20.02.12

La langue, ses codes respectés, perpétués par l'ascendance, la culture et la transmission familiale… ou bien une résistance à cette perpétuation, ressentie et exercée pour moi très tôt, une défiance et suspicion, car pressentant vivement, même si confusément quant à ses causes, que tous ces codes, dont ceux de langage, étaient ceux imposés par une dominance, et acceptés, promulgués, prescrits par ceux-là même qui, dominants, comme dominés d'ailleurs (terme archaïques peut-être mais qui me semblent valables par leur archaïsme même que l'on trouve, d'abord, dans le règne animal, et nous en sommes), en tiraient un bénéfice en terme de maintien de position ou d'ascension sociale, en terme de possibilité d'appartenance à un groupe socioculturel perpétué, reproduit, ou visé, désiré.
Je vois là mes grands-parents maternels lisant leur petit journal de l'académie Défense de la langue française, qui n'était rien d'autre qu'une défense des codes rigides, qui docilement intégrés, permettent d'adhérer, d'accepter, de motiver, de conserver tout l'appareillage archétypal des dominants (de ceux qui ont la "chance" de l'accès au bagage culturel, à la sémiotique non-verbale des gestes, attitudes et convenances, ainsi qu'au réseau social et relationnel de dominance), et qui passe, d'abord, par les traits spécifiques de langue. Or j'avais très tôt grand soupçon de cela.
D'où, probablement, cette émergence précoce chez moi de la recherche poétique, de la torsion de langue, de la recherche de mon patois personnel, car né entre ma famille maternelle de haute bourgeoisie (dite, par eux-mêmes, "cultivée", "lettrée", et de langue dite "noble", au contraire de la "vulgaire" et de la "populo") et ma famille paternelle de paysannerie puis ouvrière (patoisante il y a encore à peine 2 générations, de "dialectes" abandonnés, car n'étant plus d'utilité dans le jeu permettant la position sociale, mais seulement dans le jeu passé au rang quasi "folklorique" d'entretien d'une vieille histoire de terroir ; et qui étaient, peut-être contre toute attente, mais probablement par souci de ne pas être réduit à une piètre domination, acceptée, silencieuse, de grands promoteurs de l'école, la laïque, celle-là même qui inculque comme institution la langue nationale contre le parler local, le niveau de maîtrise de ce langage permettant l'accession au meilleur travail possible, donc à la meilleure place possible, avec pour exemple le fonctionnariat comme large débouché chez eux).
Se fonder, adolescent, entre ces deux milieux, signifiait alors aussi se fonder une langue autre, troisième, dans cet entre-deux, une lang intime, un patois nouveau, individué, nourri et de langue très officielle et de celle ancrée dans la terre et le terroir paysan. Et dans cette lang nouvelle on trouve donc traces de celles qu'ont pratiquées mes ascendants. Mais c'est-à-dire aussi se constituer une vie, un type de vie, sociale, culturelle, rythmique, et dans son dynamisme-même, autre. De trouver du plus large, du plus ouvert.
J'ai su assez tôt quelle était cette recherche, mais n'en ai compris les motivations profondes que bien plus tard, et continue encore à en découvrir les ressorts et les sources.