05.01.13
Paris.
gris. comme d’hab.

l'écriture est l'image de la parole, et la parole est le son, tant bien que mal, de la pensée…
oui, mais pas sûr que l'on parle tout à fait comme l'on pense... le langage biaise toujours, même si l'on pense probablement avec du langage.
mais ne pense-t-on qu’avec du langage ? autrement dit, sans langage pourrait-on avoir et mener une pensée ?
avec les fonctionnalités de notre cerveau, est-ce les capacités de pensée qui donnent les capacités de langage, ou le langage qui permet la pensée ?

J'écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu'au plus profond de l'obscurité.

Franz Kafka (correspondance, 1920 ?)



à la piscine, les corps…
à nus, dans leur misère et leur splendeur…
cela me fait toujours penser aux corps que l’on trouve dans les photos des camps, dépouillés, sans plus d’appareil ni d’habit social, à nus.


fallait-il atteindre un certain âge pour tenir ce journal (au-delà des « simples » notes d’écriture) ? commencer à sentir le travail du temps en soi pour mener et tenir ce travail de temps (et ce n’est pas ici mémoires, je le répète), pour tenter de saisir le temps par la note tenue des jours, séquences rythmiques en déploiement ?


l’impossibilité fondamentale à sortir de soi. à sentir être comment l’autre est, à sentir être pour l’autre, à sentir ce qu’est être pour l’autre.
toujours être en soi, trop en soi parfois, soumis à ce que l’on est.
la plupart du temps soit l’on n’y pense pas du tout (c’est inconscient), soit on l’accepte très bien (non pas amour propre mais acceptation simplement de ce qui est et ne sera pas autrement), mais l’on se sent aussi parfois trop en soi, dans ses travers, incapable d’en sortir.


bref :
un gars, une bouche qui parle, ça veut dire « tu » ? « il » se parle, donc « tu » ?
revenir à l’écriture à la main, au papier, pour tenter d’avoir une vue d’ensemble, de saisir ? mais est-ce saisissable ?
à mes marottes toujours, mes obsessions : tenter de, essayer, arriver à dire.
incapable d’en sortir ? peut-être-ce parce que cela a une certaine importance ?


de la matière de langue :

skuza-moi. Za m’eskuze. A vous déranzement n’est pas mon vouloir, défouloir de zens malaizés, mélanzés dans la tête, mélanzés dans la mélasse démoniacale et folique. Eskuza-moi. Za m’eskuze. Si ma parole à vous de travers danse vertize nauzéabond, tango maloya, zouk collé serré, zetez-là s’al vous plaît, zatez-la ma pérole, évidez-la de ses tripes, cœur, bile et rancœur, zetez-la ma parole mais ne zetez pas ma personne, triste parsonne des tristes trop piqués, triste parsonne des fric à bingo, bongo, grotesque elfade qui s’égaie dans les congolaises, longue langue foursue sur les mangues mûres de la vie.

Jean-Luc Raharimanana
extrait de Za, éd. Philippe Rey




06.01.13
Paris.
aller gris encore…
hiver : nous ne sommes pas des animaux faits pour la nuit.


viens de recevoir une nouvelle livraison de bouquins : l’impression que ma chambre devient une chambre d’écho, pleine de voix, multiples, envahissant l’espace, criant dans les livres… la maison est pleine du monde.

comme chaque jour, sport ou marche. ce soir, aller marcher dans la nuit, même peu de temps, m’est nécessaire.

Pourriez-vous définir le processus même de votre écriture?
C'est un souffle, incorrigible, qui m'arrive plus ou moins une fois par semaine, puis disparaît pendant des mois. Une injonction très ancienne, la nécessité de se mettre là à écrire sans encore savoir quoi : l'écriture même témoigne de cette ignorance, de cette recherche du lieu d'ombre où s'amasse toute l'intégrité de l'expérience.

Marguerite Duras, La Passion suspendue
entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre,
traduits de l'italien par René de Ceccaty, éd. du Seuil




07.01.13
Paris.

l’écrivain ne « reluit » pas toujours, il n’est pas une étoile (« star ») qui brille.


discussion passionnée, houleuse avec cette femme que j’aime, mais toute la difficulté, l’impossibilité peut-être d’entendre, comprendre, ressentir tout à fait ce que l’autre ressent.
l’autre… l’affection, l’amour, l’inimitié… l’autre…
plutôt que de se dire qu’il est difficile d’entendre l’autre, essayer de l’entendre véritablement. peut-être est-ce là que l’on commence à entendre ?
se pose aussi du coup la question de se faire entendre, se faire comprendre.



08.01.13
Paris.
toujours le même gris.

construire une œuvre ce n’est pas créer un objet clos mais suivre un mouvement.


bref :
une étape de plus pour bref, parmi des milliers de micro-étapes : la typo trouvée pour le corps de texte (une Avant Garde Book).
c’est ainsi, besoin de travailler la matière de langue graphiquement également, et dans le même temps. dans ce « volume » de matière… boule d’argile dont le sujet pour moi ne peut être séparé de la forme de l’objet global. je crois que c’est Yourcenar qui disait que lorsque sa graphie était belle son écriture l’était aussi en général.
ai également réintégré des éléments, que j’avais tout d’abord extraits pour les retravailler isolément.
risque pris ici d’y porter les notes d’un livre en chantier, absolument pas sûr de sa réussite, à l’état de matériaux premiers informes, gravas, à écrire, à assembler. car tout ça peut planter évidemment. après, si jamais plantage il y a, il faudra essayer de faire de ce plantage un bénéfice, une leçon. pour le moment il s’agit d’avancer, précisément si possible, mais en y voyant goutte quasiment pour l’instant.



09.01.13
Paris.

pourquoi encore écrire un livre ? parce que pas arrivé. pas près de…


bref : IMG_2175_copie.JPG
il faut un axe, une structure désormais. une structure simple dépouillée, des sujets simples universaux (deux, trois suffisent pour nous dire à peu près je pense).
ça se compose peu à peu, s’organise, les éléments, chutes, bouts épars, les fichiers même du coup, soudain entre eux se recomposent, s’agrègent, évacuent les doublons, s’épurent, se dégagent, s’aèrent. peut-être j’y vois un tout petit plus clair, mais ne saurai jamais véritablement où ça, ce truc, va.
ensuite le laisser parler (le livre, « lui », celui qui parle). reprendre où il en est. laisser glisser écrire.

l’un des enjeux de ce livre est aussi de dépasser la « coloration » Beckettienne que l’on y trouve. cette « coloration » m’est naturelle (ce qui me rapproche de lui : peut-être un dépouillement « protestant », pas de pratiquant mais d’ayant baigné dedans enfant), mais je voudrais y introduire aussi :
une réflexion sur l’homme (nourrie, menée dans mon journal Refonder, et permise par lui) comme étant un être quelque part dépouillé, dérisoire certes, comme chez Beckett, mais ayant aussi, autre part, la possibilité d’une grande sérénité en lui (paix intérieure, capacité à dire, capacité à ressentir ce que l’autre ressent, compassion, etc...). là où le bât blesse c’est qu’il a toutes les peines du monde à la trouver cette sérénité, alors qu’elle est là.
un calme profond, dans le seul, le nu, le gris, le désert où nous sommes.
la presque réussite, peut-être, dans la difficulté de dire.
je repense alors à ce qu’Emaz dit sur le même sujet.
je ne peux me passer du questionnement et de la résolution de ces enjeux. c’est même l’axe fondamental de l’entreprise, avec la forme, la langue, sa concision qui permettra, portera, parlera cela.

Un livre ne vaut pas tant par sa perfection formelle, même si elle en est le langage, le sceau indispensable, que par la puissance libératrice des pensées qui y sont enfermées.

Pierre Bergounioux
entretien pour Lire avec Catherine Argand, 2002


énormément bossé dessus aujourd’hui, journée « dédiée » même.
c’est proprement vertigineux de commencer-continuer un livre…
cela me dépasse même un peu.


du risque pris aussi de montrer ici l’exposition en train de se faire d’une pensée en train de se faire. « casse-gueule » même peut-être parfois.
car ici je reprend cette façon que j’affectionne de fonctionner sous forme de work in progress, comme je le faisais pour mes recueils, écrits « à vue » : en avançant à vue, et à la vue des autres… mais ici à une toute autre échelle, celle de la recherche d’une vie.


retraite causses du Larzac :
dans le sac emporterai : carnets, trois manus, ordi, whisky écossais, fusains, stylos, habits de montagne, une lampe de chevet pour écrire, pas mal de livres, les « grosses » de marche, etc…
pourquoi si important pour moi ce projet d’aller m’y retirer, cette portée réelle et symbolique ? sans doute parce que, souvent, il y a eu pour tout mes livres des lieux importants pour avancer de façon décisive ou pour les finir : la plui en bord de mer dans les dunes du Cotentin, UUuU dans la vallée des Merveilles, bref sur les Causses ?



10.01.13
10h
Paris.
plafond uniforme gris.


11h
hier soir me suis endormi tout habillé, ce qui ne m’arrive jamais, et passé la nuit à entendre tourner et ronronner le disque dur cérébral . ça travaillait sans cesse mais en rond visiblement. peut-être là-haut ça digérait la journée passée, très productive.
au lever, épuisé, et humeur fracassante.


16h
ai aussi mal travaillé aujourd’hui que j’ai bien avancé hier.
envie d’écrire ; et rien.


19h
ces jours où l’on a l’impression de ne pas avancer et pourtant ça avance. où l’on n’est pas sûr d’y arriver et pourtant ça arrive toujours quelque part. au pire à la toute fin.

dans les jours de rien et de « renfoncement », de renfrognement, accepter aussi. pour que cela soit plus facile.

le journal une prise de distance par rapport à la vie, dans la vie.
un recul. un dézoom.

pour un livre, ses « dossiers » et fichiers principaux :

  • carnets de poche manuscrits
  • tapuscrit de travail
  • structure et notes
  • éléments et fragments à joindre
  • tapuscrits d’archives et brouillons
  • essais maquettes et typos
  • journal



« laisser écrire »… mais toujours comme surseoir, résister, échapper à l’entrée dans l’écriture par diverses distractions, comme par peur de s’y confronter. écriture qui est pourtant l’une des choses qui m’est de la plus grande jouissance.
par contre, quand elle arrive enfin, on ne résiste plus : on fonce, on laisse tout le reste tomber… et on prévient l’entourage : « je suis dans une phrase ».

en ce moment, à ce stade du livre, c’est découvrir de quoi j’ai vraiment le désir d’écrire, savoir la nécessité inéchappable, dangereuse, car il s’agit de savoir dans quel risque, galère, piège je m’enchaîne, m’embarque tout seul.
c’est quoi ce désir MONSTRE ?

Chaque œuvre porte en elle sa forme qu’il faut trouver.

Flaubert ?


ai toujours oscillé entre proème et poèmes. tous mes livres sont de l’une de ces deux formes.
(cf : quand je dis « proème » je ne parle pas de l’exorde d’un texte, mais d’une prose poétique, c’est-à-dire d’une poésie continuum)

savoir que c’est infinissable. oui. mais s’en souvenir pour ne pas désespérer les jours où ça avance peu. c’est ainsi. se dégager de l’impatience.


21h
je sais pourquoi je veux m’isoler : pour écrire, mais je ne savais pas c’était pour écrire ce livre, où sera dedans, intimement, le lieu, la terre où il va en partie être travaillé.


23h
à travailler toujours. une maladie. basta pour ce soir. sortir au café.



11.01.13
Paris.
grand beau enfin. froid.
méditation dehors comme chaque matin. beaucoup d’oiseaux dans le jardin.
reposé.

bref :
me suis beaucoup pris la tête dessus ces derniers jours, obsessionnel peut-être, mais quand ça viendra je veux de l’écriture simple, nue, et fluide. ça viendra quand ça viendra. mais désormais j’ai une composition, armature, cadre. maintenant off.
je ne m’étais pas du tout rendu compte sur le coup combien la journée du 9, où j’ai trouvé les grandes lignes de la structure, simple, de bref, avait puisé en moi.



12.01.13
Paris.

index_manus16w.jpgle prunier nu, et désormais malade. (cela aussi dit le temps).
ai toujours eu une grande affection pour cet arbre au port magnifique, aux troncs multiples, bras ouverts, qui accompagne mes médiations du matin.


















curieux comme dans certaines écritures on reconnaît immédiatement la voix qui parle. et si l’on connaît cette voix de façon sonore, que l’on connaît l’auteur personnellement par exemple, comme elle apparaît alors de suite et baigne aussitôt l’écriture de sa sonorité, de son timbre. on l’entend. et elle n’en est plus séparable.


l’un des arts les plus difficiles de la vie, et de la médiation, est d’aller chercher, lorsque l’on est dans l’anxiété, l’agitation ou la distraction, le calme qui est toujours déjà là.
aujourd’hui, après plusieurs heures, j’arrive enfin à me souvenir de cela, et d’en faire « usage ».

Le silence fait partie des attributs de la perfection.

Kafka, Journal.


bref :
tout ce livre dira peut-être où j’en suis — c’est-à-dire pas loin, juste à avancer — dans un proème nu et sauvage, dépouillé et fluide, resserré, concis et ouvert.
en ce moment, ça se nourrit, par minuscules brides, de l’intérieur.



13.01.13
Paris.

l’importance, l’enjeu, le sens du journal n’est pas tant de dire raisonnablement, avec pondération, « scientifiquement » les choses ; ou poétiquement, en comportant et soutenant une émotion en puissance ; mais de contenir tous les potentiels. d’y recéler, par le constat, posé, une entière potentialité du monde.


je n’ai jamais écrit sur le sexe, étonnant. mais avec sûrement, dans la pulsion créative…


regardé un film où John Cage parle du silence : « les gens attendent de l’acte d’écouter qu’il soit plus que simplement écouter », et un autre où l’on voit des hommes marcher sans fin de long en large, dans les couloirs d’une institution psychiatrique.
fasciné par les deux. ces deux documents nourrissent mon livre.
ai écrit en quelques secondes une pièce très courte, sur ces hommes qui marchent ainsi.

bref :
travail permanent en « tâche de fond ».
la structure me permet (enfin) de construire. de poser les morceaux, fragments à une place. de monter les murs.
faire un livre, je ne sais plus si c’est inventer une forme nouvelle. j’ai surtout l’envie de dire quelques fondamentaux, humblement communs, de façon sobre. donc avec une forme toute simple.