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continuant à lire des journaux d'écrivains (ces jours-ci Emaz, Bergounioux…).
j'ai une génération de moins grosso modo que ceux-là, et pourtant j'ai les notes pour même activité, et cela d'une facture qui diffère peu, assez classique, alors que ce pourrait peut-être être "démodé" et dépassé d'ainsi faire.
mais non. c'est qu'il s'agit du temps ici… de ce constat du travail du temps, de ce constat du travail dans le temps. du passage, continuum, du temps sur nos vies et nos préoccupations. préoccupations relativement constantes et constituant donc elles aussi, progressivement, jour à jour, un continuum.
c'est un rendu compte, et un compte-rendu, de ce qui bouge ou au contraire de ce qui se maintient, des variations dans les constantes, des évolutions et des lignes inusables, des avancées et des stagnations.
compte-rendu du menu travail quotidien, sans cesse : cette nécessité intime, tout à la fois incompréhensible et coulant d'évidence, de suivre une ligne et recherche, qui traversent les âges, force est de constater (les miens d'âges, comme ceux de l'histoire des arts). par conséquence constat également d'être constitué pour une bonne part de ça : "ça" qui nous est tombé dessus, infiltré dedans, et ne lâche pas.

pas sûr que cela soit une discipline d'ainsi continuer, persévérer, enfoncer le clou, car ça n'est pas choisi, ça n'est pas imposé, ça s'impose. c'est constitutif, c'est la ligne. ça la suit, l'indéviable, depuis toujours.

est-ce cela une vie dédiée ? où les forces sont toutes centrées vers le travail et la tâche centrale… une vocation, pour utiliser ce mot qui a pourtant vieillit ?
vocation - étym. : voix, appeler… là où l'étymologie de cette voix que l'on suit, qui nous tire à elle, cette ligne incessante, rejoint l'action de poésie qui est tout à la fois action d'appeler et action de voix (pas forcément haute).


et c'est peut-être cela finalement qui est dit dans les notes, non pas seulement le cheminement du travail et de l'écriture, mais celui du temps. Proust nous avait montré le chemin. journal clepsydre.
le cheminement de la matière du temps, défilant, qui est ordinaire et qui nous est à tous commune (ce souhait et tentative d'ailleurs de travailler avec de la matière commune, des "produits de base", même si retravaillés, est sans doute là une chose qui m'est commune avec les auteurs cités au début).

et ce travail de journal est non seulement celui des avancées de l'écriture, mais aussi une trace, une seconde écriture — sur un plan plus réflexif, moins sauvage — du travail mené. une trace, comme l'est l'écriture par essence, mais une trace de la trace entreprise via l'écriture.
peut-être plus alors qu'une écriture en soi, c'est une écriture de ce travail conduit, une écriture du temps du travail, une écriture du travail mené dans le temps.

quatre-vingt-sixième carnet en ce moment… depuis que je numérote… j'en suis donc probablement plutôt aux alentours de 100 à 120 cahiers. et cela sans compter les autres zones de notes, séparées : concernant le recueil en cours, concernant la voix et la scène, et enfin celles concernant la méditation.
et ce sont bien là je crois des mesures de temps. du passage du temps sur nos entreprises. et sur la conscience que nous en acquérons.