je gagne 22h sur celles annoncées initialement ! la machine voulait passer mes poèmes par les airs…
reste les réglages... 2 jours au total… tant d’heures, tellement cette machine est devenu l’atelier principal, signe de ce temps.

coucher à 5h15.



24.11.12
Paris.
gris toujours. température fraîche très agréable.
le prunier n’a presque plus de feuilles sur lui. on se rapproche de l’hiver à grand pas.


j'écris en parlant dans un appareil qui transcrit ma parole à l’écrit. je parle ici. j'écris en parlant tout comme écrire c'est écouter. de grandes différences d’écrire en s'enregistrant. une très grande différence pour la pensée d’écrire en parlant ou d’écrire en écrivant. j’écoute au fond de moi et cette écoute je l’écris. quelle différence cela induit d’ainsi parler pour écrire, que l’on sent flagrante de suite. on pourrait peut-être même jouer sur le ton, le timbre, les débits. débit qui induirait une certaine écriture, une certaine vitesse d’écriture, une certaine respiration. ce serait là peut-être le lien entre le parler et écrire. lorsque l’on écrit ça passe de la pensée à l’écrit, directement. ici ça passe par l’étape supplémentaire, intermédiaire de la parole. c’est alors comme si l’on essayait de parler comme l’on écrit, alors qu’habituellement la parole est plus fluide, plus détachée et plus libre peut-être. ici déjà j’ai repris, corrigés mes « paroles-écrites » par des corrections écrites sans parole. comme s’il y avait besoin de ça. cette diffraction dont parlait Céline pour passer l’oral dans l’écrit (l’histoire de l’image du bâton tordue, rompue quand plongé dans l’eau), cette traduction nécessaire : on ne peut passer la parole dans l’écrit littéralement, ça n’en rendrait pas compte exactement. je constate alors que parler comme on écrit est d’une grande difficulté. ou, pour s’en rapprocher au mieux, il faut alors parler comme en soi, dans sa tête, comme pensée. parler se rapproche alors un peu d’écrire. mais obligé encore de reprendre un peu ce texte.


j’attaque Le rire de Bergson. il n’y a que l’humain qui fait rire. un paysage ne fait pas rire, un animal ne fait rire que lorsqu’il a une mimique anthropomorphique.



25.11.12
Paris. grand beau. un vent très violent toute la nuit a nettoyé le ciel.
grand calme. j’entends un clocher sonner.
le prunier du coup est nu, quasi. quelques feuilles esseulées encore.

de nouveau ce matin j’écris en parlant.
drôle d’exercice de savoir que ce que l’on dit est destiné à de l’écrit. on a peur de parler trop vite ou pas assez, il faut laisser le temps de penser, on règle son dire sur la pensée, on a l’impression que ce que l’on dit va plus lentement que lorsque l’on écrit habituellement, l’impression que la pensée arrive lentement, de ressentir son temps d’émergence (le temps de sentir ça étant probablement dû au fait que l’on ne soit pas accaparé par les tâches de scripturalité). l’impression de dire musique que l’on écrit (tiens, cette phrase c’est la machine qui l’a écrite, interprétant mal ce que j’ai dit, mais je la garde, elle ma va. en fait la machine m’a peut-être très bien compris). on cherche un peu ce que l’on dit. on cherche un peu à parler comme on écrit.
on voudrait tenter ici de parler comme on écrit. voir ce que cela fait. on voudrait tenter ici ce que cela fait.



26.11.12
Paris.
beau. vent.

travaillé toute la journée sur un projet de résidence, découverte par hasard, qui ferait vraiment sens, sur un axe de travail « écriture et voix ». résidence qui plus est a lieu dans le village d’un de mes amis les plus proches. pas de hasard…

Notre civilisation moderne est consacrée en grande partie au culte de l’illusion ! Il n'existe aucune information générale sur la nature de l'esprit : les écrivains et les intellectuels n’y font guère allusion (…) En fait nous sommes éduqués dans la croyance que rien n'est réel au-delà de ce que nous percevons directement au moyen de nos sens ordinaires.

Sogyal Rinpoché
Le Livre tibétain de la vie et de la mort


méditation : la « déletion » du moi qui se glisse parfois. cette sensation de voir, sentir, exister autrement que par le biais que l’on croyait central du moi. donc que le monde existe au-delà, autrement, que par le moi.
et c’est sans doute moins d’illusion, moins d’ignorance.


c’est certes la journée contre la maltraitance des femmes, mais au-delà émerge aujourd’hui une parole, une libération de la parole (tout comme peut-être elle a pu émerger pour l’homosexualité)… cette parole de l’après viol : cette parole se défendant contre cet acte de domination ultime, d’appropriation de l’autre (bien plus que de perversion) dans les rapports sociaux entre sexes. et donc, outre une journée dédiée, c’est peut-être plus largement une étape dans le fil de l’histoire de la maturation des démocraties. une mise en lumière de faits qui, de déniés, passent au statut de faits en tant que tels, donc non déniables.


notes, du journal : avoir besoin de « lâcher un paquet » tout les 9, 10 jours… cette étonnante régularité du rythme.