je veux partir de quelques voix....
• Fred Nevchehirlian d'abord
de celui-là que je connais peu et depuis peu, mais de ces rencontres qui semblent évidentes, et peut-être d'importance...
il y va ici de la vitalité de ce qui s'invente en poésie aujourd'hui, loin de ce qui se joue entre l'affecté et le contemporainement correct. poésie serait peut-être même là impropre — tant les genres ne valent plus, en général, et particulièrement là — mais il s'agit, essentiellement, de poétique. poétique forte chez lui, incantatoire, qui n'est pas dans une "démarche" quelconque mais seulement dans une liberté, justesse, je veux dire ce quelque chose venu du plus profond, sans filtre, sans esbroufe ni mensonge. et qui se pose là, et basta !
de cette poétique croisant l'exigence textuelle, fondamentale, qui ne dit pas ce qu'il conviendrait mais ce qui est inévitable, ce qui "vient" inéluctablement, mêlée au rock, rude, râpeux, sur solides appuis rythmiques (et je veux cité les musiciens : Tatiana Mladenovitch : batterie - Christophe Rodomisto : guitare - Stéphane Paulin : basse - Julien Lefevre : violoncelle/guitare)... tout ce que j'aime, et le concert d'hier me l'a largement confirmé... pour dire vrai, en partie ce que je cherche aussi, en particulier avec Yann Féry (autre guitariste, j'en parlerai de suite) : de la poésie de bête associée à l'énergie rock.
• autre voix : Mister Saul Williams (avec qui Nevcherhilian a d'ailleurs eu l'occasion de jouer).
de l'un de ceux qui pour moi représente la plus haute exigence dans ce que l'on peut nommer le slam (dans un contexte de scène slam, en tout cas "par chez nous", qui ne me parle que peu) : flow fou, impeccable, prosodie déroulante implacable, incantatoire sacré (plus chaman que Williams ?), textuel coulé dans une rythmique avec mesures au cordeau, beat d'une régularité incroyable qui rendrait la lecture de n'importe quel annuaire comme une litanie magique, textuel constamment dans une prise de risque poétique, loin très loin de la soupe qui ne se fait pas peur quand elle s'écrit. je ne suis pas grand gloseur, mais là quelque chose se passe, se joue... et il s'agit d'une vitalité rare... écoutons-le :
• guitare : Yann Féry
alors oui je ne peux que parler de celui qui "m'accompagne" (le terme ne signifiant pas un quelconque arrière-plan, mais un compagnonnage et conjonctions dans recherches communes d'intensités sonores, musicales, scéniques) dans ces lectures-perf que nous tentons.
nous avons entamé ce boulot commun il y a à peu près deux ans. il y a eu apprentissage long, et qui est toujours en cours : du travail de duo, d'écoute, et d'un point de vue humain et d'un point de vue scénique/musical. c'est que la chose n'était pas donnée : sortez un auteur de son écritoire, travaillant seul, habitué aux seuls sunlights de sa lampe de bureau, et tentez l'ouverture à la scène, au spectaculaire, à la projection, à l'adresse, à la présence vocale, à la présence publique toute simple et évidemment là.
et pourtant Yann a ce doigté, ce touché, d'aller peu à peu, progressivement, toujours plus loin, vous emmener vers des voix, que l'on cherche inentendues, jusqu'à ce qu'elles touchent : touchent à une intensité musicale recherchée, touchent enfin tout court celui qui écoute. mais, outre ce type d'accompagnement, le plus souvent de répét, de studio, il y a cette dimension nouvelle offerte au texte : rythmique, mélodique, l'ampleur de déploiements longs, la pression progressive des intensités croissantes, les ravages jouissifs du rock quand il tape dur.
même si mes textes sont toujours travaillés musicalement (la lecture à voix haute comme ultime correctrice : tout ce qui ne passe pas dans la rythmique, la scansion du souffle, étant retravaillé pour obtenir la scansion respiratoire), son jeu de guitare, de boucles (il sait construire des pyramides de séquences, solides comme des fondations, en équilibre comme mikados) leurs a apportés une puissance dont je ne faisais que rêver. pas que le texte ait forcément besoin de l'appui musical, il sait suffire seul. mais, que ce soit travaillé ou en impro, il y a là une ampleur enveloppante qui donne véritablement un surplus de vibration, d'impact possible.
situation :
me rappelle ce moment où François Bon (voir ses astuces pour la lecture publique) (un autre avec qui le compagnonnage est plus que richesse) me demandait comment je me situais moi là-dedans ?
n'ai pu que répondre par cette phrase déjà citée de Burroughs : "Les mots sont certainement associés au son comme la couleur est associée à la lumière. (…) Je regrette que les écrivains ne sachent pas quels sont leurs moyens — et jusqu'à ce qu'ils sachent, ils ne pourront guère rattraper la peinture."
… de cette centralité/nécessité du sonore, de réunir textes si possibles "pointus" à une facilité d'écoute via musique (idée restée comme centrale, et qui était déjà l'une de mes envies fondamentales de départ, alors même que je me mettais en recherche d'un guitariste)… en tout cas pas du tout envie de compliquer encore la chose par de la musique intellectualisée, que j'appelle "froide", ou au contraire pétrie d'affectation, que j'appellerais "tiède" (après, je le sais bien, goûts et couleurs varient).
je ne sais pas s'il y a des "mouvements", mais on me dit parfois tout comme à d'autres copains : "c'est du slam alors ?"
ben non, je ne crois pas, en suis assez sûr même. pas de cette source-là, orale, d'une autre : de l'écrit au début, mais allant vers profération (sans doute de la langue parlée, oui, mais entrée dans l'écrit tout d'abord, puis reparlée, et non de la langue parlée directement), et pas trop de cette culture de l'impro souvent rattachée au slam (même si tenté par cela)…
se situer ? ne pas se reconnaître ni dans le slam ni dans les lectures dites "poétiques"... sauf une ou deux, parfois, très rares… exemples, pour être concret :
- Ginsberg et consorts au Royal Albert Hall,
- Tarkos,
- Prigent,
- Stubbe (en rose),
- Béghain lisant Lacoste
- Gina Loring
alors me touchent, oui bien plus, ceux qui me semblent transcender les genres (musique vs chanteur vs lecteur vs auteur vs slameur), sont libres des formats même les plus "avant-gardistes", et prennent ce risque fondamental d'échouer, d'échouer mieux, comme les exemples cités plus haut…
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Commentaires
merci pour le lien vers G and Cie (j'avais zouï la bande son , sans les zimages , où? quand ? comment ? no idea)
pour la question : "scène poétique" ? il y a le mot "scène" id est "spectacle" id est "montrer"
alors que "d'aucuns'" (j'aime cette expression) diraient qu'un poème n'a rien à "montrer" d'autre que ses mots (piètre spectacle) sur la page (écran pis encore)
mettre "en scène" le poème (et "l'accompagner" de zique zimages etc) est un solution possible pour lui faire franchir le mur du silence dans lequel il se complait volontiers
mais "d'aucuns" (les mêmes ou d'autres et certains de plus que bon aloi) (antoine emaz for exemple) diraient que ça peut être des solutions " de facilité"
(solutions où se dissolvent des essentiels )
pour ma part j'agrée à tes propos : on ne peut pas faire comme si de rien ne s'était passé
je déplore même de ne pas pouvoir lire/voir/entendre etc (et mieux : faire) des lectures/voyures/entendures de poèmes via Nenet ou autre hypermultimédia
etc etc
hozan keboje ne pense pas comme Emaz que ce soit "facile"
cela ne m'étonne pas du peu que je connais d'Emaz, de sa poésie écrite sur le coin d'une petite table de cuisine (rien ici de péjoratif, au contraire, cette intimité du silence sur la nappe je la perçois profondément aussi... et son écriture va large, et ses échanges, pour avoir plusieurs fois bellement échangé à l'écrit)
rien de facile non,
d'abord nécessité ressentie de cette montée d'énergie de la lang, de la parl, par le tuyau à souffle. ça d'abord qui fait envisager le souffle, le son, puis la scène, ce donner-là
et puis c'est lieu aussi d'une radicale prise de risque, et textuelle, et corporelle.
passer le texte au tube à souffle ne souffre aucun asthme de l'écrit
et garder le risque pris me semble vital dans ce que l'on fait
et en rien tentative d'enjolivement, je crois, pour moi
oui, un poème n'a rien à montrer
fgriotd'ailleurs c'est quoi un poème ?
ça pourrait montrer quoi ?
le son, la scène, à mon sens, non plus ne montrent rien. ils concentrent.
dans ce sens-là peut-être que l'on peut parler spectaculaire alors.
Antoine Emaz, à l'issue de ma "lecture" à Angers fut le seul à m'interroger sur l'oralité, et ne semblait pas contrarié...Je dis lecture parce qu'on dit lecture. Mais peut-être s'agit-il encore d'écriture //à ma petite idée, ne pas réduire le concept (d'étymologie : embrasser, pour aller vite) d'écriture à l'inscription sur un support manipulable, vous voyez ce que je veux dire, hi hi ! // Et l'écriture, qui fut curieusement inventée, offre plein de possibles..En accord avec toi Fred, le poème n'a rien à montrer (je disais "la mostra ma langue..." et ça se termine en eau de boudin, ou de vie) ni à communiquer, mais à dire, simplement, fût-ce avec complications. Dire, c'est au poing, au noyau dur. Comment écrire sans respirer, avec sa voix, se mêlant à celles des autres...Si Môssieur qu'est beau souhaite quelques liens de lectures, je serais son obligée...
claude favreClaude