silencieux ces temps-ci, et depuis un bon moment. amuïssant. bouche close, expositions publiques abrégées… la langue probablement travaille en dedans.

j'aspire au silence. peut-être parce que je sais que c'est un trou. une grotte. un abri. retraite pour penser lent, pour travailler calme. un creuset. et peut-être un peu parce que je sais qu'il est inatteignable… en nous, en sens, en lang.

silence c'est aussi seul.
et peut-être pas d'autre possible pour écrire.

et puis marcher…

écrire c'est comme dans une nuit. la première, l'archaïque. qui nous hante. celle où nous sommes enracinés. celle des grottes aussi. au-dedans, au presque silence, à l'enfoui, à l'enfoui au profond de terre, où nous avons souche ferme.

avec, dans ce silence de terre, la découverte de la résonance de la parole dans la grotte-cathédrale, cloche de son, chambre d'écho, points d'harmoniques. l'effet alors diégétique, magique, de la parole résonnée, résonnante.
inscrite alors, imprimée d'instinct, sur ce socle, matrice, paroi, avec la main vive, lâchée.
dessiner, marquer, si proche déjà d'écrire.


l'écrit c'est trace. trace de nos ombres, de nos pas. de l'humide des forêts. des mousses, des boues, des traces de pas dans les mousses des toundras aurignaciennes. trace de l'ombre des abris. des parois. des flammes. des paroles murmurantes. du bruit des bêtes, grattant, soufflant, invisibles dans l'ombre des forêts. des steppes sèches. c'est trace sauvage. formes, voix, gestes. vents, échos, ciel. et puis étoiles. trace restante des pas d'homme dans le brouillard. empreinte.
empreinte silencieuse.
et puis marcher…

l'écrit c'est une empreinte. restante, conservée, laissée. une empreinte réalisée dans le silence.
mais aussi gravée, tatouée sur le silence. peut-être même gagnée sur lui, le silence qui éteint. gagnée un tout petit peu sur le périssable, l'oubli, sur la parole volatile.

l'écrit est une empreinte empreinte de cette empreinte ancienne. l'écrit trace la trace de l'animal, puis celle de l'homme : c'est ce que nous disent les grottes, les signes du début du signe, les mains négatives, les pétroglyphes, puis les premières écritures (la trace de l'homme est là, mais la représentation de lui-même apparaît tardivement, peu à peu). l'écrit nous dessine, nous trace, nous re-trace.

les mains négatives sont comme les traces d'animaux laissées au sol, à cette grande différence près que, négatives, inverses, en creux, elles ne peuvent être que le fruit, le geste de l'homme. l'animal lui ne peut laisser une trace que positive. probablement est-ce là un signe signé, de démarquage d'avec la bête, pas si bête, une trace de ré-flexion. de la capacité à se voir voyant.

l'écrit nous destine.



ça rend sauvage ce silence où la langue travaille dedans.

peut-être ça vient de là cette envie de la disparition de l'auteur.
de cette solitude nécessaire. que ce qui se trace est là, que se qui se trace est muet, se dessine dans le silence. que ce qui se trace, s'écrit, ne puisse se dire véritablement autrement que par cette trace dessinée, écrite. que ce qui se trace est en deçà de la parole.
et ne puisse se dire que dans cette inscription, permettant l'en deçà de la parole.
cette capacité de dire sans parler.
peut-être même historiquement serait-ce pour cela que l'écrit est arrivé si tard sur la parole.
peut-être est-ce cette capacité de dire sans parler, seul et dans le silence, qui fait que l'on ne peut écrire que dans une certaine solitude silencieuse. que c'est ce plein de silence qui est la condition d'écrire.


écrire c'est comme dessiner le mammouth, l'auroch et l'ours.
c'est "le" même geste. "la" même geste.

et tout autant ça touche et ça échoue à la fois. ça ne réduit pas la distance au réel. ça tente, tente d'appréhender et ça échoue juste au bord toujours.
au bord où ça touche, car ça touche parfois.

pourtant le problème de l'origine reste intact. origine au bord de laquelle on échoue aussi toujours — tout en en étant plein —. origine qui est le silence d'avant, si silence il y a eu. innommable donc avec du bruit de langue. inapréhendable également avec du sens et du langage, peut-on supputer, car remontant à sa source il rentrerait dans un moins en peu de mots, où il ne peut plus dire, ne peut plus se dire.


parler ça.

je suis dans des paroles et des meuglements d'écrits de toute sorte.

et puis marcher…

UUuU !

bucanes




à Claude Favre