(été 2001)

• Un œuf ne se construit pas, ne naît pas en assemblant le cœur, l'embryon, à un jaune, du blanc et une coque
• Un œuf se construit depuis un embryon (le cœur, les visions, « les instants de temps pur » pour Proust) qui croit, développe du jaune, du blanc, l'enveloppe, la coque.
Eh bien pour VISIONS - Carnets de navigations que j'ai tenté, j'ai procédé selon le 1er exemple. C'est-à-dire que (après une première phase "intuitive", qui n'est peut-être pas la pire d'ailleurs) j'ai tout d'abord cherché à trouver un volume, une coque, que j'ai ensuite laborieusemen essayé, par milliers de petites touches, de rendre ovale au mieux. Poussant un coup d'un côté, un coup de l'autre, déformant d'un côté, redéformant de l'autre, sans jamais parvenir à l'ovoïde, au volume équilibré. Il faut donc très certainement procéder selon le second cas : partir du centre, de l'embryon et, ensuite, de là pousse le récit, l'écriture, d'elle-même.
C'est aussi toute la raison de l'échec de Jean Santeuil de Proust, il me semble, fonctionnant par patchwork, collages de fragments, d'éléments. D'autant plus visible que La Recherche n'a pu venir ensuite que de la fécondation de ce centre, de cet embryon (par la découverte de la réminiscence, instant pur, madeleine?). Ce qui manquait au Jean Santeuil.

Mais la réussite n'a rien à voir. Un échec est tout aussi intéressant qu'une réussite. Ou plutôt il n'y a ni échec ni réussite, des tentatives toujours.

Ce point, ce centre, ce jaune, c'est ce C'EST (que j'ai posé à la fin, en tout dernier, tout d'abord sans trop savoir ce qu'il signifiait, mais en sachant que forcément il signifiait puisqu'il était tombé là). Ce C'EST où ça ne se fait plus.
Curieuse coïncidence : Blanchot trouve trace de la même chose. Dans L'Espace Littéraire.
Ce mot, ce mot plein, constat, creuset, C'EST. c'est à dire état, constat et plus de description, plus de parole sur, plus de parole après. La chose est, les choses sont. Rien après. Il n'y a plus à compléter l'objet, à adjouter de qualificatifs, le prédicat seul, le verbe seul, tout seul. Résumant posant finissant. Sur le C'EST. Point.
Ce point où finis l'œuvre. Ce point où, en ce moment, mon ?uvre s'est refermée, inachevée évidemment.
Elle me tient hors d'elle, je ne sais plus par où rentrer.
Ce point accomplissement et disparition. A la fois.
Fini et à peine encore né.
Ce point au bord de l'impossibilité. « Avec quoi le silence » écrit Mallarmé.
C'est pauvre ? ou riche ? je ne sais pas. Je ne peux que constater ça.
Eh bien ce point, ce point va éclater d'un coup, soudain je rentrerais dedans ; du moins je le souhaite. Mais peut-on peut-on au-delà de ce point ?