(vers 1990)

L'écriture était toute l'aventure, comme de nos vies elle réclamait description, hésitante, se tenant dans une veine mais oblique, discontinue, cassante.
Il fallait que je définisse ce que je voulais. Mais l'histoire était aussi l'histoire de cette définition. Devais-je y laisser les traces, y porter les notes ? Je me foutais de faire un joli petit objet poli. L'?uvre était au-delà, plus large, plus brute, plus épaisse. C'était politique déjà comme démarche. Mêlés, l'histoire des gens et la construction de leur histoire. Impossible de se départir de l'une des deux, raconter, raconter (nos vies) veut dire tout raconter. Ce que nous foutons, ce que nous vivons, ce que nous expérimentons, ce qui s'passe aussi quand de rattraper le temps, de décrire, nous nous embrayons à raconter, et à raconter à complexités progressives. Et puis les petites traces de régie je trouve ça beau.
Là, ce que j'écrivais là n'était qu'une représentation de ma pensée (une façon de représenter ma pensée, qui bougeait là, évoluait, était en train de changer, se transformait peu à peu, en notes, recherches, croquis), d'une partie de ma pensée. D'autres... Et d'autres moyens auraient/exprimeraient sans doute exprimés d'autres pensées.
J'avais jusqu'à maintenant trop clos ma forme, affirmé, individué un système de signification, une description par une forme accentuée d'un monde de pensées, d'articulations de convictions, de sensations toutes allant dans le même sens d'un confirmation, d'une exploration de ma personnalité. J'avais voulu ouvrir un peu, non pas confirmer, affirmer en identifiant, distinguant, limitant, fermant, mais ouvrir, (en m'aventurant un peu plus, c'est à dire en ouvrant le fonctionnement (/mode d'appréhension) de mes pensées propres). aux autres.
J'avais rassemblé mes moyens dans un vaste travail d'identification, identification de ma propre volonté d'expression, de mes thèmes spontanés, de ma personnalité, de mon passé - (héritage). Mais je ne pouvais me contenter de (la pure maîtrise,) du mimétisme à mon monde. Je devais ouvrir. Je devais me méfier maintenant (de la redondance, du décalque/) du solide, de l'établi, risquer plus de fragilité./ Je devais risquer plus de fragilité.
Tout cela dit portait trace de l'?uvre.
Je décrivais le passage.

Je ne voulais pas tomber dans un journal, un carnet de notes de régie, et pourtant !... On voit là le travail, les traces, tracés notes de régie. Je suis maintenant dans un problème d'exposer toute la personnalité et toute notre vie et son rythme. Comment ? En explosant le cadre de... en ouvrant. L'?uvre ce n'est pas seulement les livres, c'est tout, ce sont les cahiers, les ratés, nos vies obsessionnelles, etc... cette évidence... Si écrire est une activité, une ?uvre, c'est aussi plus restrictivement la représentation, le média d'une activité, d'une ?uvre plus large : une vie, une pensée ; d'un choix de vie, de pensée. J'ai toujours eu la tentation de présenter le travail de recherche comme une ?uvre. Le travail de recherche n'est pas une recherche différente de la construction du livre même, c'est une même recherche, complémentaire, formée différente, ?uvre aussi. Porter trace, tracer dans un même lieu, porter dans un même lieu de recherche, l'?uvre et la réflexion sur l'?uvre. C'est du même ouvrage, dignes d'être représentés tous deux.

Mais la grosse difficulté est de faire rentrer une/la vie dans des étapes logiques, dans les étapes croissantes de la détermination, dans le courant, la tentative d'affinage que fait chacun de sa vie... car si la vie peut-être coule comme un fleuve, pour autant elle n'est pas régulière et ne suit pas toujours la pente évidente des eaux. Si elle est une suite d'épisodes qui se suivent, aucune/ rien ne dit qu'une logique ne les enchaine forcément.

extrait de plan de VISIONS